« Derniers Contes/L’Ensevelissement prématuré » : différence entre les versions

Contenu supprimé Contenu ajouté
Aucun résumé des modifications
 
ThomasBot (discussion | contributions)
m Wikipedia python library
Ligne 12 :
Saint-Barthelemy, ou de l'etouffement des cent vingt-trois prisonniers
dans le trou noir de Calcutta. Mais dans ces recits, c'est le
fait--c'est-a-dire la realite--la verite historique qui nous emeut. En
tant que pures inventions, nous ne les regarderions qu'avec horreur.
 
Ligne 21 :
dans le long et magique catalogue des miseres humaines, choisir beaucoup
d'exemples individuels plus remplis d'une veritable souffrance qu'aucune
de ces vastes catastrophes collectives. La vraie misere--le comble de la
douleur--est quelque chose de particulier, non de general. Si l'extreme
de l'horreur dans l'agonie est le fait de l'homme unite, et non de
l'homme en masse--remercions-en la misericorde de Dieu!
 
Etre enseveli vivant, c'est a coup sur la plus terrible des extremites
Ligne 35 :
d'evanouissement, ou toute fonction apparente de vitalite semble cesser
entierement, et ou cependant cette cessation n'est, a proprement parler,
qu'une pure suspension--une pause momentanee dans l'incomprehensible
mecanisme de notre vie. Au bout d'un certain temps, quelque mysterieux
principe invisible remet en mouvement les ressorts enchantes et les
Ligne 42 :
l'ame?
 
Mais en dehors de l'inevitable conclusion _a''a priori_priori'', que telles causes
doivent produire tels effets--et que par consequent ces cas bien connus
de suspension de la la vie doivent naturellement donner lieu de temps
en temps a des inhumations prematurees--en dehors, dis-je, de cette
consideration, nous avons le temoignage direct de l'experience medicale
et ordinaire, qui demontre qu'un grand nombre d'inhumations de ce
Ligne 55 :
quelques-uns de mes lecteurs, s'est presente il n'y a pas longtemps dans
la ville voisine de Baltimore, et y a produit une douloureuse, intense
et generale emotion. La femme d'un de ses plus respectables citoyens--un
legiste eminent, membre du Congres,--fut atteinte subitement d'une
inexplicable maladie, qui defia completement l'habilete des medecins.
Apres avoir beaucoup souffert, elle mourut, ou fut supposee morte.
Ligne 70 :
La dame fut deposee dans le caveau de famille, et rien n'y fut derange
pendant les trois annees suivantes. Au bout de ces trois ans, on ouvrit
le caveau pour y deposer un sarcophage.--Quelle terrible secousse
attendait le mari qui lui-meme ouvrit la porte! Au moment ou elle se
fermait derriere lui, un objet vetu de blanc tomba avec fracas dans ses
Ligne 76 :
 
Des recherches minutieuses prouverent evidemment qu'elle etait
ressuscitee dans les deux jours qui suivirent son inhumation,--que les
efforts qu'elle avait faits dans le cercueil avaient determine sa
chute de la saillie sur le sol, ou en se brisant il lui avait permis
Ligne 101 :
fois marie, ce monsieur la negligea, ou peut-etre meme la maltraita
brutalement. Apres avoir passe avec lui quelques annees miserables, elle
mourut--ou au moins son etat ressemblait tellement a la mort, qu'on
pouvait s'y meprendre. Elle fut ensevelie--non dans un caveau,--mais
dans une fosse ordinaire dans son village natal. Desespere, et toujours
brulant du souvenir de sa profonde passion, l'amoureux quitte la
Ligne 131 :
de la legalite, les droits de son epoux.
 
Le "Journal Chirurgical" de Leipsic--periodique de grande autorite et
de grand merite, que quelque editeur americain devrait bien traduire
et republier--rapporte dans un de ses derniers numeros un cas analogue
vraiment terrible.
 
Ligne 190 :
typhoide, accompagnee de quelques symptomes extraordinaires, qui avaient
excite la curiosite des medecins qui le soignaient. Apres son deces
apparent, on requit ses amis d'autoriser un examen du corps _post''post
mortem_mortem''; mais ils s'y refuserent. Comme il arrive souvent en presence
de pareils refus, les praticiens resolurent d'exhumer le corps et de le
dissequer a loisir en leur particulier. Ils s'arrangerent sans peine
Ligne 222 :
Il etait evident que M. Stapleton etait vivant, quoique evanoui. Les
vapeurs de l'ether le ramenerent a la vie; il fut rapidement rendu a la
sante et a la societe de ses amis--a qui cependant on eut grand soin
de cacher sa resurrection, jusqu'a ce qu'il n'y eut plus de rechute a
craindre. Qu'on juge de leur etonnement--de leur transport!
 
Mais ce qu'il y a de plus saisissant dans cette aventure, ce sont les
assertions de M. Stapleton lui-meme. Il declare qu'il n'y a pas eu un
moment ou il ait ete completement insensible--qu'il avait une conscience
obtuse et vague de tout ce qui lui arriva, a partir du moment ou ses
medecins le declarerent _mort_''mort'', jusqu'a celui ou il tomba evanoui sur le
plancher de l'hospice. "Je suis vivant", telles avaient ete les paroles
incomprises, qu'il avait essaye de prononcer, en reconnaissant que la
Ligne 248 :
affirmer sans hesitation, qu'il n'y a pas d'evenement plus terriblement
propre a inspirer le comble de la detresse physique et morale que d'etre
enterre vivant. L'oppression intolerable des poumons--les exhalaisons
suffocantes de la terre humide--le contact des vetements de mort colles
a votre corps--le rigide embrassement de l'etroite prison--la noirceur
de la nuit absolue--le silence ressemblant a une mer qui
vous engloutit--la presence invisible, mais palpable du ver
vainqueur--joignez a tout cela la pensee qui se reporte a l'air et
au gazon qui verdit sur votre tete, le souvenir des chers amis qui
voleraient a votre secours s'ils connaissaient votre destin, l'assurance
qu'ils n'en seront _jamais_''jamais'' informes--que votre lot sans esperance est
celui des vrais morts--toutes ces considerations, dis-je, portent avec
elles dans le coeur qui palpite encore une horreur intolerable qui fait
palir et reculer l'imagination la plus hardie. Nous ne connaissons pas
sur terre de pareille agonie--nous ne pouvons rever rien d'aussi hideux
dans les royaumes du dernier des enfers. C'est pourquoi tout ce qu'on
raconte a ce sujet offre un interet si profond--interet, toutefois, qui,
en dehors de la terreur mysterieuse du sujet, repose essentiellement et
specialement sur la conviction ou nous sommes de la _verite_''verite'' des
choses racontees. Ce que je vais dire maintenant releve de ma propre
connaissance, de mon experience positive et personnelle.
Ligne 281 :
un miroir aux levres, nous pouvons decouvrir une certaine action des
poumons, action lourde, inegale et vacillante. D'autres fois, la crise
dure des semaines entieres,--meme des mois; et dans ce cas, l'examen
le plus scrupuleux, les epreuves les plus rigoureuses des medecins ne
peuvent arriver a etablir quelque distinction sensible entre l'etat du
Ligne 293 :
deviennent successivement de plus en plus distincts et prolonges. C'est
dans cette gradation qu'est la plus grande securite contre l'inhumation.
L'infortune, dont la _premiere_''premiere'' attaque revetirait les caracteres
extremes, ce qui se voit quelquefois, serait presque inevitablement
condamne a etre enterre vivant.
Ligne 334 :
etait pour moi une torture, et la nuit, une agonie. Quand l'affreuse
obscurite se repandait sur la terre, l'horreur de cette pensee me
secouait--me secouait comme le vent secoue les plumes d'un corbillard.
Quand la nature ne pouvait plus resister au sommeil, ce n'etait qu'avec
une violente repulsion que je consentais a dormir--car je frissonnais en
songeant qu'a mon reveil, je pouvais me trouver l'habitant d'une tombe.
Et lorsqu'enfin je succombais au sommeil, ce n'etait que pour etre
Ligne 366 :
mais je suis plein de compassion. Tu sens que je tremble. Mes dents
claquent, pendant que je parle, et cependant ce n'est pas du froid de la
nuit--de la nuit sans fin. Mais cette horreur est intolerable. Comment
peux-tu dormir en paix? Je ne puis reposer en entendant le cri de
ces grandes agonies. Les voir, c'est plus que je ne puis supporter.
Leve-toi! Viens avec moi dans la nuit exterieure, et laisse-moi te
devoiler les tombes. N'est-ce pas un spectacle lamentable?--Regarde."
 
Je regardai; et la figure invisible, tout en me tenant toujours par le
Ligne 390 :
expirerent, et les tombes se refermerent tout a coup avec violence,
pendant que de leurs profondeurs sortait un tumulte de cris desesperes,
repetant: "N'est-ce pas--o Dieu! n'est-ce pas une vue bien pitoyable?"
 
Ces apparitions fantastiques qui venaient m'assaillir la nuit etendirent
Ligne 433 :
etre enterre vivant!
 
Il arriva un moment--comme cela etait deja arrive--ou, sortant d'une
inconscience totale, je ne recouvrai qu'un faible et vague sentiment de
mon existence. Lentement--a pas de tortue--revenait la faible et grise
lueur du jour de l'intelligence. Un malaise engourdissant. La sensation
apathique d'une douleur sourde. L'absence d'inquietude, d'esperance et
Ligne 456 :
me souviens que je suis sujet a la catalepsie. Et bientot enfin, comme
par un debordement d'ocean, mon esprit fremissant est submerge par
la pensee de l'unique et effroyable danger--l'unique idee spectrale,
envahissante.
 
Ligne 463 :
pas faire l'effort necessaire pour me rendre compte de ma destinee; et
cependant il y avait quelque chose dans mon coeur qui me murmurait que
_c''c'etait vrai_vrai''. Le desespoir--un desespoir tel qu'aucune autre espece de
misere n'en peut inspirer a un etre humain--le desespoir seul me poussa
apres une longue irresolution a soulever les lourdes paupieres de mes
yeux. Je les soulevai. Il faisait noir--tout noir. Je reconnus que
l'acces etait passe. Je reconnus que ma crise etait depuis longtemps
terminee. Je reconnus que j'avais maintenant recouvre l'usage de mes
facultes visuelles.--Et cependant il faisait noir--tout noir--l'intense
et complete obscurite de la nuit qui ne finit jamais.
 
J'essayai de crier, mes levres et ma langue dessechees se murent
convulsivement a la fois dans cet effort;--mais aucune voix ne sortit
des cavernes de mes poumons, qui, oppressees comme sous le poids d'une
montagne, s'ouvraient et palpitaient avec le coeur, a chacune de mes
Ligne 482 :
morts. Je sentis aussi que j'etais couche sur quelque chose de dur,
et qu'une substance analogue comprimait rigoureusement mes flancs.
Jusque-la je n'avais pas ose remuer aucun de mes membres;--mais alors
je levai violemment mes bras, qui etaient restes etendus les poignets
croises. Ils heurterent une substance solide, une paroi de bois, qui
Ligne 490 :
 
Cependant au milieu de ma misere infinie l'ange de l'esperance vint me
visiter;--je songeai a mes precautions si bien prises. Je me tordis, fis
mainte evolution spasmodique pour ouvrir le couvercle; il ne bougea
pas. Je tatai mes poignets pour y chercher la corde de la cloche; je
ne trouvai rien. L'esperance s'enfuit alors pour toujours, et le
desespoir--un desespoir encore plus terrible--regna triomphant; car je
ne pouvais m'empecher de constater l'absence du capitonnage que j'avais
si soigneusement prepare; et soudain mes narines sentirent arriver a
elles l'odeur forte et speciale de la terre humide. La conclusion etait
irresistible. Je n'etais pas dans le caveau. J'avais sans doute eu une
attaque hors de chez moi--au milieu d'etrangers;--quand et comment, je
ne pus m'en souvenir; et c'etaient eux qui m'avaient enterre comme un
chien--cloue dans un cercueil vulgaire--et jete profondement, bien
profondement, et pour toujours, dans une fosse ordinaire et sans nom.
 
Ligne 519 :
un quatrieme. Et la-dessus je fus saisi et secoue sans ceremonie pendant
quelques minutes par une escouade d'individus a mauvaise mine. Ils ne me
reveillerent pas--car j'etais parfaitement eveille quand j'avais pousse
ce cri--mais ils me rendirent la pleine possession de ma memoire.
 
Cette aventure se passa pres de Richmond, en Virginie. Accompagne d'un
Ligne 528 :
le courant, et charge de terreau, etait le seul abri acceptable qui
s'offrit a nous. Nous nous en accommodames, et passames la nuit abord.
Je dormis dans un des deux seuls hamacs de l'embarcation--et les hamacs
d'un sloop de soixante-dix tonnes n'ont pas besoin d'etre decrits. Celui
que j'occupai ne contenait aucune espece de literie. La largeur extreme
Ligne 534 :
exactement de la meme dimension. J'eprouvai une extreme difficulte a
m'y faufiler. Cependant, je dormis profondement; et l'ensemble de
ma vision--car ce n'etait ni un songe, ni un cauchemar--provint
naturellement des circonstances de ma position--du train ordinaire de
ma pensee, et de la difficulte, a laquelle j'ai fait allusion, de
recueillir mes sens, et surtout de recouvrer ma memoire longtemps
Ligne 546 :
Toutefois, il est indubitable que les tortures que j'avais endurees
egalerent tout a fait, sauf pour la duree, celles d'un homme reellement
enterre vif. Elles avaient ete epouvantables--hideuses au dela de toute
conception. Mais le bien sortit du mal; leur exces meme produisit en
moi une revulsion inevitable. Mon ame reprit du ton, de l'equilibre.
Je voyageai a l'etranger. Je me livrai a de vigoureux exercices. Je
respirai l'air libre du ciel. Je songeai a autre chose qu'a la mort. Je
laissai de cote mes livres de medecine. Je brulai _Buchan_''Buchan''. Je ne lus
plus les _Pensees''Pensees Nocturnes'' — Nocturnes_--plus de galimatias sur les cimetieres,
plus de contes terribles _comme''comme celui-ci_ci''. En resume je devins un homme
nouveau, et vecus en homme. A partir de cette nuit memorable, je
dis adieu pour toujours a mes apprehensions funebres, et avec elles
Ligne 565 :
terreurs sepulcrales comme quelque chose de purement fantastique; mais,
semblable aux demons qui accompagnerent Afrasiab dans son voyage sur
l'Oxus, il faut qu'elle dorme ou bien qu'elle nous devore--il faut la
laisser reposer ou nous resigner a mourir.