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798 REVUE DES DEUX 3I0NDES.

... Ma sagesse sauvage est une lionne. Elle est devenue enceinte dans les
... Ma sagesse sauvage est une lionne. Elle est devenue enceinte dans les
montagnes solitaires; sur de rudes pierres elle a mis au monde son plus
montagnes solitaires ; sur de rudes pierres elle a mis au monde son plus
jeune lionceau.
jeune lionceau.

Et maintenant elle court follement à travers le désert et cherche un doux
Et maintenant elle court follement à travers le désert et cherche un doux
gazon — ma vieille sagesse.
gazon — ma vieille sagesse.
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Ce morceau donne une idée du puissant lyrisme de Nietzsche.
Ce morceau donne une idée du puissant lyrisme de Nietzsche.
Une prose qui a les emportemens de l’ode, l’écume fougueuse,
Une prose qui a les emportemens de l’ode, l’écume fougueuse,
le mugissement profond des torrens alpestres. Remarquez
le mugissement profond des torrens alpestres. Remarquez
l’étrange té de cet amour qui finit en haine et en imprécations.
l’étrange té de cet amour qui finit en haine et en imprécations.
Remarquez aussi l’analogie de cet impétueux départ avec les che-
Remarquez aussi l’analogie de cet impétueux départ avec les
vauchées tempétueuses de Wotan dans la Valkyrie et dans Sieg-
chevauchées tempétueuses de Wotan dans la ''Valkyrie'' et dans
fried. Zarathoustra, le briseur de chaînes, n’a pas si bien secoué
''Siegfried''. Zarathoustra, le briseur de chaînes, n’a pas si bien secoué
la sienne qu’il le croit. L’ombre de Wagner s’étend sur sa mon-
la sienne qu’il le croit. L’ombre de Wagner s’étend sur sa
tagne. Le disciple, en fuyant le maître, lui a dérobé un morceau
montagne. Le disciple, en fuyant le maître, lui a dérobé un morceau
de son masque, un lambeau de son manteau magique.
de son masque, un lambeau de son manteau magique.

Nous voici dans les îles bienheureuses, du moins, je le sup-
Nous voici dans les îles bienheureuses, du moins, je le
pose aux promontoires hardis, aux cimes de verdure, aux golfes
suppose aux promontoires hardis, aux cimes de verdure, aux golfes
d’azur, aux mers foncées où le soleil couchant jette ses masses
d’azur, aux mers foncées où le soleil couchant jette ses masses
d’or liquide. Car la pensée du prophète fend les airs, et nous
d’or liquide. Car la pensée du prophète fend les airs, et nous
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n’entendons toujours que le monologue du solitaire, et puis ce
n’entendons toujours que le monologue du solitaire, et puis ce
sont de nouvelles satires plus violentes, plus amères contre la
sont de nouvelles satires plus violentes, plus amères contre la
société qu’il vient de quitter. Il en veut « à la racaille écrivas-
société qu’il vient de quitter. Il en veut « à la racaille
sière « qui empoisonne toutes les sources ; aux prêcheurs d’éga-
écrivassière « qui empoisonne toutes les sources ; aux prêcheurs
lité, qu’il appelle « des tarentules de haine et d’envie » ; aux
d’égalité, qu’il appelle « des tarentules de haine et d’envie » ; aux
sages célèbres « qui ne sont vénérés que parce qu’ils servent la
sages célèbres « qui ne sont vénérés que parce qu’ils servent la
superstition des foules, bêtes de trait qui se laissent atteler comme
superstition des foules, bêtes de trait qui se laissent atteler comme
des bœufs au chariot du peuple, ou comme de petits ânes à l’équi-
des bœufs au chariot du peuple, ou comme de petits ânes à
page d’un grand politique » ; aux philosophes solennels « qui
l’équipage d’un grand politique » ; aux philosophes solennels « qui
marchent la poitrine bombée, l’air sublime, mais dont le regard
marchent la poitrine bombée, l’air sublime, mais dont le regard
est celui d’un fauve mal dompté, et qui ont toujours l’air d’un
est celui d’un fauve mal dompté, et qui ont toujours l’air d’un
sanglier accroupi dans sa bauge » .
sanglier accroupi dans sa bauge » .

Il ne peut souffrir les savans. « On reste affamé à leur table
Il ne peut souffrir les savans. « On reste affamé à leur table
pendant qu’ils croquent la vérité comme on croque des noix. Ils
pendant qu’ils croquent la vérité comme on croque des noix. Ils
sont pareils à des sacs de farine enveloppés d’un nuage de pous-
sont pareils à des sacs de farine enveloppés d’un nuage de
sière. Qui se douterait que cette poussière vient des blés et de la
poussière. Qui se douterait que cette poussière vient des blés et de la
joie dorée des moissons? » Les plus maltraités sont les poètes
joie dorée des moissons ? » Les plus maltraités sont les poètes
(( qui savent peu et apprennent mal, c’est pour cela qu’ils sont
« qui savent peu et apprennent mal, c’est pour cela qu’ils sont
forcés de mentir. Ils falsifient leur vin et font dans leur cave plus
forcés de mentir. Ils falsifient leur vin et font dans leur cave plus
d’une mixture empoisonnée et indescriptible. Et parce qu’ils
d’une mixture empoisonnée et indescriptible. Et parce qu’ils