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REVUES ÉTRANGÈRES. 217
nous empêcher d’y voir une œuvre confuse et disproportionnée, pleine
nous empêcher d’y voir une œuvre confuse et disproportionnée, pleine
à la fois de lacunes et de développemens inutiles, longue bien au delà
à la fois de lacunes et de développemens inutiles, longue bien au delà
des limites permises, et gâtée encore par un abus fastidieux de divers
des limites permises, et gâtée encore par un abus fastidieux de divers
patois écossais.
patois écossais.

Mais aussi Weir of Hermislon n’est-il pas, à proprement parler, un
Mais aussi ''Weir of Hermiston'' n’est-il pas, à proprement parler, un
morceau de roman : c’est plutôt une esquisse, la première ébauche
morceau de roman : c’est plutôt une esquisse, la première ébauche
d’une œuvre que l’auteur n’eût point manqué ensuite de remanier et de
d’une œuvre que l’auteur n’eût point manqué ensuite de remanier et de
mettre au point, avec la conscience méticuleuse qu’il apportait à ses
mettre au point, avec la conscience méticuleuse qu’il apportait à ses
moindres travaux. Et le plaisir qu’elle nous procure n’est pas, comme
moindres travaux. Et le plaisir qu’elle nous procure n’est pas, comme
celui qui nous vient d’ E divin Drood, un plaisir tout objectif, l’abandon
celui qui nous vient d’''Edwin Drood'', un plaisir tout objectif, l’abandon
complet de nous-mêmes à la fantaisie du conteur : nous en jouissons
complet de nous-mêmes à la fantaisie du conteur : nous en jouissons
au contraire indirectement et par réflexion, en devinant sous ces
au contraire indirectement et par réflexion, en devinant sous ces
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à travers ces chapitres trop longs ou trop courts, en nous représentant
à travers ces chapitres trop longs ou trop courts, en nous représentant
l’œuvre vivante, harmonieuse, et belle, qu’avait rêvée Stevenson.
l’œuvre vivante, harmonieuse, et belle, qu’avait rêvée Stevenson.
''Weir of Hermiston'', an unfinished romance, by R. L. Stevenson, 1 vol. ; Londres, Chatto and Windus. Sur Stevenson et ses romans, voyez les articles de Th. Bentzon, dans la Revue du {{1er}} avril 1888 et du {{1er}} septembre 1889. ''Weir of Hermiston'', an unfinished romance, by R. L. Stevenson, 1 vol. ; Londres, Chatto and Windus. Sur Stevenson et ses romans, voyez les articles de Th. Bentzon, dans la Revue du {{1er}} avril 1888 et du {{1er}} septembre 1889.

Il avait rêvé de faire de ce roman le plus parfait de ses livres, celui
Il avait rêvé de faire de ce roman le plus parfait de ses livres, celui
qui porterait témoignage de ses dons de poète et de psychologue.
qui porterait témoignage de ses dons de poète et de psychologue.
« Rappelez-vous ma prédiction, écrivait-il en décembre 1892 à M. Bax-
« Rappelez-vous ma prédiction, écrivait-il en décembre 1892 à M. Baxter : c’est ce roman-là qui sera mon chef-d’œuvre ! » Il en avait déjà, à
ter : c’est ce roman-là qui sera mon chef-d’œuvre ! » Il en avait déjà, à
cette époque, fixé le plan général et esquissé les principales figures.
cette époque, fixé le plan général et esquissé les principales figures.
<( Mon juge-pendeur, écrivait-il à M. Baxter, est dès à présent une très
« Mon ''juge-pendeur'', écrivait-il à M. Baxter, est dès à présent une très
belle chose, et, — jusqu’au point de mon récit où je suis arrivé, — le
belle chose, et, — jusqu’au point de mon récit où je suis arrivé, — le
meilleur à beaucoup près de tous mes personnages. » Mais surtout il
meilleur à beaucoup près de tous mes personnages. » Mais surtout il
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donner à son livre. A côté, au-dessus de ses romans d"aventure, où il
donner à son livre. A côté, au-dessus de ses romans d"aventure, où il
ne cessait point de s’employer entre temps, il avait formé le projet
ne cessait point de s’employer entre temps, il avait formé le projet
d’une œuvre plus littéraire et plus haute, d’une façon de grande tra-
d’une œuvre plus littéraire et plus haute, d’une façon de grande tragédie, très réaliste tout ensemble et très pathétique, telle enfin que
gédie, très réaliste tout ensemble et très pathétique, telle enfin que
personne, après l’avoir lue, ne pourrait plus lui reprocher d’être un
personne, après l’avoir lue, ne pourrait plus lui reprocher d’être un
simple amuseur.
simple amuseur.

Aussi ce Weir of Hermislon a-t-il été, durant les quatre ou cinq der-
nières années de sa vie, l’incessant objet de ses préoccupations. Il en
Aussi ce ''Weir of Hermiston'' a-t-il été, durant les quatre ou cinq dernières années de sa vie, l’incessant objet de ses préoccupations. Il en
parlait dans toutes ses lettres, d’un ton parfois triomphant et parfois
parlait dans toutes ses lettres, d’un ton parfois triomphant et parfois
découragé : mais toujours infatigable à questionner ses amis sur tel
découragé : mais toujours infatigable à questionner ses amis sur tel
nom, tel endroit, telle particularité locale, sur toute sorte de menus -
nom, tel endroit, telle particularité locale, sur toute sorte de menus détails d’histoire ou de législation qu’il jugeait nécessaires à la perfection de son œuvre. Flaubert lui-même, peut-être, ne s’est pas plus
obstinément ''documenté'' pour son roman carthaginois que Robert Louis
tails d’histoire ou de législation qu’il jugeait nécessaires à la perfec-
tion de son œuvre. Flaubert lui-même, peut-être, ne s’est pas plus
obstinément documenté pour son roman carthaginois que Robert Louis
Stevenson pour cette histoire tout intime d’une famille écossaise.
Stevenson pour cette histoire tout intime d’une famille écossaise.

Mais au heu de corriger patiemment son texte d’année en année,
Mais au heu de corriger patiemment son texte d’année en année,
comme faisait Flaubert, Stevenson préférait le récrire tout entier : car
comme faisait Flaubert, Stevenson préférait le récrire tout entier : car
avec ses rêves de perfection formelle c’était surtout, de nature, un
avec ses rêves de perfection formelle c’était surtout, de nature, un