« En-deçà et au-delà du Danube/03 » : différence entre les versions

Contenu supprimé Contenu ajouté
Phe (discussion | contributions)
mAucun résumé des modifications
Phe-bot (discussion | contributions)
m Phe: match
Ligne 1 :
{{journal|[[Revue des Deux Mondes]] tome 71, 1885|[[Emile de Laveleye]]|En-deça et au-delà du Danube}}
 
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 71.djvu/318]]==
{{R2Mondes|1885|71|312}}
III. LA BOSNIE. — LES SOURCES DE RICHESSE, LES HABITANS ET LES PROGRÈS RÉCENS.<ref> Voyez la ''Revue'' du 15 juin et du 1er août.</ref>
 
Ligne 7 :
La Bosnie est la plus belle province de la péninsule balkanique. Elle rappelle la Styrie, pays d’alpes et de forêts. Voyez la carte : partout des chaînes de montagnes et des vallées. Parallèlement aux Alpes Dinariques, qui séparent ici le bassin du Danube de celui de la Méditerranée, elles courent assez régulièrement du sud au nord, formant les bassins des quatre rivières qui se jettent dans la Save et qui sont, en allant de l’ouest vers l’est : l’Unna, la Verbas, la Bosna et la Drina. Mais ces chaînes se ramifient en une grande quantité de contreforts latéraux, et, au-delà de Serajewo, les soulèvemens s’entremêlent en des massifs inextricables, que dominent les sommets abrupts du Dormitor, à une altitude de 8,200 pieds et ceux du Kom à 8,500. Il n’y a de grandes plaines que dans la Posavina, le long de la Save, du côté de la Serbie. Partout ailleurs, c’est une succession de vallées où coulent des rivières et des ruisseaux et que couronnent des hauteurs boisées. Le pays ne se prête donc pas à la grande culture des céréales, comme la Slavonie et la Hongrie ; mais on pourrait y imiter l’économie rurale de la Suisse et du Tyrol, en élevant de nombreux troupeaux, ce qui vaut mieux que de faire du blé, par ce temps de concurrence américaine.
 
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 71.djvu/319]]==
{{R2Mondes|1885|71|313}}
Sur les 5,410,200 hectares de la Bosnie-Herzégovine, 871,700 sont occupés par des rochers stériles comme le ''Karst'', 1,811,300 par des terres labourables, et 2,727,200 par des forêts. Beaucoup de ces forêts sont absolument vierges, faute de routes pour y arriver. Les plantes grimpantes, qui s’enlacent autour des chênes et des hêtres, y forment des fourrés impénétrables où l’on ne peut s’avancer, comme au Brésil, que la hache à la main. On n’en voit pas près des lieux habités, parce que les habitans coupent pour leur usage les bois qui sont à leur portée et que les Turcs, afin d’éviter les surprises, ont systématiquement détruit et brûlé toutes les forêts aux alentours des villes et des bourgs. Mais ce qui en reste constitue une richesse énorme ; seulement elle n’est pas réalisable. Derrière Serajewo, jusqu’à Ibar et à Mitrovitza, s’étendent dans les hautes montagnes de magnifiques massifs de résineux. C’est de là que Venise a tiré des bois de construction pour ses flottes pendant des siècles. Les gardes-forestiers ont calculé que, sur les 1,667,500 hectares de bois feuillus et sur les 1,059,700 hectares de résineux, il y avait environ 138,971,000 mètres cubes, dont 24,946,000 de bois de construction et 114,025,000 de bois à brûler. Il serait désolant de vendre maintenant, car les prix qu’on obtiendrait sont dérisoires : de 2 à 5 francs le stère de sapin et 3 à 7 francs pour le chêne, selon la situation. Dans les régions qui avoisinent la Save, on exporte des douves, 7 à 900,000 pièces par an. Le revenu que le fisc tire de ces immenses étendues boisées, plus étendues que toute la Belgique, est presque partout insignifiant : 116,007 florins en 1880, 200,000 pour 1884. C’est une réserve qu’il faut soigneusement conserver pour l’avenir. Ces bois abritent beaucoup de gibier : des cerfs, des chevreuils, des lynx, même des loups et des ours. Ils donnent naissance, dans les mille vallées qui découpent le pays, à une quantité de ruisseaux où abondent les truites et les écrevisses et à une masse de sources, plus de 8,000, prétend-on. Là où cessent les arbres, commencent les pâturages, de sorte que la Bosnie est toute verdoyante, sauf les arêtes des hautes montagnes.
 
L’Herzégovine présente un aspect complètement différent. La surface du sol est couverte de grands blocs de calcaire blanchâtre, jetés au hasard, comme les ruines de monumens cyclopéens. L’eau y manque complètement : pas de sources ; les rivières sortent toutes formées de grottes, forment l’hiver des lacs dans des vallées sans issue, puis disparaissent de nouveau sous terre. Les Allemands les appellent très bien ''Höhlen-Flüsse, des rivières de caverne. Telles sont la Jasenitcha, la Buna, la Kerka, la Cettigna et I’Ombla. Rien n’est plus extraordinaire. Dans les dépressions se trouve la terre végétale qui nourrit les habitans. Les maisons, en Bosnie, toutes en bois, sont ici en grosses pierres de l’aspect le plus sauvage. Les arbres
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 71.djvu/320]]==
{{R2Mondes|1885|71|314}}
manquent presque complètement. Le climat est déjà celui de la Dalmatie. Comme il appartient au bassin de la Méditerranée, le pays est sous l’influence du sirocco et des longues sécheresses de l’été. La vigne et le tabac donnent d’excellens produits. L’olivier apparaît et l’oranger lui-même se voit vers les bouches de la Narenta. On cultive le riz dans la vallée marécageuse de la Trebisateh, aux environs de Ljubuska. En Bosnie, au contraire, région élevée qui penche vers le nord, le climat est rude : il gèle fort et longtemps à Serajewo, et la neige y persiste pendant six semaines ou deux mois.
 
L’agriculture, en Bosnie, est une des plus primitives de toute l’Europe. Elle n’applique qu’exceptionnellement l’assolement triennal connu des Germains au temps de Charlemagne, et même, dit-on, dès l’époque de Tacite. Généralement, la terre restée en friche est retournée ou plutôt déchirée par une charrue informe. Sur les sillons frais, la semence de maïs est jetée, puis légèrement enterrée, au moyen d’une claie de branchages qui sert de herse. Les champs sont binés une ou deux fois entre les plants. Après la récolte, on met un second ou un troisième maïs, parfois du blé ou de l’avoine, jusqu’à ce que le sol soit entièrement épuisé. Il est alors abandonné ; il se couvre de fougères et de plantes sauvages où paît le bétail, en attendant que revienne la charrue, après cinq ou dix années. Nul engrais, car les animaux domestiques n’ont très souvent aucun abri ; ils vaguent dans les friches ou dans les coure. Aussi le produit est relativement minime : 100 millions de kilogrammes de maïs, 49 millions de kilogrammes de froment, 38 millions de kilogrammes d’orge, 40 millions de kilogrammes d’avoine, 10 millions de kilogrammes de fèves. La fève est un article important de l’alimentation, car on en mange les jours de jeûne et de carême, et il y en a cent quatre-vingts pour les orthodoxes et cent cinq pour les catholiques. On récolte aussi du seigle, du millet, de I’épeautre, du sarrasin, des haricots, du sorgho, des pommes de terre, des navets, du colza. Le produit total des grains divers s’élève à 500 millions de kilogrammes.
 
Voici des faits qui prouvent l’état déplorablement arriéré de l’agriculture. Ce pays qui serait si favorable, sous tous les rapports, à la production de l’avoine, ne peut en fournir assez pour les besoins de la cavalerie ; on en importe de Hongrie et elle se paie, à Serajewo, le prix excessif de 20 à 21 francs les 100 kilogrammes. Le froment est de mauvaise qualité et cher. Ce sont les moulins hongrois qui fournissent la farine que l’on consomme dans la capitale. Elle y arrive par chemin de fer, à meilleur marché que la farine du pays, qui, à défaut de routes, doit être transportée à des de cheval. Une maison hongroise a voulu établir un grand moulin à vapeur à Serajewo, mais il était impossible de l’approvisionner suffisamment. L’un des