« Mémoires de Victor Alfieri, d’Asti » : différence entre les versions

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que déjà je ne me crusse poète ; mais mon oncle, qui était un rude homme de guerre, et qui, suffi­samment versé dans la politique et l'histoire, n'en-, tendait rien et ne voulait rien entendre à aucune espèce, de poésie, se garda bien d'encourager ma muse naissante. Tout au,contraire, il désapprouva le sonnet, et ses moqueries tarirent jusque dans sa source le mince filet de ma veine. Lorsque l'envie de poétiser me revint, j'avais déjà plus de vingt-cinq ans, et que de vers bons ou méchans mouru-: rent, ce jour-là, de la main de mon oncle, dans le berceau de mon pauvre sonnet premier-né 1 ■ A celtecette sotte philosophie succéda, l'année sui- nc3. vante, l'étude de la physique et celle de là morale, distribuées de la même manière que les deux cours précédens : la physique le matin, et la morale pour faire la sieste. La physique me souriait assez ; mais, cette lutte perpétuelle avec la langue latine, mais mon ignorance complète de la géométrie, que je n'avais point encore étudiée, mettaient à mes pro­grès d'invincibles obstacles. Aussi l'avouerai-je à ma honte éternelle, et pour l'amour de la vérité, après avoir étudié la physique pendant une année entière sous le célèbre père Beccaria, il ne m'en est pas resté dans la tête une seule définition, et je ne sais rien, absolument,rien de son cours d'élec­tricité , ce cours si profond, qu'il a enrichi de tant de merveilleuses.découvertes. Ici encore, comme toujours, il m'arriva ce qui déjà m'était advenu pour la géométrie, c'est que, grâce à la fidélité de ma mémoire, j'allais fort bien aux répétitions, et recueil-
 
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que depuis j'ai voulu chercher la raison d'une si sotte préférence, j'ai vu qu'un sentiment particulier de faux amour-propre m'y poussait à mon insu. J'avais, pendant plus de deux ans, vécu avec des Anglais, j'entendais exalter en tous lieux la puis­sance et la richesse de l'Angleterre, j'avais devant les yeux sa grande influence politique ; d'un autre côté, je voyais l'Italie entière morte, les Italiens divisés, affaiblis, avilis, esclaves ; et, honteux d'ê­tre Italien et de le paraître, je ne voulais rien do commun entre eux et moi.
 
Nous allâmes de Livourne à Sienne. Quoique celtecette dernière ville me plût médiocrement en elle-même, telle est cependant la puissance du beau et du vrai, que je sentis là comme un vif rayon qui tout-à-coup éclairait mon intelligence, et en même temps un charme irrésistible qui s'emparait de mes oreilles et de mon cœur, en entendant les per­sonnes de la condition la plus humble parler d'une manière si suave et si élégante, avec tant de jus­tesse et de précision. Toutefois je ne m'arrêtai qu'un jour dans cette ville. Le temps de ma con­version littéraire et politique était encore bien loin : j'avais besoin de sortir d'Italie et d'en rester éloi­gné long-temps pour connaître et apprécier les Italiens. Je partis donc pour Rome avec une palpi­tation de cœur presque continuelle, dormant fort peu la nuit, et tout le jour ruminant en moi-même Saint-Pierre, le Colysée, le-Panthéon, toutes les merveilles que j'avais tant ouï célébrer. Je laissais encore mon imagination s'égarer à loisir sur divers
 
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La Hollande est, pendant l'été, un pays agréable et riant ; mais elle m'aurait plu encore davantage si je l'eusse visitée avant l'Angleterre ; car les mêmes choses que l'on admire en Angleterre, sa population, sa richesse , sa propreté, la sagesse des lois, les merveilles de l'industrie et de son acti­vité , tout. se retrouve ici, mais sur une moindre échelle ; et, en effet, après beaucoup d'autres voya­ges où mon expérience s'étendit, les deux seuls pays de l'Europe qui m'aient toujours laissé le dé­sir de les revoir, ce sont l'Angleterre et l'Italie : la première, parce que l'art y a, pour ainsi dire, sub­jugué, transfiguré la nature ; la seconde, parce que la nature s'y est toujours énergiquement relevée pour prendre sa revanche de mille façons sur dés gouvernemens souvent mauvais, toujours inactifs.
 
Pendant mon séjour à La Haye, où je restai bien plus long-temps que je me l'étais promis, je don­nai enfin dans les pièges de l'amour, qui jus­que là n'avait jamais pu me joindre et m'arrêter. Une femme charmante, mariée depuis un an, pleine de grâces naturelles, d'une beauté modeste et d'une douce ingénuité, me blessa très-vivement au cœur. Le pays était petit, les distractions rares ; je la .voyais beaucoup plus souvent que d'abord je ne l'aurais voulu ; bientôt j'en vins à me plaindre de ne pas la voir assez souvent. Je me trouvai pris d'une terrible manière, sans m'en apercevoir ; je ne pensais déjà à rien moins qu'à ne plus sortir de La Haye ni mort ni vif, persuadé qu'il me serait complètement impossible de vivre sans celtecette femme.
 
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vie intérieure : mais, à dix-neuf ans, j'avais vu. l'Angleterre, mais, à vingt ans, j'avais lu et chau­dement senti Plutarque : je ne devais donc pas ima­giner qu'on pût se marier- et avoir des enfans à Turin. Toutefois la légèreté de mon âge me rendit peu à peu plus docile à ses conseils sans cesse ré­pétés, et je permis à mon beau-frère de rechercher en mon nom une jeune héritière d'une illustre maison, assez belle d'ailleurs, avec des yeux très-noirs, qui n'auraient pas eu de peine à me faire oublier Plutarque, comme Plutarque lui-môme avait amorti ma passion pour la belle Hollandaise. Et je dois confesser ici que, dans cette occasion, je convoitai lâchement la fortune de cette jeune fille plus encore que sa beauté: je calculais en moi-même que mes revenus accrus à peu près de moi­tié me mettraient en état de faire, comme on dit, dans le monde une meilleure figure. Mais, dans celtecette affaire, mon heureuse étoile me servit beau­coup mieux que mon débile et vulgaire jugement, fils d'un esprit malsain. Au commencement, la jeune fille eût incliné de mon côté; mais une bonne tante fit pencher la balance en faveur d'un autre jeune seigneur qui, étant fils de famille, avec une multitude de frères et des oncles, était alors beau­coup moins à l'aise que moi, mais qui jouissait à la cour d'un certain crédit auprès du duc de Sa­voie, héritier présomptif de la couronne, dont il avait été page , et de qui, dans la suite , il obtint en effet toutos les grâces que le pays comporte. Ce jeune homme avait de plus un excellent carac-
 
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celtecette vie d'esclave, au mois de mai de cette même année 1774, je pris tout-à-coup la résolution de partir pour Rome, pour voir enfin si les voyages et l'absence pourraient me guérir de cette passion maladive. Je saisis l'occasion d'une violente que­relle que j'eus avec ma maîtresse (ces occasions n'étaient que trop fréquentes), et le soir, je revins chez moi sans rien dire. J'employai tout le jour suivant à faire mes préparatifs. Ce jour-là, je ne retournai pas chez elle, et le lendemain, au petit point du jour, je pris la route de Milan. La dame ne le sut que la veille au soir (elle l'apprit sans doute de quelqu'un de mes gens ) ; ce même soir , assez tard, elle me renvoya, suivant l'usage, mes lettres et mon portrait. Ce message commença déjà à me troubler, et ma résolution chancela ; toutefois, ayant repris courage, je partis pour Milan, comme je l'ai dit. J'arrivai le soir à Novarre. Tout le jour, j'avais été tiraillé par cette passion déplorable, et voici que le repentir, la douleur, la lâcheté, me donnent au cœur un si terrible assaut, que toute raison devenant vaine, sourd à la vérité, je change tout-à-coup de résolution. J'avais pris avec moi un abbé français ; je le laisse continuer le voyage avec ma voiture et mes domestiques, et leur dis d'aller m'at­tendre à Milan. Resté seul sur la route, je saute sur un cheval, six heures avant le jour, avec un postillon pour guide ; je cours toute la nuit, et le lendemain de bonne heure je me retrouve à Turin ; mais ne voulant pas, en m'y montrant, devenir la fable de tout le monde, je n'entre pas dans la ville : je m'ar-
 
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beaux-arts; un caractère d'ange, et, malgré toute sa fortune, des circonstances domestiques, péni­bles et désagréables, qui ne lui permettaient d'être ni aussi heureuse ni aussi contente qu'elle l'eût mérité. Il y avait là trop de doux écueiis pour que j'osasse les affronter.
 
Mais dans le cours de cet automne, pressé à plu­sieurs reprises par un de mes amis de me laisser présenter à elle, et me croyant désormais assez fort, je me risquai à en courir le danger, et je ne fus pas long-temps à me sentir pris, presque sans m'en apercevoir. Toutefois, encore chancelant entre le ''oui ''et le ''non ''de cette flamme nouvelle, au mois de décembre je pris la poste, et je m'en allai à franc étricr jusqu'à Rome, voyage insensé et fatigant, dont je ne rapportai pour tout fruit que mon son-set sur Rome, que je fis, une nuit, dans une pitoya­ble auberge de Baccano, où il me fut impossible de fermer l'œil. Aller, rester, revenir, ce fut l'affaire de douze jours. Je passai et repassai par Sienne, où je revis mon ami Gori, qui ne me détourna pas de ces nouvelles chaînes dont j'étais plus d'à moitié enveloppé ; aussi mon retour à Florence acheva bientôt de me les river pour toujours. L'approche de celtecette quatrième et dernière fièvre de mon cœur s'annonçait heureusement pour moi par des symp­tômes bien différens de ceux qui avaient marqué l'accès des trois premières. Dans celles-ci, je n'étais pas ému, comme dans la dernière, par une passion de l'intelligence, qui, se mêlant à celle du cœur et lui faisant contre-poids, formait, pour parler comme
 
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tembre de l'année précédente, pour résister à une nouvelle impulsion, ou, pour mieux dire, à une impulsion renouvelée de ma nature, impulsion toute-puissante cette fois, qui m'agita pendant plu­sieurs jours, et à laquelle il fallut bien me rendre, ne pouvant la surmonter. Je conçus et jetai sur le papier le plan de six comédies à la fois. J'avais toujours eu le dessein de m'essayer dans ce der­nier genre; j'avais même résolu de faire douze pièces; mais les contre-temps, les tourmens d'es­prit, et plus que tout le reste, l'étude desséchante et assidue d'une langue aussi immensément vaste que
 
cette académie, m'a causé une vive joie. Ce n'est que la semaine dernière que j'ai reçu (ou pour mieux dire que j'ai eu, puisque je ne la reçois point ) la lettre académique. La voici intacte, et je vous la renvoie avec prière instante de la remettre à ce­lui qui me l'a écrite. Il faut, pour mon entière purilication dans cette affaire, que celtecette lettre remonte à sa source avec son respectable cachet. Pour y répondre, si je l'eusse voulu, je n'avais qu'à écrire en grec autour du cachet, et sans le bri­ser, ces quatre mots laconiques : ''Qtfai-je de commun avec des esclaves? ''Mais ne voulant ni vous compromettre, ni m'em-p.ortersans nécessité, il me suffit quela lettre soit rendue intacte, pour que l'on sache bien que je l'ai regardée comme ne m'étant pas adressée. Je dois aussi vous dire sans détour que je ne veux à aucun prix de ce titre ''crotté ''de ''citoyen, ''non que je veuille être appelé ''comte; ''mais je suis Victor Alfieri, libre depuis une foule d'années, et non pas affranchi. Vous me direz que c'est là le style convenu dont on se sert main­tenant où vous êtes ; mais je vous répondrai que ces messieurs pouvaient se dispenser de s'occuper de moi et de me nommer
 
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