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devenu président de la république, où l’adulte change plusieurs fois de carrière et doit, pour s’improviser chaque fois une compétence, posséder les élémens de toutes les connaissances, où la femme, étant pour l’homme un objet de luxe, ne travaille pas, de ses bras, à la terre, et ne travaille presque pas, de ses mains, au ménage. — Il n’en est pas de même en France : sur dix élèves de l’école primaire, neuf, fils ou filles de paysans et d’ouvriers, resteront dans la condition de leurs parens ; la fille, adulte, fera toute sa vie, à domicile ou chez autrui, le blanchissage et la cuisine ; le fils, adulte, confiné dans un métier, fera toute sa vie la même œuvre manuelle dans un atelier, dans son échoppe, sur son champ ou sur le champ d’autrui. Entre cette destinée de l’adulte et la plénitude de son instruction primaire, la disproportion est énorme ; manifestement, son éducation ne le prépare point à sa vie, telle qu’il l’aura, mais à une autre vie, moins monotone, moins restreinte, plus cérébrale, et qui, vaguement entrevue, le dégoûtera de la sienne [1] ; du moins, elle l’en dégoûtera longtemps et à plusieurs reprises, jusqu’au jour où ses acquisitions scolaires, toutes superficielles, se seront évaporées au contact de l’air ambiant et ne lui apparaîtront plus que comme des phrases vides : en France, pour un paysan ou un ouvrier ordinaire, tant mieux quand ce jour-là vient tôt.

A tout le moins, les trois quarts de ces acquisitions sont pour lui superflues : il n’en tire profit ni pour son bonheur intime, ni pour son avancement dans le monde ; et pourtant il est tenu de les faire toutes. En vain, le père de famille voudrait en limiter l’étendue, borner l’approvisionnement mental de ses enfans aux connaissances dont ils feront usage, à la lecture, à l’écriture, aux quatre règles, n’employer à cela que le temps nécessaire, la saison opportune, trois mois d’hiver pendant deux ou trois hivers, garder au logis la fille de douze ans pour aider la mère et prendre soin des derniers nés, garder à ses côtés son fils de dix ans pour paître son troupeau ou piquer ses bœufs devant sa charrue [2]. A l’endroit de ses

  1. Parmi les élèves qui reçoivent cette instruction primaire, les plus intelligens et es plus appliqués poussent plus avant, passent un examen, obtiennent le petit brevet qui les qualifie pour l’enseignement élémentaire. En voici les conséquences. Tableau comparatif publié par la préfecture de la Seine des emplois annuellement vacans dans ses divers services, et des candidats inscrits pour ces emplois (Débats, 16 septembre 1890) : Emplois vacans d’instituteurs, 42 ; nombre des candidats inscrits, 1,847. Emplois vacans d’institutrices, 54 ; nombre des aspirantes inscrites, 7,139. — 7,085 de ces jeunes filles, instruites et brevetées, ne pouvant être placées, doivent se résigner à épouser un ouvrier ou à se faire femmes de chambre, et sont tentées de devenir des lorettes.
  2. Dans certains cas, la commission scolaire, instituée auprès de chaque école, peut accorder des dispenses. Mais il y a deux ou trois partis dans chaque commune, et le père de famille doit être bien avec le parti dominant pour obtenir ces dispenses.