« Chronique de la quinzaine - 14 avril 1893 » : différence entre les versions

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{{journal|Chronique de la quinzaine – 14 avril|[[C. Buloz]]|[[Revue des Deux Mondes]] tome 116, 1893}}
 
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Ainsi donc on n’est pas près de sortir des crises de pouvoir et de parlement où un mauvais destin a conduit la France. Les ministères s’en vont après avoir mal vécu, pour être remplacés, il est vrai, par d’autres ministères qui, eux-mêmes, ne savent pas mieux pourquoi ils sont nés, ce qu’ils représentent, ni comment à leur tour ils réussiront à vivre. C’est l’ironique fatalité de ces temps de transition où toutes les idées sont confondues, où le sentiment des grandes et viriles conditions de la vie publique est comme émoussé et perdu. Hommes et choses s’abaissent ensemble dans une sorte de désorganisation morale autant que politique, œuvre de gouvernemens insuffisans et d’assemblées brouillonnes, de l’esprit de parti, des passions de secte, des captations corruptrices. — Oh ! non, sûrement, il n’y a pas de quoi se sentir réconforté de tout ce qu’on voit. Le pays ne se sent ni relevé, ni rassuré par ce spectacle de l’incohérence dans le parlement et de l’inconsistance dans le gouvernement, par ce défilé de ministres qui passent sur la scène, sans savoir où ils vont, se transmettant au pas de course un pouvoir sans prestige, déconsidéré ou diminué. Et, par un contraste curieux, plus la masse de la nation, désintéressée et laborieuse, semblerait disposée à offrir sa confiance, à se laisser conduire, plus les hommes qui sont censés la représenter et la gouverner lui manquent. Le pays n’a qu’un désir : il demande une direction, une protection, un gouvernement ; il reçoit, pour son cadeau du 1{{er}} avril ou du lendemain du 1{{er}} avril, un ministère inconnu, de bonne volonté peut-être, mais surtout de hasard, à la place d’un ministère rapidement usé par ses propres fautes et déjà oublié.
 
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Qu’est-il resté de ce ministère Ribot-Bourgeois qui avait été le ministère Ribot-Loubet ou Loubet-Ribot ? Il s’en est allé sans laisser ni
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bon souvenir, ni regrets, après avoir eu assurément à traverser de mauvaises heures, particulièrement cette crise du Panama d’où il s’était tiré tant bien que mal, plutôt mal que bien. Il a disparu tout juste au moment où il se flattait peut-être d’avoir doublé son dernier cap des tempêtes, où il croyait retrouver, avec les vacances de Pâques, quelques semaines de sécurité et de liberté. Il est mort à l’improviste, comme bien d’autres, par une certaine « difficulté de vivre, » parce que, dans sa carrière troublée, il avait accumulé assez de fautes pour ne plus pouvoir résister à un dernier accident. La vérité est que ce malheureux ministère avait passé sa vie, une vie de quelques mois, à se modifier, à s’épurer et à se recomposer, à paraître chercher la lumière qu’on lui demandait dans ces tristes affaires de Panama et à l’obscurcir par des calculs tout politiques, à limiter des procès qu’il ne pouvait plus éluder, à déguiser des abus qui pouvaient compromettre la domination républicaine, à ménager des intérêts ou des passions de parti. L’ancien président du conseil ne voyait pas qu’avec toute sa diplomatie, ses subterfuges et ses tactiques, il n’arrivait à rien ; il ne réussissait qu’à s’affaiblir, à provoquer des défiances ou des ressentimens dans tous les camps, — et, par un juste retour des choses, il a fini par un double mécompte qui a été l’expiation de ses complaisances et de ses faiblesses. Le jour où s’est élevé entre les deux assemblées un conflit sérieux pour un budget qui n’est pas encore voté, où le gouvernement aurait eu à exercer toute son autorité, le ministère s’est trouvé sans force et sans crédit ; il n’a pas pu même obtenir au palais Bourbon un vote suspensif sur cet impôt des boissons que le sénat proposait de disjoindre provisoirement du budget, — et par qui le ministère a-t-il été abandonné au scrutin ? M. Ribot a reçu sur l’heure le prix de ses faiblesses. Depuis trois mois, il a mis tout son art à ménager les radicaux, à se compromettre même pour M. Floquet, pour M. Clemenceau, sous prétexte de maintenir à tout prix la « concentration républicaine, » — et ce sont justement les radicaux qui ont fait la majorité devant laquelle il a succombé. Il est tombé victime de la fausse politique qu’il n’a cessé de suivre, laissant le pays sans budget et un conflit ouvert entre les deux assemblées. Le ministère Ribot avait vécu ! Voilà la moralité, — et c’est ici maintenant que s’ouvre cette comédie de crise ministérielle qui n’a eu, il faut l’avouer, qu’un médiocre dénoûment.
 
Puisque les radicaux avaient décidé la crise, puisque c’était M. Lockroy qui venait de mener la bataille et d’engager la chambre dans une lutte directe contre le sénat, que ne s’adressait-on à M. Lockroy pour gouverner la France et diriger les conseils de la république ? Le coup de théâtre n’eût pas été peut-être sans originalité. — M. Lockroy n’aurait pas réussi, dit-on, il n’aurait pas duré ! C’est possible, c’est même vraisemblable. C’eût été dans tous les cas la preuve palpable, immédiate de ce qu’il y a d’équivoque ou de chimérique dans la
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politique de parti, d’amalgames républicains qu’on s’obstine à suivre. On a craint sans doute que l’élévation de M. Lockroy à la présidence du conseil ne ressemblât à une gageure, — et après avoir consulté le président du sénat, le président de la chambre, M. le président de la république, dans l’honnêteté de ses intentions, s’est adressé à M. Méline, qui n’est pas moins honnête et moins bien intentionné. Malheureusement on ne voit pas bien comment M. Méline pouvait dénouer la crise, quelle idée précise il a eue dans les négociations qu’il a engagées sans plus de retard pour la formation d’un nouveau cabinet. Le digne M. Méline y a mis visiblement toute sa bonne volonté et le plus libéral esprit de conciliation. Il est allé frapper à toutes les portes, à commencer par la porte de quelques-uns des anciens ministres comme M. Develle, M. Ch. Dupuy, M. le général Loizillon, M. l’amiral Rieunier. Il a eu même, à ce qu’il semble, l’intention d’appeler dans le conseil un des principaux modérés du Luxembourg, M. le sénateur Trarieux, qui aurait pu certainement être la force d’un cabinet ; mais voici qui est plus curieux : M. Méline, chef du protectionnisme français, a voulu en même temps avoir le concours du président de la commission du budget, M. Peytral, qui est un Marseillais libre-échangiste, de plus un radical, et qui s’est d’abord dérobé. Il s’est adressé aussi à un jeune député de talent, M. Poincaré, qui a hésité à se charger de la direction des finances. La combinaison eût-elle réussi, qu’en serait-il résulté ? Rien de plus probablement que ce qui a existé jusqu’ici ; c’eût été le même système avec un peu plus de modération peut-être, mais avec les mêmes équivoques et la même impuissance.
 
Toujours est-il que l’expérience n’est pas allée jusqu’au bout, que l’honnête M. Méline, un peu perdu dans ses négociations, s’est promptement découragé. Il en a eu assez de son rôle de plénipotentiaire, chargé d’organiser un ministère, — et alors il a fallu reprendre la course aux portefeuilles, le jeu des candidatures, non plus avec M. Méline, mais avec un homme de bonne volonté, M. Charles Dupuy, qui était déjà dans la place et ne s’est pas trop fait prier. On s’est remis à l’œuvre, on a fait ce qu’on a pu, un peu au hasard par exemple, sans y regarder de trop près, — et la crise n’a pas tardé à avoir son dénoûment : c’est la combinaison qui a fini par prévaloir ; c’est le nouveau ministère qui s’est formé il y a quelques jours, qui a la chance d’exister encore à l’heure qu’il est. Il est d’ailleurs singulièrement composé.
 
D’un seul coup, le ministre de l’instruction publique de la veille, M. Ch. Dupuy, qui n’était, il y a peu de temps, qu’un simple député, est passé sans plus d’embarras à la présidence du conseil, au ministère de l’intérieur. Cette fois, M. Peytral, moins difficile avec M. Dupuy qu’avec M. Méline, n’a plus refusé la direction des finances. Le jeune M. Poincaré, par la même occasion, s’est laissé faire ministre de
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l’instruction publique. Un sénateur, fort inconnu jusqu’ici, M. Guérin, avocat ou avoué de son arrondissement de Provence, n’a fait aucune façon pour entrer comme garde des sceaux à la chancellerie. On y a joint un ancien contrôleur des contributions, député radical et un peu socialiste, M. Terrier, qui ne demandait pas mieux que de « se dévouer pour le pays, » comme dit une récente comédie de nos mœurs du jour. Quelques-uns des anciens ministres sont restés dans le nouveau conseil, et tout cela, — plus ou moins mêlé ensemble, c’est le ministère auquel M. Ch. Dupuy a la fortune de donner son nom. Voilà qui est fait jusqu’à la prochaine occasion ! On est sorti de la crise. Il reste seulement une question qui pourrait peut-être sembler assez naïve, Qu’est-ce que ce ministère Dupuy-Peytral-Poincarê-Terrier ? A quoi répond-il ? Que peut-il bien représenter dans une situation réellement assez compliquée, avec des procès qui ne sont pas finis, qui pèsent encore sur le monde parlementaire, un budget qui n’existe pas, un conflit ouvert entre les deux chambres, — et des élections en perspective ? D’où tire-t-il son autorité et son crédit pour faire face à tant de problèmes qui restent en suspens ? C’est bien évident, il ne répond à rien, il ne représente rien. Il a été choisi un peu à l’aventure, rassemblé comme on l’a pu, composé d’hommes que rien ne désignait particulièrement au pouvoir. Il eût été sans doute un peu plus modéré avec M. Méline, il a des apparences un peu plus radicales avec M. Dupuy, accompagné de M. Peytral ou de M. Terrier.
 
Au fond, c’est la stérilité dans la confusion, et, ce qu’il y a de plus clair, c’est que ce ministère, tel qu’il apparaît, est le signe le plus caractéristique de la fin d’une situation, du déclin d’une politique, de l’épuisement de la « concentration républicaine » et du personnel de gouvernement qui s’est mis au service de cette étrange combinaison. Il n’a eu d’autre mérite que de clore provisoirement une crise importune. Le nouveau président du conseil n’est peut-être pas sans avoir lui-même le sentiment de sa position, de ce qui lui manque, et la déclaration qu’il est allé porter pour son avènement aux chambres, cette déclaration, dans son insignifiance et son incohérence, est bien l’image de l’état présent des choses. Elle est pleine de bonne volonté et de toute sorte d’ingénuités, sans parler des obscurités, cette brave déclaration. Elle convient que les temps sont difficiles, — tout en témoignant une confiance bien sentie dans la « croissance vigoureuse » de la république. Elle rappelle avec une honnête candeur, pour ceux qui l’auraient oublié depuis quelque temps, que « l’aisance et la fortune ne s’acquièrent que par le travail et ne se conservent que par la correction des mœurs et la dignité de la vie ! » Elle parle sans broncher de la « pénétration réciproque, » de « l’identification définitive » de la république et de la France, de la « concordance et des aspirations démocratiques et des institutions républicaines. » Elle convie aussi, dans
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un langage plus pratique, les chambres à s’entendre pour voter le budget et même bien d’autres lois qu’elles ne voteront pas. Elle ne craint pas d’avouer enfin que le moyen le plus sûr de hâter l’union qui multipliera les forces de la patrie, « c’est d’administrer à tous les degrés de la hiérarchie avec exactitude, avec bienveillance, avec équité, pour le bien commun des citoyens. » Il y a de quoi satisfaire ou flatter tout le monde : si cela ne fait pas de bien, cela ne peut pas faire de mal ! Et sur la foi de cette déclaration rassurante, de ces belles promesses, députés et sénateurs se sont hâtés de laisser au gouvernement le répit qu’il demandait en prenant eux-mêmes leurs vacances pour trois semaines. Ils sont allés aux champs, à leurs conseils-généraux. Après le 25 avril arrivera ce qui pourra ! jusque-là tout est en suspens, et le sort du ministère et le conflit demeuré ouvert entre les deux chambres.
 
Quelle que soit du reste la durée de ce ministère, quels que soient les noms des ministres d’aujourd’hui ou d’hier, le mal est désormais bien autrement profond. Il est dans les choses, dans la situation tout entière, telle que l’esprit de parti l’a faite. M. le président du conseil, avec la naïveté d’un nouveau-venu au gouvernement, conviait récemment les chambres « à donner au pays l’impression d’une marche normale de la vie parlementaire. » M. le président du conseil parle d’or, quoique dans un langage un peu bizarre. S’il peut obtenir ce qu’il réclame, il aura certainement servi la république plus que tous ceux qui l’ont précédé. Le mal est justement qu’on en est venu à n’avoir plus même une idée des conditions de cette « marche normale, » qu’on s’est fait un jeu d’altérer et de fausser cette « vie parlementaire, » en tout, sous toutes les formes, — et dans la manière dont se font ou se défont les ministères, et dans les rapports des pouvoirs publics. Quand les ministères passent par toutes les métamorphoses, se succèdent et se modifient, se reconstituent le plus souvent avec les mêmes hommes, avec les mêmes programmes ou les mêmes procédés, est-ce que c’est la « vie parlementaire ? » Depuis près de quinze ans on n’a été occupé qu’à organiser une victoire de parti, à se partager le pouvoir « à tous les degrés de la hiérarchie, » comme dit M. le président du conseil, à tout asservir aux calculs d’une domination exclusive et jalouse. Toute la politique des gouvernemens qui se sont succédé s’est réduite à se faire, sous le nom de « concentration républicaine, » des majorités incohérentes, uniquement reliées par des intérêts ou des passions, à se mettre dans la dépendance d’une minorité radicale, dont on ne croyait plus pouvoir se séparer. Pour ne citer que les derniers, M. Loubet a voulu avoir les radicaux, et il leur a livré Carmaux ! M. Ribot a voulu ménager M. Floquet, M. Clemenceau, et par réticence, si ce n’est par un aveu explicite, il s’est fait le complice, presque le protecteur des plus crians abus. Et à ce jeu meurtrier ils se sont tous compromis, ils
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se sont tous usés. Ils ont usé aussi tous les ressorts de l’État, en faussant dans son essence et dans son action le régime parlementaire. On en est venu à cette situation où tout s’est épuisé par l’abus, où il n’y a plus ni majorité réelle ni gouvernement possible. Le ministère nouveau qui vient de naître n’est lui-même que la dernière expression impuissante et peu sérieuse de la « concentration. »
 
Une autre conséquence de cette falsification des institutions, de ce système de pseudo-radicalisme, c’est le trouble qui se produit aujourd’hui dans les pouvoirs publics et qui reste certainement un des points les plus graves delà situation présente. Qu’est-ce à dire ? Depuis plus d’un an déjà, la chambre a reçu le budget de 1893. Elle a eu certes tout le temps de l’examiner, de l’étudier, de le remanier. Il lui a plu d’introduire dans ce budget toute sorte de nouveautés, une réforme du régime des boissons, un essai d’impôt progressif pour les patentes des grands magasins, une taxe nouvelle sur les valeurs de Bourse. Elle s’est de plus donné le plaisir démocratique de voter un certain nombre de petits impôts somptuaires aussi puérils que mal conçus, et avec tout cela elle a si utilement employé son temps qu’elle n’a pu achever son travail pour ouvrir régulièrement l’année financière : si bien qu’on en est aujourd’hui au quatrième douzième provisoire, — qui ne sera peut-être pas le dernier. Qu’est-il arrivé ? Le sénat, en recevant ce budget à la dernière extrémité, à la veille des vacances, s’est mis à son tour à l’étudier sans perdre un instant. Il n’a pas tardé à s’apercevoir que dans cette œuvre décousue, mal combinée, mal équilibrée, tout serait presque à refaire. Il s’est borné cependant à un certain nombre de modifications, il est vrai, assez sérieuses, à un ajournement provisoire de la réforme du régime des boissons. Et qu’on ne dise pas qu’il y a eu ici une intention agressive, une affaire de parti : c’est un des premiers financiers républicains du Luxembourg, M. Boulanger, qui a fait la plus vive, la plus sérieuse critique du budget de la chambre ; c’est M. Boulanger qui, avec son autorité reconnue, a proposé la disjonction du régime des boissons et préparé le budget rectifié que le sénat a sanctionné de son vote. — Aussitôt a éclaté au palais Bourbon une insurrection bruyante contre les « usurpations « sénatoriales. Sion eût écouté M. Lockroy, on eût rejeté en bloc, sans plus de façon, tout ce que le sénat a fait avec réflexion. On s’est contenté d’écarter dédaigneusement, article par article, l’œuvre préparée au Luxembourg, en rétablissant surtout plus que jamais la réforme du régime des boissons dans le budget. Et voilà la guerre allumée ! Voilà la question qui a déjà coûté la vie au dernier ministère, — qui pèse sur le ministère nouveau et sur le pays.
 
Est-ce qu’ici encore c’est la vraie « vie parlementaire ? » Est-ce que la constitution a créé une assemblée souveraine et prépondérante au détriment de l’autre ? Elle a tout uniment donné à la chambre le privilège d’examiner la première les lois d’impôts, les lois de finances, sans
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mettre le moins du monde en doute les prérogatives du sénat. Évidemment le sénat est dans son droit, il exerce le plus simple, le plus utile de ses droits en restant un pouvoir de contrôle et de révision prévoyante, en arrêtant au passage, en réservant tout au moins des réformes improvisées dans un intérêt électoral, en préservant autant qu’il le peut l’ordre financier. Il n’existe que pour cela : c’est sa fonction dans les institutions. S’il ne garde pas l’intégrité de ses droits et de son rôle, il n’est plus en effet, comme on le dit, qu’un « rouage inutile. » Le malheur est que depuis longtemps la chambre, livrée à elle-même, s’est accoutumée à se croire omnipotente, à disposer de tout, des finances comme du reste, à prétendre imposer sa loi, ses prétendues réformes, — que tous les ministères qui se sont succédé depuis dix ans se sont prêtés à ces fantaisies de petite Convention, qu’ils ont tous sacrifié les droits du gouvernement et l’ordre financier pour avoir une majorité. Et c’est ainsi que, par degrés, en cela comme en tout, on est sorti de la vérité constitutionnelle et parlementaire pour tomber dans une sorte d’anarchie où tout se confond et s’abaisse, où, au quatrième mois de l’année, il n’y a pas même un budget. On recueille aujourd’hui ce qu’on a semé ; on se réveille devant ce conflit unique, extraordinaire, qu’une chambre ahurie et incohérente s’est fait un jeu d’ouvrir, tout simplement parce que le sénat a cru devoir exercer ses prérogatives constitutionnelles. Comment sortira-t-on de la ? Comment s’en serait tiré le ministère Méline, — et comment s’en tirera le nouveau ministère Dupuy-Peytral ? On ne peut cependant pas demander au sénat d’abdiquer tous ses droits, de renoncer à ses prévoyances, de laisser tout faire quand il croit les intérêts publics compromis. Il faudra bien finir par trouver un moyen, sous peine de n’avoir pas plus le budget de 1894 que le budget de 1893 et de laisser au pays, au lieu de « l’impression d’une marche normale, » l’impression d’une irrémédiable impuissance, triste fruit de fautes accumulées.
 
Ce qui se dégage de cet amas de désordres et de confusions, c’est le sentiment que cela ne peut plus durer, que la politique de parti qui a fait le mal est épuisée, que le moment est venu de s’affranchir des vieilles servitudes d’une situation usée, de se frayer un nouveau chemin, d’imprimer une allure nouvelle aux affaires de la république. Et ce sentiment est d’autant plus vif qu’on va maintenant à pas pressés vers des élections qui peuvent être décisives, auxquelles tout le monde commence à se préparer. La chambre, qui en est encore à se débattre au palais Bourbon dans ses vaines agitations, ne compte plus guère ; c’est vers le pays qu’on se tourne. Évidemment c’est au pays que s’adressait ces jours derniers le président de la chambre lui-même, M. Casimir-Perier, dans un discours visiblement médité qu’il prononçait devant ses compatriotes de l’Aube et qui ressemble à un programme de gouvernement.
 
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A y regarder de près, il y a bien encore dans ce discours quelques réminiscences de parti, quelques flatteries à des passions vulgaires. Il y a particulièrement cette idée passablement usée qu’il y aurait quelque part en France des hommes qui resteraient les maîtres de la république par droit de conquête, qui garderaient le privilège d’ouvrir ou de fermer les portes, de distribuer les grades et l’influence dans l’armée républicaine selon l’ancienneté des services. Cela a encore un faux air de « concentration » et a l’inconvénient de ressembler à une puérilité prétentieuse, d’autant plus que si le droit de servir le pays dans la république était une affaire de date, on ne sait plus trop à quelle date il faudrait s’arrêter ; mais dans l’ensemble de ce discours de la Chapelle-Saint-Luc, on ne peut le méconnaître, il y a un ton élevé, un accent de libéralisme et de tolérance, un sentiment généreux des progrès réalisables dans la démocratie française et aussi des nécessités supérieures de gouvernement dans notre monde nouveau. M. Casimir-Perier, on le voit, a voulu parler aux instincts sérieux et honnêtes de l’assemblée populaire réunie autour de lui. Et c’est aussi au pays que s’adresse par un récent manifeste une société qui s’est formée sous le nom « d’Union libérale républicaine, » qui a la très légitime prétention d’entrer, sans en demander la permission, dans la république, avec le sentiment d’une situation nouvelle. « L’union libérale » ne cache ni son drapeau ni ses opinions. Elle est ralliée sans arrière-pensée, sans réticence à la république, — « à la république qui appartient à tous, qui n’est le lot d’aucun parti. « Elle n’en est que plus vivement prononcée contre tout ce qui a compromis la république, contre l’esprit de secte, contre la « concentration, » contre le radicalisme qui a divisé et humilié le pays. C’est le programme de ceux qui veulent une république libérale et ouverte. Manifeste de « l’Union » et discours de la Chapelle-Saint-Luc sont les préludes de cette prochaine crise d’élections dont le dénoûment, selon ce qu’il sera, peut laisser la France livrée à ses agitations stériles ou la relever par une politique plus digne d’elle.
 
C’est après tout la destinée de toutes les nations d’avoir leurs momens heureux ou moins heureux, et les affaires des autres peuples ne sont pas si brillantes, si faciles, que la France, avec ses épreuves, puisse passer pour une exception. Une fortune bienveillante épargne du moins, aujourd’hui comme hier, à l’Europe les complications d’où peuvent sortir les grands conflits, et il n’y aurait pas même d’incident apparent dans la vie internationale, si ce n’était une représentation qui se prépare à Rome, à laquelle l’empereur d’Allemagne va donner le lustre de sa présence, toujours un peu bruyante. Le roi Humbert se dispose à célébrer le vingt-cinquième anniversaire de son mariage avec la reine Marguerite, ses noces d’argent, et l’empereur Guillaume a tenu à être de la fête ; il s’est même fait annoncer avec une certaine ostentation. Il va donc se rendre à Rome, où il trouvera encore une fois
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une réception éclatante, quoique peut-être moins enthousiaste qu’à son premier voyagé, il y a quelques années. Guillaume II, en préparant sa seconde apparition à Rome, n’a-t-il eu d’autre mobile que de témoigner ses sympathies au roi Humbert, de faire honneur à l’amitié qui lie les deux souverains ? Il est bien possible qu’il y ait aussi de la politique dans ce voyage. Guillaume II, d’après toutes les apparences, aura tenu à réchauffer par sa présence et par ses démonstrations les sentimens italiens un peu refroidis depuis quelque temps pour la grande alliée ; il aura voulu donner une représentation nouvelle de la triple alliance, témoigner son intérêt pour l’armée italienne, pour la flotte italienne qu’il doit visiter. Rien ne manquera ni à Rome, ni ailleurs. Les Romains trouveront bien peut-être que les réceptions sont un peu coûteuses parce temps de détresse financière ; mais ils seront dédommagés par le spectacle, par les revues, par les complimens, — et au pis-aller la visite impériale pourrait faire une diversion momentanée aux ennuis de cette éternelle crise des banques qui est devenue une crise parlementaire. Malheureusement les illuminations et les fêtes passeront. Les ennuis restent, et l’empereur Guillaume ne peut empêcher que cette triste affaire, compromettante pour bien des hommes publics, déjà fertile en incidens, ne reste une source d’embarras pour le ministère, pour le roi lui-même. Cette évocation un peu factice de la triple alliance à Rome n’est pas le remède à tous les maux intérieurs.
 
Telle est la marche des choses du temps que les préoccupations de diplomatie, de la triple ou de la quadruple alliance ne sont pas ce qui domine aujourd’hui dans les affaires de l’Europe. Il y a dans notre vieux monde assez de questions d’organisation, de progrès social qui ne cessent de s’agiter, qui passionnent les peuples et les parlemens. Il y a, en Angleterre, cette curieuse et émouvante campagne conduite par un vieillard, premier ministre de la reine, impatient de finir sa carrière par un grand acte d’équité nationale, de réparation libérale en faveur de l’Irlande. Avant de laisser ses chambres prendre leurs vacances de Pâques, M. Gladstone avait fait décider que la seconde lecture de son bill du ''home-rule'' serait le premier objet dont s’occuperait le parlement à son retour. Dès la fin de ces courtes vacances, en effet, ces jours passés, le bill du ''home-rule'' est revenu à la chambre des communes, et, cette fois, c’est M. Gladstone qu’on disait récemment encore malade, c’est M. Gladstone lui-même qui a ouvert la discussion par un de ces discours où il se retrouve tout entier avec son élévation d’esprit, sa dextérité et une ardeur qui ne vieillit pas. Il a réussi à rajeunir une question épuisée. Deux heures durant, il a captivé les communes par son éloquence, mettant tout son feu à exposer la grandeur morale de la réforme et tout son art à pallier les faiblesses de son projet. Il a d’avance réfuté victorieusement tout ce qu’ont pu lui opposer ses adversaires, sir Michaël Hicks-Beach, M. Chamberlain.
 
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Assurément, rien n’est plus saisissant que tout ce qu’a dit M. Gladstone sur la nécessité d’effacer une vieille iniquité, sur l’exemple de puissance morale que donne un grand État comme l’Angleterre, en restituant ses droits à une nation trop longtemps éprouvée. Il a donné à son bill lé beau lustre d’un acte de générosité, qui serait en même temps un acte de prévoyance politique et, s’il n’a pas persuadé tout le monde dans le parlement, il est à peu près sûr d’avoir sa majorité. Malheureusement il n’est pas au bout des difficultés qu’il va rencontrer partout, sous toutes les formes, que ses adversaires s’étudient à multiplier et à aggraver. Il les rencontre déjà dans le dernier refuge de l’orangisme en Irlande, dans l’Ulster qui s’agite contre le ''home rule'', où M. Balfour, le brillant leader conservateur, allait récemment exciter les passions de résistance et de guerre intestine. Mais ce n’est pas tout, ce n’est même là, si l’on veut, qu’un fait d’opposition partielle, locale. Une difficulté constitutionnelle plus grave est inévitable. M. Gladstone aura la majorité dans les communes, il ne l’aura pas dans la chambre des lords, citadelle du torysme, du vieil esprit orangiste. Que fera-t-il dès lors ? S’il ne fait rien ou s’il attend une occasion de présenter de nouveau son bill, il risque de décourager, de s’aliéner les Irlandais qui font sa majorité. S’il veut agir, vaincre la résistance des lords, il n’a plus d’autre ressource que de tenter la réforme de la pairie anglaise. Peut-il bien à son âge, au milieu des conflits d’opinions qui divisent l’Angleterre, engager une lutte où seraient en jeu toutes les traditions britanniques, les garanties constitutionnelles, sans compter de puissans intérêts de caste ? Voilà la question : elle est aussi sérieuse que délicate. Elle n’est peut-être pas sans laisser entrevoir pour l’Angleterre un avenir difficile.
 
Les grandes réformes qui touchent aux traditions, aux institutions d’un pays sont évidemment toujours graves ; elles ne sont jamais aisées, et la Belgique, quoique dans un cadre plus modeste, en fait à son tour aujourd’hui l’expérience avec cette révision constitutionnelle qui met tous les esprits, les pouvoirs publics eux-mêmes en mouvement. Réviser une constitution qui a donné soixante années de paix à un pays, modifier et étendre les conditions de l’électorat politique, le cadre même de la vie publique, c’est bientôt dit dans les polémiques, dans les discours ; la difficulté est toujours d’en venir à la réalité, à des combinaisons pratiques. Depuis six mois les deux chambres belges qui forment un parlement constituant sont occupées justement à chercher ces moyens pratiques, une formule qui puisse réunir les deux tiers des voix nécessaires. Depuis quelques semaines particulièrement, la discussion s’est engagée, non sans une certaine confusion, entre tous les systèmes. A quoi allait-on se décider ? Irait-on jusqu’au suffrage universel pur et simple que réclament bruyamment les masses populaires, — ou soumettrait-on le suffrage
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universel à des conditions d’âge et de résidence ? Exigerait-on des garanties de capacités, ne fût-ce que l’instruction la plus élémentaire, savoir lire et écrire ? Attacherait-on l’électorat à l’habitation, comme en Angleterre ? Serait-on pour le vote unique ou pour le vote « plural, » c’est-à-dire pour un double vote accordé aux pères de famille ? Catholiques, libéraux, droite, gauche modérée, extrême gauche, chacun a porté son idée ou sa chimère. C’est le conflit ouvert entre tous les systèmes qui ont été passés en revue, sans qu’on ait paru plus avancé jusqu’à ces derniers jours. Le chef du ministère, M. Beernaert, et M. Frere-Orban semblaient pourtant tout près de s’entendre sur une combinaison mixte, lorsque tout à coup a surgi une proposition inattendue de M. de Kerchove, qui consistait tout simplement à ne rien décider dans la constitution et à appliquer provisoirement à l’électorat politique les conditions de l’électorat communal, — en attendant une loi définitive. C’était comme un aveu d’impuissance et un ajournement indéfini de la révision.
 
Comment se débrouiller dans ce fouillis de propositions et de contre-propositions ? Le plus simple était d’en finir avec une discussion qui ne servait plus à rien, d’en venir sans plus de retard au vote, et c’est ce qui est arrivé. On a procédé par une série d’éliminations. Du premier coup, le suffrage universel pur et simple a été mis hors de combat et rejeté à une immense majorité ; d’autres propositions ont été successivement repoussées. Malheureusement les premiers votes du parlement n’ont pas été reçus sans impatience au dehors. L’émotion s’est promptement répandue dans les centres industriels, comme à Bruxelles. Manifestations et bagarres plus ou moins révolutionnaires ont commencé, et les chefs populaires vont même jusqu’à menacer d’une grève générale. On est aujourd’hui en pleine crise. Ce qu’il y aurait probablement de plus sage pour le parlement serait de se ressaisir dans une dernière délibération, de s’arrêter à une large transaction qui admettrait le suffrage universel avec des garanties, et de délivrer ainsi la Belgique des périls d’une agitation indéfinie.
 
 
CH. DE MAZADE.
 
 
LE MOUVEMENT FINANCIER DE LA QUINZAINE.
 
Depuis la constitution du nouveau ministère et la séparation des chambres, la rente 3 pour 100 a subi un assez vif mouvement de baisse qui l’a ramenée de 97 francs aux environs de 96. C’est moins à la
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politique, toutefois, qu’il convient d’attribuer cette réaction qu’à un facteur purement mécanique, les réalisations quotidiennes de la Caisse des dépôts et consignations.
 
Quelques spéculateurs ont dit que le nouveau ministre des finances, M. Peytral, n’était pas ''persona grata'' à la Bourse, où l’on avait conservé le souvenir de sa campagne pour l’impôt sur le revenu. Mais on ne vend pas de rentes sur des raisons de sentiment, ou, si le cas vient à se produire, des ventes de ce genre ne font sur les cours qu’une impression très fugitive. Les ventes de la Caisse des dépôts constituent au contraire un élément permanent de faiblesse. Le marché les a pendant plusieurs semaines supportées sans broncher. Aujourd’hui leur action semble devenue plus sensible.
 
Les retraits de fonds aux caisses d’épargne ont encore dépassé les apports nouveaux d’environ 15 millions de francs pendant les premiers dix jours d’avril, et, dans ce montant, la caisse d’épargne de Paris figure pour 600,000 francs. L’excédent des retraits depuis le 1{{er}} janvier dernier atteint 175 millions de francs pour les caisses d’épargne ordinaires et il est probable qu’il dépasse 40 millions pour la caisse d’épargne postale. On ne peut tirer de ce phénomène aucun argument défavorable contre les caisses d’épargne. Au contraire, on voit l’institution, après avoir dévié longtemps, sous l’influence de causes diverses, de son véritable objet, se corriger en quelque sorte d’elle-même sous l’action d’une seule cause, l’abaissement du taux de l’intérêt servi aux dépôts. Alors que l’intérêt dépassait 3 1/2, un grand nombre de petits ou moyens capitalistes ont porté aux caisses leurs fonds disponibles jusqu’aux limites du maximum, fixé à 2,000 francs. Peu à peu, les caisses devenaient de simples banques de dépôt, offrant à leur clientèle des avantages exceptionnels ; de là ce succès si grand, excessif, et cet afflux de fonds par centaines de millions pendant plusieurs années. Mais, aujourd’hui, l’intérêt servi ne dépasse plus, et même n’atteint pas tout à fait, celui que donnent la rente et plusieurs autres valeurs similaires. Les titulaires des plus forts dépôts ont dès lors calculé qu’il leur serait plus avantageux de placer eux-mêmes directement leurs fonds que de les laisser aux caisses ; chacun d’eux retire donc, soit la totalité de son dépôt, soit la plus forte partie, une somme variant de 1,000 à 1,500 francs. Les petits déposans qui n’ont pas les mêmes préoccupations de placement et à qui importe peu le taux d’intérêt servi, à cause de la modicité du capital, continuent d’ajouter lentement à leur pécule par l’apport de petites sommes, et la caisse d’épargne se trouve rendue ainsi tout naturellement à sa véritable destinée. Seulement, les cinq cents caisses, dans ce double mouvement, n’ont reçu, du 1er au 10 avril, que 3 millions de petits dépôts, tandis qu’elles ont eu à restituer 18 millions sur les dépôts plus importans auxquels elles avaient indûment donné abri.
 
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La Caisse des dépôts et consignations, pour faire face à ces remboursemens, vend des rentes aussi mécaniquement qu’elle en achetait quand chaque décade apportait son excédent de dépôts nouveaux. Aussi longtemps que la Caisse a acheté des rentes en Bourse, à raison d’un million environ en capital chaque jour, la hausse était inévitable, à travers les mouvemens variables que pouvaient provoquer les incidens. La marche du 3 pour 100 au pair a pu être aisément prédite et s’est réalisée avec une ponctualité mathématique.
 
Aujourd’hui, non-seulement la Caisse des dépôts n’achète plus, elle vend chaque jour des rentes pour un capital de plus d’un million, et de même que naguère les achats, suivis forcément de levées immédiates de titres, faisaient le vide sur la place, de même aujourd’hui les ventes, suivies de livraisons, produisent une abondance de titres flottans, et la baisse s’en est suivie, aussi inévitable que l’avait été la haussé ou la fermeté jusqu’à la fin de 1892.
 
En fait, le 3 pour 100 s’est peu à peu éloigné du pair, et n’est plus maintenant qu’à 96 francs. Les agitations politiques causées par l’affaire de Panama ont bien eu leur part dans ce mouvement de défaveur ; un habile mouvement de spéculation a pu précipiter un moment la rente à 93 francs. Mais elle s’est relevée au-dessus de 98 et se serait fort probablement maintenue tout au moins à ce niveau, si le taux d’intérêt servi aux dépôts des caisses d’épargne n’avait été abaissé à partir du 1{{er}} janvier.
 
La rente amortissable a partagé le sort du fonds perpétuel. Le 4 1/2, au contraire, est resté très ferme et se tient à son plus haut cours, soit 106.90.
 
Parmi les fonds étrangers, les plus favorisés ont été la rente Extérieure d’Espagne et le 3 pour 100 portugais. L’Extérieure avait été portée jusqu’à 68 1/2 avant le détachement du coupon trimestriel qui a eu lieu le 7 courant. Une réaction bien naturelle, après sept points de hausse, l’a fait reculer en deux Bourses à 66.50, mais le 12 courant, des demandes très actives l’ont relevée à 67.50 ex-coupon, c’est-à-dire à son plus haut prix. En même temps les actions des chemins espagnols ont repris leur marche. Le Nord de l’Espagne, parti de 170 en liquidation, s’est avancé à 182.50 ; le Saragosse s’attarde à 217.50 ; les Andalous ont atteint 377.50. Les recettes des Compagnies sont satisfaisantes, le change s’est un peu amélioré. Le dernier bilan de la Banque d’Espagne accusait une forte augmentation de la circulation fiduciaire, causée sans doute par les besoins du trésor pour l’échéance de la dette. Le parlement espagnol est réuni ; dès que la chambre se sera constituée par la vérification des pouvoirs, M. Gamazo présentera son projet de budget si impatiemment attendu pour les réformes qu’il doit proposer à l’examen des Cortès.
 
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La rente portugaise a dépassé 23. Les intéressés supposent que le nouveau cabinet est sérieusement disposé à étudier les moyens de donner aux créanciers du royaume toutes les satisfactions que comporte l’état des finances. Aucune négociation n’est encore toutefois engagée. L’affaire des Chemins portugais, d’autre part, semble réserver aux obligataires un sort un peu moins désastreux qu’on ne l’avait craint d’abord. Les obligations de la Régie des tabacs de Portugal se tiennent assez fermes à 358. Les actions de cette Société ont été récemment admises à la cote officielle.
 
Un emprunt brésilien 5 pour 100 vient d’être lancé à Londres pour près de 4 millions de livres sterling à 80 pour 100. Ce taux avantageux a provoqué d’assez nombreux arbitrages contre le 4 pour 100 qui a fléchi de 72 à 68.50 ex-coupon.
 
La Bourse du 13 courant a vu de nouveau fléchir les cours de la rente 3 pour 100 et de la plupart des fonds étrangers. Notre fonds national a reculé à 95.85, l’Extérieure a perdu une demi-unité, le Portugais et le Brésilien ont été lourds, sur le bruit de l’insuccès de l’emprunt en 5 pour 100 du Brésil émis à Londres. Sur cette dernière place on se montre plus inquiet que dans ces derniers temps, au sujet des finances helléniques qu’il parait bien malaisé d’étayer au moyen d’un nouvel emprunt. On s’est en outre occupé des désordres qu’a fait éclater à Bruxelles le rejet successif de toutes les propositions de révision constitutionnelle. Enfin, le public financier n’a pas été peu surpris sur notre place, en apprenant que le projet de budget pour 1894, tel qu’il ressort des premières prévisions des divers ministères, accuse 150 millions de dépenses de plus que celui de 1893.
 
Les valeurs russes sont restées à peu près aux cours de la dernière liquidation, déduction faite du montant des coupons détachés sur le Consolidé 4 pour 100 et sur le 3 pour 100 1891. Les valeurs ottomanes, après une velléité de hausse, sont revenues au niveau du début du mois. Les promoteurs de l’entreprise du chemin de fer Salonique-Constantinople seraient disposés, si l’état du marché le permet, à émettre avant la un d’avril une partie du capital-obligations nécessaire à la construction de la ligne.
 
Le marché de Vienne a perdu quelque peu de sa fermeté. Le Hongrois a reculé de 75 centimes à 96.25, les Lombards de 10 francs à 258.75, le Crédit foncier d’Autriche de 10 francs à 1,195.
 
 
''Le directeur-gérant'' : CH. BULOZ.