« La Vie de M. Descartes/Livre 2/Chapitre 6 » : différence entre les versions

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Le grand monde que M Descartes voyoit à Paris
n’étoit pas capable de remplir tous les vuides de son
séjour, ni de le tenir perpétuellement occupé hors
de lui même. Lors qu’il rentroit chez lui, il sentoit
revenir ses anciennes inquiétudes sur le choix d’un
genre de vie qui fût conforme à sa vocation, et qui
fût commode pour l’éxécution des desseins qu’il avoit
conçus touchant la recherche de la vérité sous les
ordres de la providence. L’établissement où il voyoit
la plûpart de ses amis, placez chacun dans des
postes à garder le reste de leurs jours, ne servoit
de rien pour fixer ses irrésolutions.
 
Il y avoit déja longtêms que sa propre expérience
l’avoit convaincu du peu d’utilité des mathématiques,
sur tout lors qu’on ne les cultive que pour elles mêmes,
sans les appliquer à d’autres choses. Depuis l’an
1620 il avoit entiérement négligé les regles de
l’arithmétique. Il témoigne même que dés auparavant
il avoit tellement oublié la division et l’extraction
de la racine quarrée, qu’il auroit été obligé de les
étudier une seconde fois dans les livres, ou de les
inventer de lui même, s’il avoit eu besoin de s’en
servir. Les attaches qu’il eut pour la géométrie
subsistérent un peu plus longtêms dans son cœur.
 
Les mathématiciens de Hollande et d’Allemagne qu’il
avoit vûs pendant ses voyages avoient contribué à les
retenir jusqu’à son retour en France par les
questions et les problémes qu’ils lui avoient
proposez à résoudre. Mais on peut dire qu’elles
étoient déja tombées en 1623, s’il est vrai qu’en
1638, '' il y avoit plus de quinze ans qu’il faisoit profession de négliger la géométrie, et
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de ne plus s’arrêter jamais à la solution d’aucun problême, qu’à la priére de quelque ami ''
.
 
Durant ses études de mathématiques il avoit eu soin
de lire avec attention les traittez qu’il en put
trouver : et il s’étoit appliqué particuliérement à
l’arithmétique et à la géométrie, tant à cause de leur
simplicité, que parce qu’il avoit appris qu’elles
donnent de grandes ouvertures pour l’intelligence des
autres parties. Mais de tous les auteurs qui lui
tombérent pour lors entre les mains, pas un n’eut
l’avantage de le satisfaire pleinement. à dire vray,
il remarquoit dans ces auteurs beaucoup de choses
touchant les nombres, qui se trouvoient véritables
aprés le calcul qu’il en faisoit. Il en étoit de même
à l’égard des figures, et ils lui en représentoient
plusieurs dont ses yeux ne pouvoient disconvenir.
 
Mais son esprit éxigeoit autre chose d’eux. Il auroit
souhaité qu’ils lui eussent fait voir les raisons
pour lesquelles cela étoit ainsi, et qu’ils lui
eussent produit les moiens d’en tirer les consequences.
 
C’est ce qui fit qu’il fut moins surpris dans la suite
de voir que la plûpart des habiles gens, méme parmi
les génies les plus solides ne tardent point à
négliger ou à rejetter ces sortes de sciences comme
des amusemens vains et puériles, dés qu’ils en ont
fait les prémiers essais. Aussi étoit-il fort
éloigné de blâmer ceux qui ayant des pré-sentimens
de leur inutilité, ne font point difficulté d’y
renoncer de bonne heure, sur tout lors qu’ils se
voient rebutez par les difficultez et les embarras
qui se rencontrent dés l’entrée.
 
Il ne trouvoit rien effectivement qui lui parût moins
solide que de s’occuper de nombres tout simples et de
figures imaginaires, comme si l’on devoit s’en tenir
à ces '' bagatelles ''
sans porter sa vuë au delà. Il y
voioit même quelque chose de plus qu’inutile : et il
croyoit qu’il étoit dangereux de s’appliquer trop
sérieusement à ces démonstrations superficielles, que
l’industrie et l’expérience fournissent moins souvent
que le hazard ; et qui sont plûtôt du ressort des yeux
et de l’imagination que de celui de l’entendement. Sa
maxime étoit que cette application nous desaccoûtume
insensiblement de l’usage de nôtre raison : et nous
expose à perdre
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la route que sa lumiére nous trace.
 
Voila une partie des motifs qui le portérent à renoncer
aux mathématiques vulgaires. Mais il paroît que le
respect qu’il témoignoit pour les anciens l’empêcha
de pousser le mépris qu’il faisoit de ces sciences
dans la maniére de les cultiver ou de les enseigner.
 
Car venant à faire réfléxion sur la conduite des
anciens philosophes, qui ne vouloient recevoir
personne dans leurs ecoles qui ne sçût les
mathématiques, et particuliérement la géométrie,
comme si cette science leur eût paru la plus aisée
et la plus nécessaire de toutes pour préparer leurs
esprits à la philosophie : il aima mieux croire que
ces anciens avoient une science de mathématique
toute différente de celle qui s’enseignoit de son
têms, que de les confondre parmi les modernes dans le
jugement qu’il en faisoit. Le préjugé où il pouvoit
être en faveur de ces anciens n’alloit pourtant pas
jusqu’à lui persuader qu’ils eussent une connoissance
parfaite des mathématiques. Les réjouïssances
demesurées, et les sacrifices qu’ils faisoient pour
les moindres découvertes étoient des témoignages du
peu de progrés qu’ils y avoient encore fait, et
de la grossiéreté de leur siécle dont ils n’étoient
pas éxemts. L’invention de certaines machines que
quelques historiens ont relevées avec tant d’éloges
et d’ostentation contribuoit encore à le confirmer
dans cette pensée : supposant que toutes simples et
toutes faciles qu’elles étoient, il suffisoit qu’elles
fussent nouvelles et inconnuës au vulgaire pour
attirer l’admiration publique.
 
Les prémiéres semences de vérité, que la nature à
mises dans l’esprit de l’homme, qui nous font corriger
encore tous les jours nos erreurs par la lecture ou
la conversation, et qui avoient tant de force dans
l’esprit de ces anciens dont le fonds étoit peut-être
mieux préparé que le nôtre, ont pû produire, selon
M Descartes, des effets assez grands dans ces
prémiers philosophes, pour leur donner les véritables
idées de la philosophie et des mathématiques : quoi
qu’ils n’en pussent point encore avoir une connoissance
parfaite, et qu’ils n’eussent pas toute la politesse
des siécles posterieurs. Il appercevoit quelques
traces de la véritable mathématique
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dans Pappus et dans Diophante, qui certainement n’en
avoient pas été les prémiers inventeurs. Mais il ne
croyoit pas ces sçavans hommes exemts de la jalousie,
qui empêche souvent la communication des meilleures
choses. Il les jugeoit capables d’avoir supprimé cette
science qu’ils avoient reçuë des anciens, par la
crainte de la rendre méprisable en la divulguant, sous
prétexte qu’elle étoit trés-simple et trés-facile.
 
Et il leur sçavoit mauvais gré de n’avoir voulu
substituer à la place de cette véritable science que
des véritez séches et stériles, qu’ils produisoient
comme des démonstrations et des conséquences tirées
des principes de cette vraye science, afin de les
faire admirer comme des effets de leur art merveilleux :
au lieu de montrer l’art en lui même pour ne dupper
personne, et faire cesser l’admiration des simples.
 
M Descartes ne fut pas le prémier qui s’apperçût du
mauvais état où étoit cette science des anciens, et
des abus qu’y avoient commis ceux qui l’avoient reçuë
d’eux d’une maniére toute unie et toute simple. Il
s’étoit trouvé dés le commençement de son siécle de
trés-grands esprits, qui avoient tâché de la faire
revivre sous le nom barbare '' d’algébre ''
, et qui
avoient vû que pour y réussir il falloit la dégager
de cette prodigieuse quantité de nombres et de
figures inéxplicables, dont on a coûtume de la
surcharger.
 
Les pensées qui lui vinrent sur ce sujet lui firent
abandonner l’étude particuliére de l’arithmétique
et de la géométrie, pour se donner tout entier à la
recherche de cette science générale, mais vraye et
infaillible, que les grecs ont nommée judicieusement
'' mathesis ''
, et dont toutes les mathématiques ne
sont que des parties. Aprés avoir solidement
considéré toutes les connoissances particuliéres que
l’on qualifie du nom de mathématiques, il reconnut
que pour mériter ce nom, il falloit avoir des
rapports, des proportions, et des mesures pour
objet. Il jugea delà qu’il y avoit une science
générale destinée à expliquer toutes les questions
que l’on pouvoit faire touchant les rapports, les
proportions et les mesures, en les considérant
comme détachées de toute matiére : et que cette
science générale pouvoit à trés-juste titre porter le
nom de '' mathesis ''
où de
mathématique u
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niverselle ; puis qu’elle renferme tout
ce qui peut faire mériter le nom de science et de
mathématique particuliére aux autres connoissances.
 
Voila le dénouëment de la difficulté qu’il y auroit à
croire que M Descartes eût absolument renoncé aux
mathématiques en un têms où il ne lui étoit plus
libre de les ignorer. Il ne sera pas plus aisé de
croire qu’il ait voulu dans le même têms faire le
même traittement à la physique, si l’on ne trouve le
tour qu’on peut donner à une résolution si surprenante.
 
Il faut avouër que se trouvant quelquefois découragé
par le peu de certitude qu’il remarquoit dans ses
découvertes de physique, il avoit tenté déja plus
d’une fois d’en abandonner les recherches, dans le
dessein de ne plus s’appliquer qu’à la science de bien
vivre.
 
Au milieu de ces loüables mouvemens il avoit embrassé
l’étude de la morale. Il la reprit tout de nouveau
depuis son retour à Paris : et l’on peut dire qu’il
la continua pendant toute sa vie. Mais ce fut sans
ostentation, et plus pour régler sa conduite que
celle des autres. L’homme du monde qui semble l’avoir
connu le plus intérieurement, nous apprend que la
morale faisoit l’objet de ses méditations les plus
ordinaires. Mais il ne fut pas longtêms sans retourner
à ses observations sur la nature : et l’on peut
douter qu’il ait jamais renoncé sérieusement à la
physique, depuis qu’il se fut dépouïllé des préjugez
de l’ecole. La satisfaction que ses recherches lui
donnoient sur ce point étoit ordinairement victorieuse
des petits déplaisirs qui lui naissoient de
l’inégalité du succés dans les commençemens. Il
s’apperçut bien-tôt que l’étude de la physique n’étoit
point inutile à celle de la morale : et que rien ne
lui étoit plus avantageux pour régler ses actions
que les démarches qu’il faisoit dans le discernement
du vrai et du faux. C’est ce qu’il a reconnu
long têms depuis dans une lettre qu’il écrivit à
M Chanut, auquel il marque qu’il étoit entiérement
de son avis, lors qu’il jugeoit que le moien le plus
assuré pour sçavoir comment nous devons vivre, est
de connoître auparavant quels nous sommes ; quel est
le monde dans lequel nous vivons ; et qui est le
créateur de cét univers où nous habitons. Il lui
déclare, comme un homme persuadé de ce qu’il avance,
que
la connoissance qu’il av
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oit bien ou mal acquise de
la physique, lui avoit beaucoup servi pour établir
des fondemens certains dans la morale : et qu’il lui
avoit été plus facile de trouver la satisfaction
qu’il cherchoit en ce point, que dans plusieurs autres
qui regardoient la médecine, quoi qu’il y eût emploié
beaucoup plus de têms. De sorte qu’il ne pouvoit
point se vanter aprés toutes ses recherches d’avoir
trouvé les moiens de conserver la vie ; mais seulement
celui de ne pas craindre la mort, et de s’y préparer
sans ce chagrin ou cette inquiétude qui est ordinaire
à ceux dont la sagesse est toute tirée des
enseignemens d’autrui, et appuiée sur des fondemens
qui ne dépendent que de la prudence et de l’autorité
des hommes.
 
M Descartes fut deux mois et quelques jours à
Paris, entretenant ses amis de cette illusion où
il étoit touchant son prétendu renoncement aux
mathématiques et à la physique. Ils se donnoient
souvent le plaisir de démentir ses résolutions :
et les moindres occasions qu’ils lui présentoient
pour résoudre un probléme où pour faire une expérience,
étoient des piéges inévitables pour lui. Les
embarras de son esprit joints au besoin qu’il avoit
de régler ses affaires particuliéres lui firent
quitter la ville vers le commençement du mois de may,
pour retourner en Bretagne auprés de ses parens.
 
Aprés avoir passé quelques jours à Rennes, il prit
le consentement de m. Son pére, pour vendre en Poitou
quelques héritages, dont il avoit eu la bonté de le
mettre en possession depuis qu’il étoit devenu
majeur : et il s’en alla à Poitiers, puis à
Châtelleraut vers la fin du mois de may.
 
Il emploia dans ces négociations le mois de juin
entier et la moitié de celui de juillet. Il disposa
de la terre du perron, qui lui étoit échuë par le
partage des biens de la succession de sa mére ; de
deux autres métairies qui lui avoient été données
autour de Châtelleraut ; et d’une maison à Poitiers.
 
Les deux métairies, appellées l’une la '' grand-maison ''
,
et l’autre '' le marchais ''
, étoient dans la parroisse
d’Availle, que quelques uns appellent '' poitevine ''
,
pour ne point confondre ce lieu avec Availle
Limousine, qui est au delà de l’isle Jourdain sur
les limites du Poictou et du Limousin. Pour
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ce qui est de la terre et seigneurie du '' perron ''
:
c’étoit un fief des plus nobles du Châtel-Heraudois
ou Duché De Châtelleraut, au midi de cette ville
dans la même parroisse d’Availle, vers le conflant
du Clain et de la Vienne. Les deux métairies
furent venduës par contrat du 5 De Juin 1623 à
un riche marchand de Châtelleraut ; et la terre du
perron le fut à un gentilhomme qualifié de la
province, nommé Abel De Couhé Sieur De Châtillon,
et de la Tour-D’Asniére. Il en passa le contrat
avec ce gentil-homme devant les notaires de
Châtelleraut le Viii jour de juillet suivant. Mais
il ne laissa pas de retenir le nom de la terre
conformement à leurs conventions, pour satisfaire
au desir de ses parens ; et il continua de s’appeller
'' Monsieur Du Perron '', au moins dans sa famille.