« Le Parnasse contemporain/1876/La Chanson de Marthe » : différence entre les versions

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Je dis pour les cœurs ingénus
La chanson de Marthe aux pieds nus.
 
I
 
Marthe dès l'aube a quitté son aïeule ;
Marthe aux pieds nus est au bois toute seule. <br />
Les ailes vont le dire aux fleurs,
Le matin bleu rit sous les pleurs. <br />
Le fils du roi, sans meute et sans cortège,
Suit la ravine où l’acacia neige. <br />
Ailes et fleurs sont en émoi :
Marthe est devant le fils du roi.<br />
« Etes-vous fée, ou sainte ayant chapelle ?
— Non, monseigneur, c'est Marthe qu’'on m'appelle. <br />
« La fauvette, l’œil en éveil,
Écoute et se lisse au soleil.<br />
Marthe, aimez-moi, je sens que je vous aime.
— Oh ! monseigneur, vous en ririez vous-même. »<br />
La tête d’un lézard surgit,
La fraise dans l’herbe rougit. <br />
« Croyez-vous donc mon amour éphémère ?
— Mon beau seigneur, j'en croirai ma grand-mère. » <br />
La petite bête à bon Dieu
Vole et miroite, rouge et feu. <br />
« Qu’un seul baiser, Marthe, ici nous engage !
— Mon cher seigneur, un seul, pas davantage ! » <br />
Sur la source, au bord du sentier,
S’effeuille une fleur d’églantier. <br />
« Marthe, à demain, au seuil de votre porte !
— Mon doux seigneur, le ciel vous fasse escorte ! » <br />
Est-ce un rêve ? Ô les tendres voix,
Qui bercent l’âme au fond des bois !
 
II
 
Le lendemain, et toute la semaine,
Marthe attendit ; son attente fut vaine. <br />
Pourquoi les angélus du soir
Sont-ils si clairs, quand fuit l’espoir ?<br />
Marthe attendit un mois, un mois encore,
Et s’éveilla plus faible à chaque aurore. <br />
Qu’annoncent donc tous les matins
Les gais angélus argentins ? <br />
Marthe isolée, abattue et pâlie,
Espère encor, mais sent que c’est folie. <br />
L’automne endort les horizons ;
Adieu les fleurs et les chansons ! <br />
Sur Marthe on jase, on chuchote, on s’exclame :
« Est-ce d'amour que cet enfant perd l’âme ? » <br />
L’hiver vient, l’hiver part ; soudain
Le lilas fleurit au jardin.<br />
Les jeunes gens de toute la vallée
Vont visiter la belle désolée. <br />
L’odeur des foins en fenaison
Embaume de loin la maison. <br />
Aucun galant, pas même le plus digne,
Du moindre accueil n’obtient le moindre signe. <br />
Dans les rameaux du grand pommier,
Vole et se pose un blanc ramier. <br />
Marthe se meurt ; une lueur étrange
Sous son front mat s’allume en ses yeux d'ange. <br />
Le crépuscule se fait gris ;
Tourne, tourne, chauve-souris !
 
III
Mais des forêts soudain la brise apporte
Une fanfare et le bruit d'une escorte. <br />
Voici briller le soleil d'or ;
Alouette, prends ton essor !<br />
Sous le galop des chevaux le sol sonne
Le noble prince apparaît en personne. <br />
Dans les rouges coquelicots,
Chante un coq, droit sur ses ergots. <br />
Le noble prince au logis se présente ;
Il entre, il court : Marthe est agonisante. <br />
Sur le lis, que pendant la nuit
Le vent brisa, tout le ciel luit. <br />
« Chère âme, dit l'amant qui désespère,
J’ai donc trop tard fléchi le roi mon père ! » <br />
Une cloche tinte là-bas ;
Est-ce la noce, est-ce le glas ? <br />
Marthe sourit : « Puisque je meurs, dit-elle,
« Marions-nous pour la vie immortelle ! » <br />
Azurs, rayons, brises, parfums,
Ranimez les beaux jours défunts ! <br />
Le fiancé couronne l’enfant blême
Des diamants du royal diadème. <br />
Brises, rayons, parfums, azur,
Rendez l’âme pure au ciel pur !<br />
Le jour s’éteint, la mort étend ses voiles ;
Aux diamants se mêlent les étoiles. <br />
Des rameaux du pommier tremblant
S’est envolé le ramier blanc.