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{{Tiret2|or|gueil}} blessé du disci])l(3 en fut la cause première et secrète (1).
{{Tiret2|or|gueil}} blessé du disciple en fut la cause première et secrète <ref>{{Mme}} Salomé raconte qu’en 1882 elle se trouvait à Bayreuth lors de la
représentation de ''Parsifal'', et qu’une amie commune de Nietzsche et de Wagner, {{Mlle}}
Malvida de Meysenbug, l’auteur distingué des ''Mémoires d’une idéaliste'', beau livre
justement célèbre en Allemagne, crut pouvoir tenter, de son propre mouvement,
une réconciliation, en proposant à Wagner une entrevue avec son ancien disciple.
C’était vraiment trop espérer du caractère de ces deux hommes. Au seul nom de
Nietzsche, Wagner bondit, défendit à son amie de jamais répéter ce nom en sa
présence, et sortit de la chambre hors de lui. — D’autre part, {{Mme}} Salomé nous apprend
que Nietzsche, qui avait provoqué la rupture et voué à Wagner une haine venimeuse
dont ses écrits montrent les traces, souffrait néanmoins de la perte de cette amitié
jusqu’à verser des larmes en parlant des momens heureux passés avec son ancien
maître.</ref>.


Le nouveau livre de Nietzsche était un recueil d’aphorismes et
Le nouveau livre de Nietzsche était un recueil d’aphorismes et
de morceaux détachés, avec ce titre bizarre : Choses fmmaines,par
de morceaux détachés, avec ce titre bizarre : ''Choses humaines, par trop humaines''.
trop humaines. Il ne fallait pas une grande perspicacité pour y recon-
Il ne fallait pas une grande perspicacité pour y
naître le contre-coup des déceptions personnelles de l’écrivain.
reconnaître le contre-coup des déceptions personnelles de l’écrivain.
R. Wagner n’y était point nommé, mais il y était beaucoup ques-
R. Wagner n’y était point nommé, mais il y était beaucoup
tion de la vanité du génie, de l’art et de toute chose en général.
question de la vanité du génie, de l’art et de toute chose en général.
Un scepticisme écœurant succédait au noble enthousiasme des
Un scepticisme écœurant succédait au noble enthousiasme des
ouvrages précédens. Ce qui surprenait davantage encore c’était la
ouvrages précédens. Ce qui surprenait davantage encore c’était la
volte-face complète du penseur. Rien ne trouvait plus grâce
volte-face complète du penseur. Rien ne trouvait plus grâce
devant lui. Il prenait le contre-pied de toutes ses théories; il
devant lui. Il prenait le contre-pied de toutes ses théories ; il
foulait aux pieds ses idées les plus chères. {{Mme}} Salomé dit que
foulait aux pieds ses idées les plus chères. {{Mme}} Salomé dit que
Nietzsche avait besoin de s’affranchir de Wagner pour devenir
Nietzsche avait besoin de s’affranchir de Wagner pour devenir
complètement lui-môme. Oui, sans doute. Mais de là à l’injustice
complètement lui-même. Oui, sans doute. Mais de là à l’injustice
et à l’ingratitude envers Thomme auquel il devait la plus grande
et à l’ingratitude envers l’homme auquel il devait la plus grande
révélation de sa vie, il y a loin. D’ailleurs il commettait une chose
révélation de sa vie, il y a loin. D’ailleurs il commettait une chose
plus grave : il s’armait en guerre contre son propre idéal. Gomme
plus grave : il s’armait en guerre contre son propre idéal. Comme
un homme qui croit avoir été dupe, il s’acharnait contre toutes
un homme qui croit avoir été dupe, il s’acharnait contre toutes
ses anciennes idoles, l’art, la poésie, la métaphysique, le génie,
ses anciennes idoles, l’art, la poésie, la métaphysique, le génie,
l’amour, la sympathie humaine, la morale, l’homme, l’humanité.
l’amour, la sympathie humaine, la morale, l’homme, l’humanité.
Tout y passait, il ne laissait rien debout, xlvec cela il se posait
Tout y passait, il ne laissait rien debout. Avec cela il se posait
lui-même en renonciateur et en héros au nom de la vérité, et le
lui-même en renonciateur et en héros au nom de la vérité, et le
croyait sincèrement, alors qu’il n’était au fond qu’un destructeur
croyait sincèrement, alors qu’il n’était au fond qu’un destructeur
exaspéré par le poison subtil de l’orgueil intellectuel. Cette pas-
exaspéré par le poison subtil de l’orgueil intellectuel. Cette
sion, plus pernicieuse que toutes les erreurs des sens, qui con-
passion, plus pernicieuse que toutes les erreurs des sens, qui
sume la vie de l’âme à sa source, devait le pousser de sophisme
consume la vie de l’âme à sa source, devait le pousser de sophisme
en sophisme jusqu’au plus effroyable de tous les châtimens.
en sophisme jusqu’au plus effroyable de tous les châtimens.


Ah ! s’il n’eût bafoué que des personnes humaines, la redou-
Ah ! s’il n’eût bafoué que des personnes humaines, la
table Némésis, cette logique infaillible des choses, le choc en
redoutable Némésis, cette logique infaillible des choses, le choc en
retour des forces projetées, l’eût frappé moins durement. Mais,
retour des forces projetées, l’eût frappé moins durement. Mais,
dans sa rage iconoclaste, il s’en prenait aux choses saintes par
dans sa rage iconoclaste, il s’en prenait aux choses saintes par
excellence : aux idées génératrices de la vie. Il faisait crouler des
excellence : aux idées génératrices de la vie. Il faisait crouler des
montagnes devant ce qu’il appelait lui-même : le chemin des
montagnes devant ce qu’il appelait lui-même : le chemin des
Mères ! — À la place des vérités éternelles, il ne veut plus
Mères ! — À la place des vérités éternelles, il ne veut plus
(1) {{Mme}} Salomé raconte qu’en 1882 elle se trouvait à Bayreuth lors de la
représentation de Parsifal,et qu’une amie commune de Nietzsche et de Wagner, {{Mlle}}
Malvida de Meysenbug, l’auteur distingué des Mémoires d’une idéaliste, beau livre
justement célèbre en Allemagne, crut pouvoir tenter, de son propre mouvement,
une réconciliation, en proposant à Wagner une entrevue avec son ancien disciple.
C’était vraiment trop espérer du caractère de ces deux hommes. Au seul nom de
Nietzsche, Wagner bondit, défendit à son amie de jamais répéter ce nom en sa
présence, et sortit de la chambre hors de lui. — D’autre part, M"® Salomé nous apprend
que Nietzsche, qui avait provoqué la rupture et voué à Wagner une hainevenimeuse
dont ses écrits montrent les traces, souffrait néanmoins de la perte de cette amitié
jusqu’à verser des larmes en parlant des momens heureux passés avec son ancien
maître.