« Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle/Lanterne des morts » : différence entre les versions

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=== LANTERNE DES MORTS ===
 
<i>''Fanal</i>'', <i>''tournièle</i>'', <i>''phare</i>''. Pile creuse en
pierre terminée à son sommet par un petit pavillon ajouré, percé à sa
base d'uned’une petite porte, et destinée à signaler au loin, la nuit, la présence
d'und’un établissement religieux, d'und’un cimetière. « Adont moru Salehedins
li miudres princes qui onkes fust en Paienie et fu enfouis en la
cymitère
S. Nicholai d'Acred’Acre de jouste sa mère qui moult ricement y fu
ensévelie : et à sour eaus une tournièle bièle et grant, où il art nuit et
jour une lampe plaine d'oiled’oile d’olive d'olive: et le paient et font alumer cil del
hospital de S. Jehan d'Acred’Acre, qui les grans rentes tiènent que Salehedins
et sa mère laissièrent<span id="note1" ></span>[[#footnote1|<sup>1</sup>]]. »
 
Les provinces du centre et de l'ouestl’ouest de la France conservent encore
un assez grand nombre de ces monuments pour faire supposer qu'ilsqu’ils
étaient jadis fort communs. Peut-être doit-on chercher dans ces édifices
une tradition antique de la Gaule celtique. En effet, ce sont les territoires
où se trouvent les pierres levées, les <i>''menhirs</i>'', qui nous présentent des
exemples assez fréquents de lanternes des morts. Les mots <i>''lanterne</i>'',
<i>''fanal</i>'', <i>''phare</i>'', <i>''pharus ignea</i>''<span id="note2" ></span>[[#footnote2|<sup>2</sup>]], ont des étymologies qui indiquent un lieu
sacré, une construction, une lumière. <i>''Later</i>'', <i>''laterina</i>'',
en latin, signifient
brique, lingot, bloc, amas de briques ; φανός, en grec,
lumineux, flambeau; ;
φανής, dieu de lumière ; <i>''fanum</i>'', lieu consacré ; <i>''par</i>'', en celtique,
pierre consacrée ; <i>''fanare</i>'', réciter des formules de consécration. Le dieu
celte Cruth-Loda habite un palais dont le toit est parsemé de feux nocturnes<span id="note3" ></span>[[#footnote3|<sup>3</sup>]]. Encore de nos jours, dans quelques provinces de France, les
pierres levées dont on attribue, à tort selon nous<span id="note4" ></span>[[#footnote4|<sup>4</sup>]], l'érectionl’érection aux druides,
passent pour s'éclairers’éclairer, la nuit, d'ellesd’elles-mêmes, et pour guérir les malades
qui se couchent autour la nuit précédant la Saint-Jean. La pierre des
Érables (Touraine), entre autres, prévient les terreurs nocturnes. Il est
bon d'observerd’observer que le <i>''menhir</i>'' des Érables est percé d'und’un trou de part en
part, ainsi que plusieurs de ces pierres levées. Ces trous
n'étaientn’étaient-ils pas
disposés pour recevoir une lumière ? et s'ilss’ils devaient recevoir une lumière,
ont-ils été percés par les populations qui primitivement ont élevé ces
blocs, ou plus tard ? Que les menhirs aient été des pierres consacrées à la
lumière, au soleil, ou des pierres préservatrices destinées à détourner les
maladies, à éloigner les mauvais esprits, ou des termes, des bornes,
traditions des voyages de l'Herculel’Hercule tyrien, toujours est-il que le phare du
moyen âge, habituellement accompagné d'und’un petit autel, semble,
particulièrement
dans les provinces celtiques, avoir été un monument sacré
d'uned’une certaine importance. Il en existait à la porte des abbayes, dans les
cimetières, et principalement sur le bord des chemins et auprès des
maladreries. On peut donc admettre que les lanternes des morts érigées
sur le sol autrefois celtique ont perpétué une tradition fort antique,
modifiée par le christianisme.
 
Les premiers apôtres des Gaules, de la Bretagne, de la Germanie et
des contrées scandinaves, éprouvaient des difficultés insurmontables lorsqu'ilslorsqu’ils
prétendaient faire abandonner aux populations certaines pratiques
superstitieuses. Souvent ils étaient contraints de donner à ces pratiques,
qu'ilsqu’ils ne pouvaient détruire, un autre but et de les détourner, pour ainsi
dire, au profit de la religion nouvelle, plutôt que de risquer de compromettre
leur apostolat par un blâme absolu de ces traditions profondément
enracinées. M. de Caumont<span id="note5" ></span>[[#footnote5|<sup>5</sup>]] pense que les lanternes des morts, pendant
le moyen âge, étaient destinées particulièrement aux services des morts
qu'onqu’on apportait de très-loin et qui n'étaientn’étaient point introduits dans l'églisel’église.
Il admet alors que le service se faisait dans le cimetière et que le fanal
remplaçait les cierges. Cette opinion est partagée par M. l'abbél’abbé Cousseau<span id="note6" ></span>[[#footnote6|<sup>6</sup>]]:
« Les églises mères (<i>''ecclesiæ matrices</i>'') seules, dit M.
Cousseau, possédaient
sans restrictions tous les droits qui se rattachent à l'exercicel’exercice du
culte. Cela résultait de ce que souvent le seigneur, en faisant donation
d'uned’une église à un corps religieux, apportait à sa libéralité cette restriction,
que le droit de dîme, le droit de sépulture, etc., ne seraient pas compris
dans la donation. » Que les lanternes des morts aient été utilisées pour
les services funèbres dans les cimetières, le fait paraît probable ; mais
qu'onqu’on ait élevé des colonnes de plusieurs mètres de hauteur pour
placer
à leur sommet, <i>''en plein jour</i>'', des lampes allumées dont personne n'auraitn’aurait
pu apercevoir l'éclatl’éclat, et cela seulement avec l'intentionl’intention de remplacer
l'éclairagel’éclairage des cierges, c'estc’est douteux. Si les lanternes des morts n'eussentn’eussent
été destinées qu'àqu’à tenir lieu de cierges pendant les enterrements, il eut
été plus naturel de les faire très-basses et disposées de manière que la
lumière pût être aperçue de jour par l'assistancel’assistance. Au contraire tout, dans
ces petits monuments, paraît combiné pour que la lampe que renferme
leur lanterne supérieure puisse être vue de très-loin et de tous les points
de l'horizonl’horizon. M. Lecointre, archéologue de Poitiers<span id="note7" ></span>[[#footnote7|<sup>7</sup>]], « remarque que les
colonnes creuses ou fanaux étaient élevés particulièrement dans les
cimetières qui bordaient les chemins de grande communication ou qui
étaient dans des lieux très-fréquentés. Il pense que ces lanternes étaient
destinées à préserver les vivants de la peur des revenants et des esprits
de ténèbres, de les garantir de ce <i>''timore nocturno</i>'', de ce
<i>''negotio perambulante in tenebris</i>'' dont parle le Psalmiste ; enfin de convier les vivants
à la prière pour les morts. » Quant à l'idéel’idée qu'onqu’on attachait à ces monuments,
au XII<sup>e</sup> siècle
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[[Image:Illustration_fig1_6_165Illustration fig1 6 165.png|center|400px]]
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<br />
par exemple, M. Lecointre nous paraît être dans le vrai ; mais nous n'enn’en sommes pas moins disposés à croire que ces colonnes appartiennent, par la tradition, à des usages ou à des superstitions
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[[Image:Illustration_fig2_6_166Illustration fig2 6 166.png|center|400px]]
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<br />
d'uned’une très-haute antiquité<span id="note8" ></span>[[#footnote8|<sup>8</sup>]]. Il est à regretter qu'ilqu’il ne nous reste plus de lanternes
des morts antérieures au XII<sup>e</sup> siècle ; il n'yn’y a pas à douter de leur
existence, puisqu'ilpuisqu’il en est parfois fait mention, entre autres à la
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[[Image:Illustration_fig3_6_167Illustration fig3 6 167.png|center|400px]]
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<br />
bataille livrée entre Clovis et Alaric, mais nous ne connaissons pas la forme de
ces premiers monuments chrétiens.
</div>
[[Image:Illustration_fig4_6_168Illustration fig4 6 168.png|center|400px]]
<div class="text" >
<span id=Celefrouin>Une des lanternes des morts les mieux conservées, datant du XII<sup>e</sup> siècle,
se voit à [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Celefrouin|Celfrouin]] (Charente). La petite porte qui servait à introduire,
à allumer et à guinder la lampe, est relevée de trois mètres au-dessus de
la plate-forme circulaire sur laquelle s'élèves’élève l’édicule l'édicule; ce qui fait supposer
qu'ilqu’il fallait se servir d'uned’une échelle pour allumer cette lampe et la hisser
au sommet de la cheminée. La lanterne de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Celefrouin|Celfrouin]], contrairement à
l'usagel’usage adopté, n'an’a qu'unequ’une seule ouverture au sommet, par laquelle on
peut apercevoir la lumière de la lampe. Quant à la petite tablette qui se
trouve disposée sous l'ouverturel’ouverture inférieure, elle ne saurait être considérée
comme un autel, mais seulement comme un repos destiné à appuyer
l'échellel’échelle et à placer la lampe pour l'arrangerl’arranger avant de la monter.
 
<span id=Ciron>Une autre lanterne, plus complète que celle-ci, se trouve dans le village
de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Ciron|Ciron]] (Indre) ; elle date de la fin du XII<sup>e</sup> siècle. Posée sur une large
plate-forme élevée de sept marches au-dessus du sol, elle possède une
table d'auteld’autel et, à la droite de cette table, l'ouverturel’ouverture nécessaire à l'introductionl’introduction
de la lampe (2). Cette porte était fermée par un vantail en bois.
Nous donnons, en A, le plan général du monument de Ciron ; en B, le
plan au niveau de l'autell’autel, et en C, au niveau de la lanterne supérieure.
La fig. 3 présente l'élévationl’élévation et la coupe de ce monument, bien conservé
encore aujourd'huiaujourd’hui. La lanterne est à claire-voie, de manière à laisser
voir la lumière de tous les points de l'horizonl’horizon. <span id=Antigny>La fig. 4 présente une vue
perspective et un plan de la lanterne des morts d'd’[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Antigny|Antigny]] (Vienne), qui
date du milieu du XIII<sup>e</sup> siècle. Le monument, suivant l'usagel’usage, repose sur
une plate-forme de trois marches ; il est sur plan carré, possède son petit
autel avec une marche, une porte latérale pour l'introductionl’introduction de la lampe
et quatre ouvertures au sommet pour laisser passer la lumière. L'amortissementL’amortissement supérieur était probablement terminé par une croix, comme les
deux exemples précédents.
 
Les lanternes des morts perdent leur caractère de pierre levée, de
colonne isolée, pendant le XIV<sup>e</sup> siècle, et sont remplacées par de petites
chapelles ajourées dans lesquelles on tenait une lampe allumée (voy. [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 2, Chapelle|Chapelle]], fig. 20). C'estC’est ainsi que les vieilles traditions gauloises, qui s'étaients’étaient
perpétuées à travers le christianisme jusqu'àjusqu’à la fin du XIII<sup>e</sup> siècle, changeaient
de forme peu à peu jusqu'àjusqu’à faire oublier leurs origines.
 
<br /><br />
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<span id="footnote1" >[[#note1|1]] : <i>''La Chronique de Rains</i>'' (XIII<sup>e</sup> siècle). Publ. par
Louis Pâris. Paris, Techener,
1837.
 
<span id="footnote2" >[[#note2|2]] : Il existait un <i>''pharus ignea</i>'' près Poitiers, sur
l'emplacementl’emplacement de l'églisel’église Saint-Hilaire,
lors de la bataille de Clovis contre Alaric.
 
<span id="footnote3" >[[#note3|3]] : Edward, <i>''Recherches sur les langues celtiques</i>'' (voy. l'ouvragel’ouvrage de M. L. A. Labourt: :
<i>''Recherches sur l'originel’origine des ladreries, maladreries</i>'', etc. Paris, 1854.
 
<span id="footnote4" >[[#note4|4]] : Ce n'estn’est pas ici le lieu de discuter cette question que nous nous proposons de
traiter ailleurs. Nous devons dire seulement que nous considérons ces monuments
comme appartenant à des traditions antérieures à la domination des
Celtes.
 
<span id="footnote5" >[[#note5|5]] : <i>''Cours dd’antiquités''antiquités</i>, t. VI.
 
<span id="footnote7footnote6" >[[#note7note6|76]] : <i>''Bulletin monumental</i>'', t. IIIIX, p. 452540.
 
<span id="footnote6footnote7" >[[#note6note7|67]] : <i>''Bulletin monumental</i>'', t. IXIII, p. 540452.
 
<span id="footnote8" >[[#note8|8]] : Pour ne donner ici qu'unqu’un petit nombre d'exemplesd’exemples de l'antiquitél’antiquité de cette tradition,
<span id="footnote7">[[#note7|7]] : <i>Bulletin monumental</i>, t. III, p. 452.
Hérodote rapporte que, dans le temple de l'Herculel’Hercule tyrien, il y avait une
colonne isolée en émeraude (escarboucle) qui éclairait d'elled’elle-même tout l'intérieurl’intérieur de
<span id="footnote8">[[#note8|8]] : Pour ne donner ici qu'un petit nombre d'exemples de l'antiquité de cette tradition,
ce temple. Le géographe Pomponius Méla prétend qu'auqu’au sommet du mont Ida,
Hérodote rapporte que, dans le temple de l'Hercule tyrien, il y avait une
célèbre dans l'antiquitél’antiquité par le jugement de Pâris, on voit, la nuit, briller des feux
colonne isolée en émeraude (escarboucle) qui éclairait d'elle-même tout l'intérieur de
ce temple. Le géographe Pomponius Méla prétend qu'au sommet du mont Ida,
célèbre dans l'antiquité par le jugement de Pâris, on voit, la nuit, briller des feux
qui se réunissent en faisceau avant le lever du soleil. Euripide dit la même chose
dans les <i>''Troyennes</i>''.