« La Vie de M. Descartes/Livre 1/Chapitre 7 » : différence entre les versions

Contenu supprimé Contenu ajouté
Phe (discussion | contributions)
mAucun résumé des modifications
Phe-bot (discussion | contributions)
m Phe: split
Ligne 3 :
 
 
==[[Page:Baillet - La Vie de monsieur Des-Cartes, première partie.djvu/105]]==
 
<pages index="Baillet - La Vie de monsieur Des-Cartes, première partie.djvu" from=105 to=109 fromsection=s2 />
Mr Descartes aiant fini le cours de ses études au
mois d’août de l’an 1612, quitta le collége de La
Fléche aprés huit ans et demi de séjour, et s’en
retourna chez son pére, comblé des bénédictions de ses
maîtres. Quelques auteurs ont écrit que dés auparavant
il avoit passé de La Fléche à Paris pour achever ses
etudes dans le collége de Clermont. C’est ce qu’ils ne
pourront persuader qu’à ceux qui ignorent l’état où
étoit le collége des jésuites à Paris pendant ces
tems-là. Lors qu’il fût question du rétablissement de
ces péres en France : le collége de Clermont n’avoit
pas été compris parmi ceux qu’il leur étoit permis
d’ouvrir. Le P D’Orleans jésuite dit que Henry Iv
n’avoit pas voulu qu’on l’ouvrît, pour ne point nuire à
celui de La Fléche, qu’il prenoit à tâche de rendre
célébre par toutes sortes de moiens. Aprés la mort de
ce prince, les jésuites firent une tentative pour
obtenir permission de l’ouvrir : et le roy Louis Xiii
leur avoit accordé des lettres patentes, dattées du 20
D’Août 1610 pour pouvoir y enseigner publiquement.
 
Mais l’opposition de l’université fit un obstacle à
l’enregistrement de ces lettres au parlement, qui par
un arrêt du 22 Décembre 1611, remit les choses au
point où Henry Iv les avoit fixées. De sorte que
l’ouverture de ce collége ne se fit qu’en 1618, c’est
à dire, six ans aprés
que M
==[[Page:Baillet - La Vie de monsieur Des-Cartes, première partie.djvu/106]]==
Descartes avoit quitté le porte-feuille.
 
Il est donc constant qu’il n’a point fait ses classes
ailleurs qu’à La Fléche. Mais l’estime qu’il pouvoit
avoir conçuë pour les maniéres d’étudier dans les
ecoles publiques, ne s’est point bornée à l’unique
collége de cette ville. Il a rendu hautement
témoignage à l’éxcellence des éxercices établis dans
tous les colléges, et il a reconnu l’utilité de
l’émulation que peuvent produire les études faites en
commun lors qu’elles sont bien entenduës. Il avoit
coûtume d’élever celui de La Fléche au dessus de tous
les autres, parce qu’il en avoit acquis une connoissance
plus particuliére par sa propre expérience, et parce
que nous sommes toujours portez à loüer le lieu de
nôtre éducation commeelui de nôtre naissance, et à
vanter nos maîtres comme nos parens. Mais il y avoit
autant de justice que d’inclination dans les maniéres
obligeantes dont il parloit du collége de La Fléche ;
et c’est sans aveuglement qu’il en fit les éloges à un
de ses amis qui l’avoit consulté sur l’éducation de
son fils. Cét ami s’étoit proposé d’envoier son fils
faire la philosophie en Hollande, non seulement à
cause de l’avantage de pouvoir être auprés de M
Descartes qui y demeuroit, mais encore à cause de la
réputation que plusieurs sçavans établis à Leyde
avoient attirée sur la Hollande pour les lettres.
 
Voicy les termes ausquels M Descartes détrompe cét
ami. Le désir que j’aurois, dit-il, de pouvoir vous
rendre quelque service en la personne de m. Vôtre fils,
m’empêcheroit de vous dissuader de l’envoier en ces
quartiers, si je pensois que le dessein que vous avez
touchant ses études s’y pût accomplir. Mais la
philosophie ne s’enseigne ici que trés mal. Les
professeurs n’y font que discourir une heure le jour,
environ la moitié de l’année, sans dicter jamais aucuns
écrits, ni achever le cours en aucun têms déterminé. De
sorte que ceux qui en veulent tant soit peu sçavoir,
sont contraints de se faire instruire en particulier
par quelques maîtres, comme on fait en France pour le
droit, lors qu’on veut entrer en office. Or encore que
mon opinion ne soit pas que toutes ces choses qu’on
enseigne en philosophie soient aussi vrayes que
l’evangile, toutesfois à cause qu’elle est la clef des
autres sçiences, je crois qu’il est tres-utile d’en
avoir étudié le cours
==[[Page:Baillet - La Vie de monsieur Des-Cartes, première partie.djvu/107]]==
entier de la maniére qu’on
l’enseigne dans les ecoles des jésuites, avant qu’on
entreprenne d’élever son esprit au dessus de la
pédanterie, pour se faire sçavant de la bonne sorte.
 
'' je dois rendre cét honneur à mes maîtres, de dire qu’il n’y a lieu au monde où je juge qu’elle s’enseigne mieux qu’à La Fléche ''
. Outre que c’est
ce me semble un grand changement pour la prémiére
sortie de la maison paternelle, que de passer tout d’un
coup dans un pays différent de langue, de façons de
vivre, et de religion : au lieu que l’air de La
Fléche est voisin du vôtre. Comme il y va quantité de
jeunes gens de tous les quartiers de la France, ils y
font un certain mélange d’humeurs par la conversation
les uns des autres, qui leur apprend quasi la même
chose que s’ils voiageoient. Enfin l’égalité que les
jésuites mettent entre-eux, en ne traittant guéres
d’autre façon les plus relevez que les moindres, est
une invention extrémement bonne, pour leur ôter la
tendresse et les autres défauts qu’ils peuvent avoir
acquis par la coûtume d’être chéris dans les maisons de
leurs parens.
 
Le cas que M Descartes a toujours fait du collége de
La Fléche n’étoit qu’un effet de l’estime qu’il avoit
conçûë pour ses maîtres, et qu’il a eu soin
d’accompagner d’une reconnoissance perpétuelle pour
l’obligation qu’il leur avoit de ses études. Ses
lettres sont remplies des marques de son souvenir, et
du respect qu’il a toujours conservé pour les jésuites
qui lui avoient donné leurs soins en particulier, et
généralement pour toute leur compagnie. Il n’a point
fait de livres, dont il n’ait eu soin de leur présenter
des éxemplaires en grand nombre. Il n’a point fait de
voyage en France aprés en avoir quitté le sejour,
qu’il ne leur ait rendu ses devoirs par de fréquentes
visites, et qu’il ne se soit détourné du grand chemin
de Rennes, pour retourner à La Fléche faire honneur
à son éducation, et recuëillir ses anciennes
connoissances. Enfin, il n’a jamais rougi de se faire
passer pour le disciple des jésuites, même dans les
derniéres années de sa vie, et de leur offrir de se
corriger sur leurs avis avec la même docilité qu’il
avoit autrefois euë pour leurs instructions.
 
Mais s’il étoit satisfait de ses maîtres au sortir du
collége,
il ne l’étoit
==[[Page:Baillet - La Vie de monsieur Des-Cartes, première partie.djvu/108]]==
nullement de lui même. Il sembloit
n’avoir remporté de ses études qu’une connoissance plus
grande de son ignorance. Tous les avantages qu’il avoit
eus aux yeux de tout le monde, et qu’on publioit comme
des prodiges, ne se réduisoient selon lui, qu’à des
doutes, à des embarras, et à des peines d’esprit. Les
lauriers dont ses maîtres l’avoient couronné pour le
distinguer du reste de ses compagnons, ne lui parurent
que des épines. Pour ne pas démentir le jugement des
connoisseurs de ces têms-là, il faut convenir qu’il
avoit mérité, tout jeune qu’il étoit, le rang que tout
le monde lui donnoit parmi les habiles gens de son
têms. Mais jamais il ne fut plus dangereux de
prodiguer la qualité de '' sçavant ''
. Car il ne se
contenta pas de rejetter cette qualité qu’on lui avoit
donnée : mais voulant juger des autres par lui même,
peu s’en fallut qu’il ne prît pour de faux sçavans ceux
qui portoient la même qualité, et qu’il ne fit éclater
son mépris pour tout ce que les hommes appellent
sciences.
 
Le déplaisir de se voir désabusé par lui-même de
l’erreur dans laquelle il s’étoit flaté de pouvoir
acquerir par ses études une connoissance claire et
assurée de tout ce qui est utile à la vie, pensa le
jetter dans le desespoir. Voiant d’ailleurs que son
siécle étoit aussi florissant qu’aucun des précédens,
et s’imaginant que tous les bons esprits dont ce siécle
étoit assez fertile, étoient dans le même cas que lui,
sans qu’ils s’en apperçeussent peut-être tous comme
lui, il fut tenté de croire qu’il n’y avoit aucune
sçience dans le monde qui fût telle qu’on lui avoit
fait esperer.
 
Le résultat de toutes ses fâcheuses délibérations fut,
qu’il renonça aux livres dés l’an 1613, et qu’il se
défit entiérement de l’étude des lettres. Par cette
espéce d’abandon, il sembloit imiter la plûpart des
jeunes gens de qualité, qui n’ont pas besoin d’étude
pour subsister, ou pour s’avancer dans le monde. Mais
il y a cette différence, que ceux-cy en disant adieu
aux livres ne songent qu’à secouër un joug que le
collége leur avoit rendu insupportable : au lieu que
M Descartes n’a congédié les livres pour lesquels il
étoit trés-passionné d’ailleurs, que parce qu’il n’y
trouvoit pas ce qu’il y cherchoit sur la foy de ceux
qui l’avoient engagé à l’étude. Quoi qu’il se sentît
trés-obligé aux soins de ses
==[[Page:Baillet - La Vie de monsieur Des-Cartes, première partie.djvu/109]]==
maîtres qui n’avoient rien omis de ce qui dépendoit
d’eux pour le satisfaire, il ne se croioit pourtant pas
redevable à ses études de ce qu’il a fait dans la
suite pour la recherche de la vérité dans les arts et
les sçiences. Il ne faisoit pas difficulté d’avouër à
ses amis, que quand son pére ne l’auroit pas fait
étudier, il n’auroit pas laissé d’écrire en françois
les mêmes choses qu’il a écrites en latin. Il
témoignoit souvent que s’il avoit été de condition à se
faire artisan, et que si on lui eût fait apprendre un
mêtier étant jeune, il y auroit parfaitement réüssi,
parce qu’il avoit toujours eu une forte inclination
pour les arts. De sorte que ne s’étant jamais soucié de
retenir ce qu’il avoit appris au collége, c’est
merveille qu’il n’ait pas tout oublié, et qu’il se soit
souvent trompé lui-même dans ce qu’il croioit avoir
oublié.