« De la croyance » : différence entre les versions

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<center>[[Auteur:Victor Brochard|Victor Brochard]]
 
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C’est un véritable service que M. Cl. Gayte a rendu à la philosophie en publiant son Essai sur la croyance (Paris, Germer Baillière, 1883.) et en ramenant l’attention sur un sujet si important. Aucune philosophie ne devrait s’en désintéresser ; presque toutes le négligent ou l’esquivent. L’empirisme et le positivisme se devraient à eux-mêmes de dire comment ils définissent la certitude, et quelle différence ils font entre croire et être certain ; ils laissent généralement cette question de côté. Le spiritualisme a toujours compris l’importance du problème de la certitude : sauf quelques exceptions, il prête moins d’attention à la croyance. Il n’est pas même facile de dire dans quelle partie de la philosophie cette question devrait trouver sa place. Les psychologues ne s’en occupent guère, parce qu’il leur paraît qu’elle appartient aux logiciens. Les logiciens, tels que [[Author:John Stuart Mill|Stuart Mill]], la renvoient aux métaphysiciens. Mais les métaphysiciens ont bien d’autres visées. Pressés d’arriver aux conclusions qui leur tiennent au cœur, ils l’oublient ou l’ajournent. C’est pourtant par là qu’il faudrait commencer.
 
Dans la philosophie généralement enseignée en France, la croyance est considérée comme tout à fait distincte de la certitude ; elle est autre chose, si elle n’est pas le contraire, et elle est fort au-dessous. C’est une sorte de pis-aller dont on ne se contente qu’à regret et qui, par suite, ne mérite guère qu’on s’y arrête. L’œuvre propre du philosophe est de chercher la certitude ; c’est à elle seule qu’il a affaire. Rien de mieux, assurément, et ce n’est pas nous qui contesterons le devoir qui oblige tout philosophe à donner son adhésion à toute vérité clairement et distinctement aperçue. Nous n’avons garde de mé�connaître ce qu’il y a de noble et d’élevé dans cette manière de comprendre le rôle de la philosophie ; nous savons les dangers du fidéisme ; l’idéal que tant de philosophes se sont proposé, que les plus illustres d’entre eux se pro�posent encore, doit être poursuivi sans relâche. Mais cette certitude si entière, si absolue, qui ne laisse place à aucun doute, le philosophe la rencontre-t-il par�tout ? la rencontre-t-il souvent ? N’y a-t-il pas bien des questions où, après de longues recherches, en présence de difficultés toujours renaissantes, en face des divergences qui séparent irrémédiablement les meilleurs esprits, et les plus éclairés, et les plus sincères, il est forcé de s’avouer que la vérité ne s’impose pas avec la rigueur et la nécessité d’une dé�monstration géométrique ? Il peut croire pourtant, et sa croyance est légitime. Nous ne savons guère de doctrine plus dangereuse, et qui fasse au scepticisme plus beau jeu, que celle qui, entre la certitude absolue et néces�saire, et l’ignorance ou le doute, ne voit de place pour aucun intermédiaire. Mais si on revendique le droit de croire rationnelle�ment, n’a-t-on pas par là même le devoir d’examiner la nature de la croyance, de s’enquérir des motifs sur lesquels elle se fonde, de chercher comment elle se produit ? Si, comme il semble bien qu’il faut en convenir, la croyance tient, dans les systèmes de philosophie, autant de place que la certitude, pourquoi réserver toute son attention à la certitude et reléguer la croyance au second plan, comme chose secondaire ? Le temps n’est plus où les systèmes de méta�physique se présentaient comme des vérités rigoureusement déduites d’un principe évident, et prétendaient s’imposer de toutes pièces à l’esprit, comme ces démonstrations géométriques dont ils empruntaient quelquefois la forme et dont ils enviaient la rigueur incontestée. Spinoza, Leibnitz, Hegel, pou�vaient bien croire qu’ils démontraient a priori leur doctrine : qui oserait, aujourd’hui, afficher de telles prétentions ? Il y a encore bien des systèmes, et les explications de l’univers, en dépit des prédictions positivistes, qui procla�maient la métaphysique morte pour toujours, n'ont jamais été plus nombreuses que de notre temps. Mais elles déclarent que leurs principes sont des induc�tions : plus exactement, elles s’offrent comme des hypothèses capables de rendre compte de tous les faits, et dignes par conséquent, si cette prétention est fondée, de passer à l’état de vérité, suivant la méthode fort légitimement appliquée dans les sciences de la nature. La fierté dogmatique a singulière�ment baissé le ton ; la métaphysique est devenue modeste. Mais dire que les théories sont des hypothèses, c’est dire qu’elles font, en dernière analyse, appel à la croyance, et par la force des choses, la théorie de la croyance ne devient-elle pas une des parties principales de la théorie de la connaissance, si les systèmes se proposent comme des croyances, au lieu de s’imposer comme des certitudes ?