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{{titre|Poème sur la Loi naturelle|[[Voltaire]]|1756}}
 
==EXORDE==
<pre>
ô vous dont les exploits, le régne et les ouvrages
sont l' exemple des rois et la leçon des sages,
qui voyez du même oeil les caprices du sort,
le trône et la cabane, et la vie et la mort ;
philosophe intrépide affermissez mon ame,
couvrez-moi des rayons de cette pure flâme,
qu' allume la raison, qu' éteint le préjugé ;
dans cette nuit d' erreurs où le monde est plongé,
apportons, s' il se peut, une foible lumiére.
Nos premiers entretiens, notre étude premiére,
étoient, je m' en souviens, Horace avec Boileau ;
vous y cherchiez le vrai, vous y goutiez le beau,
quelques traits échappés d' une utile morale,
dans leurs piquans écrits brillent par intervale.
Mais Pope approfondit ce qu' ils ont effleuré ;
d' un esprit plus hardi, d' un pas plus assuré,
il porta le flambeau dans l' abîme de l' être,
et l' homme avec lui seul apprit à se connoître.
L' art quelquefois frivole et quelquefois divin,
l' art des vers est dans Pope, utile au genre humain,
que m' importe, en effet, que le flateur d' Octave,
parasite discret, non moins qu' adroit esclave,
du lit de sa Glycere ou de Ligurinus,
en prose mesurée insulte à Cassius ;
que Boileau répandant plus de sel que de grace,
veuille outrager Quinaut, veuille avilir Le Tasse,
qu' il peigne de Paris les tristes embarras,
et décrive en beaux vers un fort mauvais repas.
Il faut d' autres objets à votre intelligence ;
de l' esprit qui nous meut vous recherchez l' essence,
son principe, sa fin, mais surtout son devoir ;
voyons sur ce grand point ce qu' on a cru sçavoir,
ce que l' erreur enseigne aux docteurs du vulgaire,
et ce que vous inspire un dieu qui vous éclaire.
</pre>
 
==PARTIE 1==
 
'' que dieu donne à tous les hommes l' idée de la justice et la conscience pour les en avertir, comme il leur a donné tout ce qui étoit nécessaire. ''
 
je n' irai point d' abord philosophe orgueilleux
sur l' aîle de Platon me perdre dans les cieux.
écartons ces romans qu' on appelle systêmes,
et pour nous élever descendons dans nous-mêmes.
Soit qu' un être inconnu par lui seul existant,
ait tiré depuis peu l' univers du néant ;
soit qu' il ait arrangé la matiére éternelle,
qu' elle nage en son sein, ou qu' il régne loin d' elle,
que l' ame, ce flambeau si souvent ténebreux,
ou soit un de nos sens, ou subsiste sans eux,
vous êtes sous la main de cet être invisible ;
mais du haut de son trône obscur, inaccessible,
quel hommage, et quel culte exige-t-il de nous ?
De sa grandeur suprême indignement jaloux,
des louanges, des vœux flattent-ils sa puissance ?
Est-ce ce peuple altier conquérant de Bysance,
ce tranquille chinois, ce tartare indompté,
qui connaït son essence et suit sa volonté ?
Différens dans leurs mœurs, ainsi qu' en leur hommage,
ils lui font tous tenir un différent langage ;
tous se sont donc trompés. Mais détournons nos yeux
de cet impur amas d' imposteurs odieux,
et sans vouloir sonder d' un oeil philosophique
des mystéres chrétiens l' amas théologique,
sans expliquer envain ce qui fut révelé,
voyons par la raison si dieu n' a point parlé.
La nature a fourni d' une main salutaire,
tout ce qui dans la vie à l' homme est nécessaire,
les ressorts de son ame et l' instinct de ses sens ;
le ciel à ses besoins soumet les élemens ;
dans les plis du cerveau la mémoire habitante
y peint de la nature une image vivante,
chaque objet de ses sens prévient sa volonté,
le son dans son oreille est par l' air apporté ;
sans efforts et sans soin son oeil voit la lumiére.
Sur son dieu, sur sa fin, sur sa cause premiére,
l' homme est-il sans secours à l' erreur attaché ?
Quoi ! Le monde est visible et dieu seroit caché ?
Quoi ! Le plus grand besoin que j' aie en ma misére
est le seul qu' en effet je ne puis satisfaire ?
Non le dieu qui m' a fait ne m' a pas fait envain,
sur le front des mortels il mit son sceau divin ;
je ne puis ignorer ce qu' ordonne mon maître,
il m' a donné sa loi, puisqu' il m' a donné l' être ;
sans doute il a parlé, mais c' est à l' univers,
il n' a point de l' égypte habité les deserts,
Delphes, Delos, Ammon ne sont point ses asyles,
il ne se cache pas aux antres des sybilles.
La morale uniforme en tout tems, en tout lieu,
à des siécles sans fin, parloit au nom de dieu.
C' est la loi de Trajan, de Socrate et la vôtre,
de ce culte éternel la nature est l' apôtre.
Le bon sens la reçoit, et les remords vengeurs,
nés de la conscience, en sont les défenseurs.
Leur redoutable voix partout se fait entendre ;
pensez-vous en effet que ce jeune Alexandre,
aussi vaillant que vous, mais bien moins modéré,
teint du sang d' un ami trop inconsidéré,
ait pour se repentir consulté des augures ?
Ils auroient dans leurs eaux lavé ses mains impures,
ils auroient à prix d' or, sans doute, absous un roi ;
sans eux de la nature il écouta la loi,
honteux, désespéré d' un moment de furie,
il se juge lui-même indigne de la vie :
cette loi souveraine à la Chine, au Japon,
inspira Zoroastre, illumina Platon ;
d' un bout du monde à l' autre elle parle, elle crie,
'' adore un dieu, sois juste et chéris la patrie. ''
 
*[[Poèmes (Voltaire) - Avertissement|Avertissement pour les poèmes sur la ''Loi naturelle'' et sur le ''Désastre de Lisbonne''.]]
ainsi le froid lapon crut un être éternel,
il eut de la justice un instinct naturel,
et le négre vendu sur un lointain rivage,
dans les négres encore aime sa noire image ;
est-ce nous qui créons ces profonds sentimens,
avons-nous fait notre ame, avons-nous fait nos sens ?
L' or qui naît au Pérou, l' or qui naît à la Chine,
ont la même nature et la même origine ;
l' artisan le façonne et ne peut le former ;
ainsi l' être éternel qui nous daigne animer,
jetta dans tous les cœurs une (même) semence.
Le ciel fit la vertu, l' homme en fit l' apparence,
il peut la revêtir d' imposture et d' erreur,
il ne peut la changer, son juge est dans son cœur.
 
==PARTIE 2==
 
'' réponse aux objections contre les principes d' une morale universelle : preuve de cette vérité. ''
 
*[[Poème sur la Loi naturelle - Préface|Préface]]
j' entens avec Hobbès Spinosa qui murmure,
ces rémords, me dit-il, ces cris de la nature,
ne sont que l' habitude et les illusions
qu' un besoin mutuel inspire aux nations.
Raisonneur malheureux, ennemi de toi-même,
d' où nous vient ce besoin ? Pourquoi l' être suprême
met-il dans notre cœur à l' intérêt porté,
cet instinct qui nous lie à la société ?
Ces loix que nous faisons, fragiles, inconstantes,
ouvrage d' un moment, sont partout différentes ;
Jacob chez les hébreux peut épouser deux sœurs,
David sans offenser la décence et les mœurs,
flata de cent beautès la tendresse importune,
le pape au vatican n' en peut caresser une ;
là, le pere à son gré choisit un successeur,
ici l' heureux aîné de tout est possesseur ;
aux loix de vos voisins votre code est contraire,
qu' on (soit) juste, il suffit, le reste est arbitraire.
Mais tandis qu' on admire et ce juste et ce beau,
Londres immole son roi par la main d' un bourreau.
Du pape Borgia le bâtard sanguinaire,
dans les bras de sa sœur assassine son frere.
Là, le froid hollandois devient impétueux,
il déchire en morceaux deux freres vertueux.
Plus loin la Brainvilliers dévote avec tendresse,
empoisonne son pere en courant à confesse ;
sous le fer du méchant le juste est abattu,
eh bien, conclurez-vous qu' il n' est point de vertu ?
Quand des vents du midi, les funestes haleines,
de semences de mort ont inondé nos plaines,
direz-vous que jamais le ciel en son courroux,
ne laissa la santé séjourner parmi nous ?
Tous ces divers fléaux dont le poids nous accable,
du choc des élémens effet inévitable,
des biens que nous goutons corrompent la douceur.
Mais tout est passager, le crime et le malheur :
de nos desirs fougueux la tempête fatale,
laisse au fond de nos cœurs la régle et la morale,
c' est une source pure ; envain dans ses canaux
les vents contagieux en ont troublé les eaux,
envain sur la surface une fange étrangére,
apporte en bouillonnant un limon qui l' altére ;
l' homme le plus injuste et le moins policé,
s' y contemple aisément quand l' orage est passé.
Tous ont reçu du ciel avec l' intelligence
le frein de la justice et de la conscience ;
de la raison naissante elle est le premier fruit,
dès qu' on la peut entendre, aussitôt elle instruit,
contrepoids toujours promt à rendre l' équilibre,
au cœur plein de desirs, asservi, mais né libre :
arme que la nature a mise en notre main,
qui combat l' intérêt par l' amour du prochain ;
pilote qui s' oppose aux vents toujours contraires,
de tant de passions qui nous sont nécessaires.
On insiste, on me dit, l' enfant dans son berceau
n' est point illuminé par ce divin flambeau.
C' est l' éducation qui forme ses pensées,
par l' exemple d' autrui ses mœurs lui sont tracées,
il n' a rien dans l' esprit, il n' a rien dans le cœur,
de ce qui l' environne, il n' est qu' imitateur ;
il repéte le nom de devoir, de justice,
il agit en machine, et c' est par sa nourrice
qu' il est juif ou payen, fidéle ou musulman,
vêtu d' un juste-au corps, ou bien d' un doliman.
Qui de l' exemple en nous je sçais quel est l' empire,
il est des sentimens que l' habitude inspire,
le langage, la mode, et les opinions,
tous ces dehors de l' ame, et ces préventions,
du cachet des mortels impressions légéres,
dans nos foibles esprits sont gravés par nos peres ;
mais les premiers ressorts sont faits d' une autre main,
leur pouvoir est constant, leur principe divin ;
il faut que l' enfant croisse, il faut qu' il les exerce,
il ne les connaît point sous la main qui le berce.
Le moineau dans l' instant qu' il a reçu le jour,
sans plume dans son nid peut-il sentir l' amour ?
Le renard en naissant va-t-il chercher sa proye ?
Les insectes changeans qui nous filent la soye,
les essains bourdonnans de ces filles du ciel,
qui paîtrissent la cire et composent le miel,
sitôt qu' ils sont éclos forment-ils leur ouvrage ?
Tout mûrit par le tems et s' accroît par l' usage,
chaque être a son objet et dans l' instant marqué,
il marche vers le but par le ciel indiqué ;
l' homme, on nous l' a tant dit, est une énigme obscure,
il l' est peut-être moins que toute la nature ;
sur ce vaste univers un grand voile est jetté ;
mais dans les profondeurs de cette obscurité,
si la raison nous luit, qu' avons-nous à nous plaindre ?
Nous n' avons qu' un flambeau, gardons-nous de
l' éteindre,
quand de l' immensité dieu peupla les déserts,
anima les soleils et souleva les mers,
demeurez, leur dit-il, dans vos bornes prescrites.
Tous les mondes naissans connurent des limites ;
il imposa des loix à Saturne, à Venus,
aux seize orbes divers dans nos cieux contenus,
aux élémens unis dans leur utile guerre,
à la course des vents, aux fléches du tonnerre,
à l' animal qui pense, et né pour l' adorer,
au ver qui nous attend né pour nous dévorer.
Avons-nous bien l' audace en nos foibles cervelles,
d' ajouter nos décrets à ses loix immortelles ?
Hélas ! Serait-ce à nous, phantômes d' un moment,
dont l' être imperceptible est voisin du néant,
de nous mettre à côté du maître du tonnerre,
et de donner en dieux des ordres à la terre ?
 
==PARTIE 3==
 
*[[Poème sur la Loi naturelle - Exorde|Exorde]]
'' que les hommes ayant pour la plûpart défiguré la religion naturelle qui les unit, doivent se supporter les uns les autres. ''
*[[Poème sur la Loi naturelle - Première partie|Première partie]]
 
*[[Poème sur la Loi naturelle - Deuxième partie|Deuxième partie]]
l' univers est un temple où siége l' éternel,
*[[Poème sur la Loi naturelle - Troisième partie|Troisième partie]]
là, chaque homme à son gré lui bâtit un autel ;
*[[Poème sur la Loi naturelle - Quatrième partie|Quatrième partie]]
chacun vante sa foi, ses saints et ses miracles,
le sang de ses martyrs, la voix de ses oracles ;
l' un pense en se lavant cinq ou six fois par jour,
que le ciel voit ses bains d' un regard plein d' amour,
et qu' avec un prépuce on ne sçaurait lui plaire ;
l' autre a du dieu Brama désarmé la colére,
et pour s' être abstenu de manger du lapin,
voit le ciel entr' ouvert et des plaisirs sans fin.
Tous traitent leurs voisins d' impurs ou d' infidéles.
Des chrétiens divisés les infâmes querelles,
ont au nom du seigneur apporté plus de maux,
répandu plus de sang, creusé plus de tombeaux,
que le prétexte vain d' une utile balance,
n' a jamais désolé l' Allemagne et la France.
Un doux inquisiteur, un crucifix en main,
au feu par charité fait jetter son prochain,
et pleurant avec lui d' une fin si tragique,
prend pour se consoler son argent qu' il s' applique ;
tandis qu' à ce bourreau loin d' oser l' arracher,
le peuple louant dieu danse autour du bucher.
On vit plus d' une fois dans une sainte yvresse,
plus d' un bon catholique au sortir de la messe,
courant sur son voisin pour l' honneur de la foi,
lui crier, meurs impie, ou pense comme moi.
Calvin et ses suppôts guettés par la justice,
dans Paris en peinture allèrent au supplice :
Servet fut en personne immolé par Calvin ;
si Servet dans Genêve eut été souverain,
il eut pour argument contre son adversaire
fait serrer d' un lacet le cou du trinitaire.
Ainsi d' Arminius les ennemis nouveaux,
en Flandre étoient martyrs, en Hollande bourreaux.
D' où vient que deux cens ans cette pieuse rage,
de nos ayeux grossiers fut l' horrible partage ?
C' est que de la nature on étouffa la voix ;
c' est qu' à sa loi sacrée on ajouta des loix ;
c' est que l' homme amoureux de son sot esclavage,
fit dans ses préjugés dieu même à son image ;
nous l' avons fait injuste, emporté, vain, jaloux,
séducteur, inconstant, barbare comme nous.
Enfin grace à nos jours, à la philosophie,
qui de l' Europe au moins éclaire une partie ;
les mortels plus instruits en sont moins inhumains,
le fer est émoussé, les buchers sont éteints ;
mais si le fanatisme était encor le maître,
que ces feux étouffés seraient promts à renaître !
On s' est fait, il est vrai, le généreux effort
d' envoyer moins souvent ses freres à la mort.
On brûle moins d' hébreux dans les murs de Lisbonne,
et même le muphty qui rarement raisonne,
ne dit plus au chrétien que le sultan soumet,
renonce au vin, barbare, et crois en Mahomet.
Mais du beau nom de chien ce muphty nous honore,
dans le fond des enfers il nous envoye encore.
Nous le lui rendons bien ; nous damnons à la fois
le peuple circoncis vainqueur de tant de rois,
Londres, Berlin, Stokholm et Genêve, et vous-même,
vous êtes, ô mon roi, compris dans l' anathême.
Envain par des bienfaits signalant vos beaux jours,
à l' humaine raison vous donnez des secours,
aux beaux arts des palais, aux pauvres des asyles.
Vous peuplez les déserts et les rendez fertiles ;
Boy et Tam jurent par leur salut,
que vous êtes sur terre un fils de Belzebut.
Ils ont des partisans et l' on honore en France,
de ces ânes fourés l' imbécille insolence.
ça dis-moi, tête chauve, ou toi qui dans un froc,
des argumens en forme as soutenu le choc,
penses-tu que Socrate et le juste Aristide,
Solon qui fut des grecs et l' exemple et le guide,
penses-tu que Trajan, Marc-Aurele, Titus,
noms chéris, noms sacrés que tu n' as jamais lus,
de l' univers charmé bienfaiteurs adorables,
soient au fond des enfers empalés par les diables,
et que tu seras toi, de rayons couronné,
d' un chœur de chérubins sans cesse environné,
pour avoir quelque tems, chargé d' une besace,
dormi dans l' ignorance, ou croupi dans la crasse ?
Sois sauvé, j' y consens, mais l' immortel Newton,
mais le sçavant Léibnitz, mais le sage Addisson,
et ce Locke en un mot dont la main courageuse
a de l' esprit humain posé la borne heureuse,
ces esprits qui sembloient de dieu même éclairés
dans des feux éternels seront-ils dévorés ?
Porte un arrêt plus doux, prens un ton plus modeste,
ami, ne préviens point le jugement céleste,
respecte ces mortels, pardonne à leur vertu,
ils ne t' ont point damné pourquoi les damnes-tu ?
à la religion discrettement fidéle,
sois doux, compatissant, sage, indulgent comme elle,
et sans noyer autrui, songe à gagner le port ;
qui pardonne a raison, et la colére a tort.
Dans nos jours passagers de peine et de miséres,
enfans d' un même dieu, vivons du moins en freres ;
aidons-nous l' un à l' autre à porter nos fardeaux,
nous marchons tout courbés sous le poids de nos maux
mille ennemis cruels assiégent notre vie,
toujours par nous maudite et toujours si chérie,
notre cœur égaré sans guide et sans appui,
est brulé du desir, ou glacé par l' ennui ;
nul de nous n' a vecu sans connoître les larmes ;
de la société les secourables charmes,
reméde encor trop foible en des maux si constans,
consolent nos douleurs au moins quelques instans.
Ah ! N' empoisonnons pas la douceur qui nous reste ;
je crois voir des forçats dans un cachot funeste,
se pouvant secourir, l' un sur l' autre acharnés,
combattre avec les fers dont ils sont enchaînés.
 
==EPITRE AU ROY DE PRUSSE==
 
'' que c' est au gouvernement à calmer les malheureuses disputes qui troublent la société. ''
 
oui je l' entens souvent de votre bouche auguste,
le premier des devoirs, grand prince, est d' être juste,
et le premier des biens, est la paix dans nos cœurs.
Comment avez-vous pû parmi tant de docteurs,
parmi ces différends que la dispute enfante,
maintenir dans l' état une paix si constante ?
D' où vient que les enfans de Calvin, de Luther,
qu' on croit delà les monts, batards de Lucifer,
le grec et le romain, l' empesé quiétiste,
le quakre au grand chapeau, le simple anabaptiste,
qui jamais dans les loix n' ont pu se réunir,
sont tous sans disputer d' accord à vous benir ;
c' est que vous êtes sage, et que vous êtes maître.
Si le dernier Valois, hélas ! Avoit sçu l' être,
jamais un jacobin guidé par son prieur,
de Judith et d' Aod fervent imitateur,
n' eut tenté dans Saint Cloud la fatale entreprise,
mais Valois aiguisa le poignard de l' église ;
ce poignard qui bientôt égorgea dans Paris,
aux yeux de ses sujets le plus grand des Henris ;
voila les fruits affreux des pieuses querelles,
toutes les factions à la fin sont cruelles.
Pour peu qu' on les soutienne on les voit tout ôser,
pour les anéantir il les faut mépriser ;
qui conduit des soldats peut gouverner des prêtres.
Louis dont la splendeur éclipsa ses ancêtres,
crut pourtant sur la foi d' un confesseur normand,
Jansenius à craindre, et Quênel important.
Du sceau de sa grandeur il chargea leurs sotises.
De la dispute alors cent cabales éprises,
cent bavards en fourure, avocats, bacheliers,
colporteurs, capucins, jésuites, cordeliers,
troublerent tout l' état par leurs doctes scrupules.
Le régent plus sensé les rendit ridicules ;
dans la poussiére alors on les vit tous rentrer.
L' oeil du maître suffit, et peut tout opérer.
L' heureux cultivateur des présens de Pomone
des filles du printems, des trésors de l' automne,
maître de son terrein, ménage aux arbrisseaux,
les secours du soleil, de la terre et des eaux,
par de légers appuis soutient leurs bras débiles,
arrache impunément les plantes inutiles,
et des arbres touffus dans son clos renfermés,
émonde les rameaux de la seve affamés.
Son docile terrein répond à la culture.
Ministre industrieux des loix de la nature,
il n' est point traversé dans ses heureux desseins.
Un arbre qu' avec joye il planta de ses mains,
ne prétend point le droit de se rendre sterile,
et du sol épuisé tirant un suc utile,
ne va point refuser à son maître affligé,
une part de ses fruits dont il est trop chargé.
Son voisin jardinier n' eut jamais la puissance,
de préparer des cieux la maligne influence,
de maudire les fruits pendans aux espaliers,
et de sécher d' un mot sa vigne et ses figuiers,
malheurs aux nations dont les loix opposées,
embrouillent de l' état les rênes divisées
le sénat des romains, ce conseil de vainqueurs,
présidoit aux autels, et gouvernoit les mœurs,
restraignoit sagement le nombre des vestales,
d' un peuple extravagant regloit les bacchanales.
Marc Aurele et Trajan mêloient au champ de mars,
le bonnet du pontife au bandeau des Césars.
L' univers reposant sous leur heureux génie,
des guerres de l' église ignora la manie.
Les grecs et les romains d' un saint zéle enyvrés,
ne combattirent point pour les poulets sacrés.
Je ne demande point que dans la capitale,
un roi portant en main la crosse épiscopale ;
au sortir du conseil allant en mission,
donne au peuple contrit sa bénédiction.
Toute église a ses loix, tout peuple a son usage.
Mais je prétens qu' un roi, que son devoir engage,
à maintenir la paix, l' ordre, la sureté,
ait sur tous ses sujets égale autorité.
Ils sont tous ses enfans, cette famille immense,
dans ses soins paternels a mis sa confiance.
Le marchand, l' ouvrier, le prêtre et le prélat,
sont tous également les membres de l' état ;
de la religion l' appareil nécessaire,
confond aux yeux de dieu les grands et le vulgaire,
et les civiles loix par un autre lien,
ont confondu le prêtre avec le citoyen.
La loi dans tout état doit être universelle.
Les mortels, quels qu' ils soient, sont égaux
devant elle.
Je n' en dirai pas plus sur ces points délicats.
Le ciel ne m' a point fait pour regir des états,
pour conseiller les rois, pour enseigner les sages ;
mais du port où je suis, contemplant les orages,
dans cette heureuse paix où je finis mes jours,
éclairé par vous-même, et plein de vos discours,
de vos nobles leçons salutaire interpréte,
mon esprit suit le vôtre, et ma voix vous repéte ;
que conclure à la fin de tous mes longs propos ?
C' est que les préjugés sont la raison des sots.
Il ne faut pas pour eux se déclarer la guerre.
Le vrai nous vient du ciel, l' erreur vient de la
terre,
et parmi ces chardons qu' on ne peut arracher,
dans des sentiers secrets le sage doit marcher.
La paix, la paix enfin, que l' on trouble, et qu' on
aime,
est préférable encore à la vérité même.