« Mémoires de Victor Alfieri, d’Asti » : différence entre les versions

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Je terminerai ici cette seconde partie. Je m'a­perçois trop bien que j'y ai fait entrer une foule de minuties, qui vont la rendre plus insipide encore, peut-être, que la première. Je conseille donc au lecteur de s'y arrêter aussi peu, ou plutôt de la franchir à pieds joints, puisque enfin, pour tout résumer en deux mots, ces huit années de mon adolescence ne sont que maladies, oisiveté et igno­rance.
 
== Troisième époque - Jeunesse ==
== TROISIÈME ÉPOQUE. ==
 
JEUNESSE.
 
'''Elle embrasse environ dix années de voyages et de dérè-glemens.'''
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Premier voyage. — Milan. — Florence. — Rome.
 
Le 4 octobre 1766, dans la matinée, avec ce 1766. transport inexprimable que l'on me connaît, après avoir passé toute la nuit àm'égarer en pensées folles, sans pouvoir un moment fermer l'œil, je partis pour ce voyage tant désiré. Nous étions dans la Voiture, les quatre maîtres que vous savez ; ve­nait ensuite une calèche, où étaient deux domes­tiques; deux autres occupaient le siège de notre voiture, et mon valet de chambre était à cheval en courrier. Mais ce n'était plus ce petit vieillard qui m'avait été donné trois ans auparavant, en manière de précepteur ; celui-là, je l'avais laissé à Turin. Ce nouveau valet de chambre dont je parle était un certain François Élie, qui avait demeuré une vingtaine d'années auprès de mon oncle, et qui, depuis sa mort, en Sardaigne, était passé à mon service. Il avait déjà voyagé, avec le susdit oncle, en France, en Angleterre, en Hollande, deux fois en Sardaigne. C'était un homme d'une rare intelli­gence, d'une activité peu commune, et qui, valant à lui seul mieux que nos quatre autres serviteurs pris en masse, sera désormais le véritable ''protago­niste ''dans la comédie de ce voyage. Il en fut im­médiatement le seul et vrai pilote, attendu notre incapacité absolue à nous autres huit, jeunes gar­çons ou vieux enfans.
 
Notre première station fut à Milan, où nous res­tâmes environ quinze jours. Pour moi, qui avais déjà vu Gènes deux ans auparavant, et qui étais accou­tumé à la magnifique position de Turin, celle de Milan ne devait et ne pouvait me plaire en rien. Les merveilles qu'il pouvait y avoir à visiter, je ne les vis point, ou je les vis mal, au pas de course, en homme fort ignorant, et qui n'avait de goût pour aucun art utile ou agréable. Je me rappelle entre autres qu'à la bibliothèque Ambroisienne, le bibliothécaire m'ayant mis entre les mains je ne sais plus quel manuscrit autographe de Pétrarque, moi, en vrai barbare, en digne AUobroge que j'étais, je le jetai là, en disant que je n'avais qu'en faire. Je crois bien que dans le fond du cœur j'avais contre ce Pé­trarque un reste de rancune. Quelques années au­paravant, pendant que je faisais ma philosophie, Pétrarque m'étant tombé entre les mains, je l'avais ouvert, au hasard, par le milieu, au commence­ment et à la fin ; et, en ayant lu ou épelé tout au plus quelques vers, je n'y avais rien compris ni pu saisir aucun sens ; aussi l'avais-je condamné, faisant cho-chorus en ceci avec les Français et avec tout le peuple des ignorans présomptueux ; et le tenant pour un parfait ennuyeux, grand diseur de subtilités et de fadeurs, on ne s'étonnera plus que j'accueillisse si bien ses inappréciables manuscrits.
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en France, en Angleterre, en Hollande, deux fois en Sardaigne. C'était un homme d'une rare intelli­gence, d'une activité peu commune, et qui, valant à lui seul mieux que nos quatre autres serviteurs pris en masse, sera désormais le véritable ''protago­niste ''dans la comédie de ce voyage. Il en fut im­médiatement le seul et vrai pilote, attendu notre incapacité absolue à nous autres huit, jeunes gar­çons ou vieux enfans.
 
Notre première station fut à Milan, où nous res­tâmes environ quinze jours. Pour moi, qui avais déjà vu Gènes deux ans auparavant, et qui étais accou­tumé à la magnifique position de Turin, celle de Milan ne devait et ne pouvait me plaire en rien. Les merveilles qu'il pouvait y avoir à visiter, je ne les vis point, ou je les vis mal, au pas de course, en homme fort ignorant, et qui n'avait de goût pour aucun art utile ou agréable. Je me rappelle entre autres qu'à la bibliothèque Ambroisienne, le bibliothécaire m'ayant mis entre les mains je ne sais plus quel manuscrit autographe de Pétrarque, moi, en vrai barbare, en digne AUobroge que j'étais, je le jetai là, en disant que je n'avais qu'en faire. Je crois bien que dans le fond du cœur j'avais contre ce Pé­trarque un reste de rancune. Quelques années au­paravant, pendant que je faisais ma philosophie, Pétrarque m'étant tombé entre les mains, je l'avais ouvert, au hasard, par le milieu, au commence­ment et à la fin ; et, en ayant lu ou épelé tout au plus quelques vers, je n'y avais rien compris ni pu saisir aucun sens ; aussi l'avais-je condamné, faisant cho-
 
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rus en ceci avec les Français et avec tout le peuple des ignorans présomptueux ; et le tenant pour un parfait ennuyeux, grand diseur de subtilités et de fadeurs, on ne s'étonnera plus que j'accueillisse si bien ses inappréciables manuscrits.
 
Au reste, comme, en partant pour ce voyage d'une année, je n'avais pris avec moi d'autres livres que quelques voyages d'Italie, et tous en français, je faisais chaque jour de nouveaux progrès vers la perfection de cette barbarie où j'étais déjà si fort avancé. Avec mes compagnons de voyage, la con­versation avait toujours lieu en français,'et dans quelques maisons de Milan où j'allais avec eux, c'était toujours aussi le français que l'on parlait. Ainsi ces ombres d'idées que j'arrangeais dans ma pauvre cervelle n'étaient jamais vêtues que de haillons français ; si j'écrivais quelque lambeau de lettre, c'était aussi en français, et quand je vou-- lais recueillir quelques ridicules souvenirs de mon voyage, c'était encore du français que je barbouil­lais, et le tout fort mal, n'ayant appris que du ha­sard cette langue travestie. Si jamais j'en avais su la plus petite règle, je n'avais garde de m'en sou­venir; mais l'italien, je le savais beaucoup moins encore : j'expiais ainsi le malheur d'être né dans un pays amphibie, et la belle éducation que j'y avais reçue.
 
Après un séjour d'environ deux semaines, nous partîmes de Milan. Les sots mémoires que j'écri­vais alors sur mes voyages furent bientôt après corrigés de ma propre main et par le feu, comme
 
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ils le méritaient ; je ne veux pas les recommencer ici, et perdre du temps à détailler, plus que de rai­son, ces voyages d'un enfant. Les pays, d'ailleurs, sont assez connus. Je ne dirai donc rien, ou fort peu de chose, des différentes villes que je visitai en Vandale, étranger aux beaux-arts, et ne parle­rai que de moi, puisque, après tout, c'est là le mal­heureux sujet que j'ai entrepris de traiter dans cet ouvrage.