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LA VIE DE NIETZSCHE.

ï ultra-aristocratiques puisqu’elles reposaient sur l’esclavage. Eh bien ! acceptons l’esclavage ! Auguste Wolf a démontré que l’es- clavage est nécessaire à la culture. C’est effroyable; mais c’est peut-être vrai, quoique effroyable: « Il se peut que cette révé- lation nous remplisse d’effroi ; mais un effroi, tel est l’effet presque nécessaire de toute connaissance qui cesse d’être superficielle. La nature demeure quelque chose d’effroyable, même quand elle se bande pour former ses formes les plus belles. Elle est faite de telle sorte que la culture, en sa marche triomphale, ne profite qu’à une minorité infime de mortels privilégiés et qu’il est né- cessaire, si l’on veut atteindre au plein épanouissement de l’art, que les masses restent esclaves... Et s’il est vrai de dire que les Grecs périrent de l’esclavage, peut-être il est plus vrai encore de dire que faute d’esclavage nous périssons... » — C’est de ces idées qu’est sortie en 1871 V Origine de la Tragédie. Et il se demandait : « V Ennoblissemeyit est-il possible? — ht Veredlung mœglich? » Et il répondait, dans une série de confé- rences qui fut interrompue par son état maladif: peut-être fau- drait-il deux sortes d’écoles, les unes, simplement profession- nelles pour tous; les autres, vraiment classiques, vraiment supérieures, pour un nombre infime d’individus choisis en raison de leurs aptitudes et qui seraient continuées jusqu’à la trentième année. Son rêve aristocratique continuait. Son rêve wagnérien ne continua pas. Il fut brusquement rompu en 1875. C’est Bayreuth qui brouilla Nietzsche et Wagner. Wagner y parut à Nietzsche entrepreneur, manager et un peu cabotin. Il mit du froid dans ses relations. Il s’abstint de répondre aux invitations, très cordiales vraiment, que lui adres- sait Wagner, à reprendre le convivium d’autrefois. Il publia une brochure sur la Maladie historique, où il n’était pas nécessaire, mais où il pouvait être assez naturel qu’il fût parlé de Wagner et où Wagner n’était pas nommé. M"" Wagner, l’intelligente et fine Cosima Wagner, reprocha à Nietzsche ce péché d’omission et avec raison, trop avec raison, lui fit entendre qu’il devait beaucoup aux Wagner : « C’est la part qu’il vous a été donné de prendre aux souffrances du génie qui vous a rendu capable de prononcer sur notre culture un jugement d’ensemble, et c’est d’elle que vos travaux empruntent cette merveilleuse chaleur qui, j’en suis convaincue, continuera longtemps d’agir après que nos étoiles de gaz et de pétrole seront éteintes. Peut-être