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A MADAME DU CHATELET. 375


Il est vrai qu’une femme qui abandonnerait les devoirs de son état pour cultiver les sciences serait condamnable, même dans ses succès ; mais, madame, le même esprit qui mène à la connaissance de la vérité est celui qui porte à remplir ses devoirs. La reine d’Angleterre , l’épouse de Georges II, qui a servi de médiatrice entre les deux plus grands métaphysiciens de l’Europe, Clarke et Leibnitz et qui pouvait les juger, n’a pas négligé pour cela un moment les soins de reine, de femme et de mère. Christine, qui abandonna le trône pour les beaux-arts, fut au rang des grands rois tant qu’elle régna. La petite-fille du grand Condé^ dans laquelle on voit revivre l’esprit de son aïeul, n’a-t-elle pas ajouté une nouvelle considération au sang dont elle est sortie ?
Il est vrai qu’une femme qui abandonnerait les devoirs de son état pour cultiver les sciences serait condamnable, même dans ses succès ; mais, madame, le même esprit qui mène à la connaissance de la vérité est celui qui porte à remplir ses devoirs. La reine d’Angleterre <ref>Guillelmine-Dorothée-Charlotte de Brandebourg-Anspach, femme de Georges II, morte le 1{{er}} décembre 1737, à cinquante-quatre ans ; c’était à elle que Voltaire avait dédié la Henriade. (B.) </ref>, l’épouse de Georges II, qui a servi de médiatrice entre les deux plus grands métaphysiciens de l’Europe, Clarke et Leibnitz et qui pouvait les juger, n’a pas négligé pour cela un moment les soins de reine, de femme et de mère. Christine, qui abandonna le trône pour les beaux-arts, fut au rang des grands rois tant qu’elle régna. La petite-fille du grand Condé<ref>La duchesse du Maine.</ref> dans laquelle on voit revivre l’esprit de son aïeul, n’a-t-elle pas ajouté une nouvelle considération au sang dont elle est sortie ?


Vous, madame, dont on peut citer le nom à côté de celui de tous les princes, vous faites aux lettres le môme honneur. Vous en cultivez tous les genres. Elles font votre occupation dans l’âge des plaisirs. Vous faites plus, vous cachez ce mérite étranger au monde, avec autant de soin que vous l’avez acquis. Continuez, madame, à chérir, à oser cultiver les sciences, quoique cette lumière, longtemps renfermée dans vous-même, ait éclaté malgré vous. Ceux qui ont répandu en secret des bienfaits doivent-ils renoncer à cette vertu quand elle est devenue publique ?
Vous, madame, dont on peut citer le nom à côté de celui de tous les princes, vous faites aux lettres le même honneur. Vous en cultivez tous les genres. Elles font votre occupation dans l’âge des plaisirs. Vous faites plus, vous cachez ce mérite étranger au monde, avec autant de soin que vous l’avez acquis. Continuez, madame, à chérir, à oser cultiver les sciences, quoique cette lumière, longtemps renfermée dans vous-même, ait éclaté malgré vous. Ceux qui ont répandu en secret des bienfaits doivent-ils renoncer à cette vertu quand elle est devenue publique ?


Eh ! pourquoi rougir de son mérite ! L’esprit orné n’est qu’une beauté de plus. C’est un nouvel empire. On souhaite aux arts la protection des souverains : celle de la beauté n’est-elle pas au-dessus ?
Eh ! pourquoi rougir de son mérite ! L’esprit orné n’est qu’une beauté de plus. C’est un nouvel empire. On souhaite aux arts la protection des souverains : celle de la beauté n’est-elle pas au-dessus ?
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Permettez-moi de dire encore qu’une des raisons qui doivent faire estimer les femmes qui font usage de leur esprit, c’est que le goût seul les détermine. Elles ne cherchent en cela qu’un nouveau plaisir, et c’est en quoi elles sont bien louables.
Permettez-moi de dire encore qu’une des raisons qui doivent faire estimer les femmes qui font usage de leur esprit, c’est que le goût seul les détermine. Elles ne cherchent en cela qu’un nouveau plaisir, et c’est en quoi elles sont bien louables.


Pour nous autres hommes, c’est souvent par vanité, quelque-fois par intérêt, que nous consommons notre vie dans la culture des arts. Nous en faisons les instruments de notre fortune : c’est une espèce de profanation. Je suis fâché qu’Horace dise de lui ^ :
Pour nous autres hommes, c’est souvent par vanité, quelque-fois par intérêt, que nous consommons notre vie dans la culture des arts. Nous en faisons les instruments de notre fortune : c’est une espèce de profanation. Je suis fâché qu’Horace dise de lui <ref>Dans ses ''Épitres'', liv. II, ép. ii, v. 51. <poem> ...Paupertas impulit audax Ut versus facerem. </poem></ref> :


:L’indigence est le dieu qui m’inspira des vers.
::L’indigence est le dieu qui m’inspira des vers.

L Guillolmine-Dorothée-Charlotte de Brandebourg-Anspach, femme de Georges II, morte le 1er décembre 1737, à cinquante-quatre ans ; c’était à elle que Voltaire avait
dédié la Henriade. (B.)

2. La duchesse du Maine.

3. Dans ses Épitres, liv. II, cp. ii, v. 51.

Paupcrtas impulit audax

Ut versus facerem.