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Ah ! mon Dieu ! ce n’est pas contre les idées romanesques qu’il faut mettre en garde la génération présente… le danger n’est pas là pour le moment… Et puis, je ne comprends pas cette manie qu’on a d’opposer toujours la passion au devoir, — la passion par-ci, le devoir par-là, — comme si l’un était nécessairement le contraire de l’autre… Mais on peut mettre la passion dans le devoir… et non-seulement on le peut, mais on le doit… car le devoir tout seul est bien sec, je vous assure… Vous dites qu’il n’est pas poétique ? .. C’est parfaitement mon avis… mais il faut qu’il le devienne pour qu’on ait du plaisir à le pratiquer… et c’est précisément à poétiser le vulgaire devoir, que servent ces dispositions romanesques contre lesquelles on lance l’anathème.

C’est une grand’mère qui parle, à des jeunes gens, à des jeunes filles, et son langage aisé n’a pas sans doute la précision ni le pédantisme de celui d’un théoricien du romanesque, mais on entend assez ce qu’elle veut dire ; et elle le dit assez clairement pour que ce soit le romancier qui parle par sa bouche.

Le romanesque et l’optimisme ont donc consisté pour lui, non point du tout à croire qu’une providence, une fortune, ou un hasard propice finissaient toujours par « arranger » les choses, puisque personne, à vrai dire, n’a écrit des romans plus tragiques, dont les dénoûmens soient plus cruels, sanglans, et irréparables. Sous ce rapport, aux romans de Balzac, les romans de Feuillet sont à peu près ce que sont les tragédies de Corneille aux comédies de Molière : ils sont aux romans de George Sand, — qui finissent presque toujours trop bien, par quelque bon mariage ou par quelque adultère confortable, — ce que la tragédie de Racine est aux comédies de Marivaux. N’est-ce pas dire encore que le romanesque n’a pas non plus consisté pour lui dans l’extraordinaire des aventures ou dans l’invraisemblance des événemens : — de même que le Village, la Crise, l’Ermitage, la Clef d’or sont des scènes de la vie réelle ; — ni dans l’idéalisation des personnages : — M. de Camors ou M. de Maurescamp, par exemple, dans l’Histoire d’une Parisienne, pour ne rien dire de Mme de Campvallon, de Julia de Trécœur, ou de Sabine Tallevaut, dans la Morte, ne sont pas très éloignés d’être de simples criminels ? Ou bien le trouverait-on « romanesque » peut-être, d’avoir mis en scène dans ses romans tant de comtesses et tant de marquis, au lieu de chefs de gare et de demoiselles de magasin ? .. Mais tout ce qu’il faut dire, c’est qu’il a commencé par croire la vie plus facile et l’humanité meilleure qu’elles ne le sont ; le devoir plus agréable ; et la passion plus aisée, je ne dis pas précisément à vaincre, mais à diriger.