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de quoi les rassasier pour trois jours ! J’eusse voulu crever les murs, laisser affluer les convives… Car sentir souffrir de la faim me devenait angoisse affreuse. Et je regagnais le vieux port où je répandais au hasard les menues pièces dont j’avais les poches emplies.

La pauvreté de l’homme est esclave ; pour manger, elle accepte un travail sans plaisir ; tout travail qui n’est pas joyeux est détestable, pensais-je, et je payais le repos de plusieurs. Je disais : – Ne travaille donc pas : ça t’ennuie. Je rêvais pour chacun ce loisir sans lequel ne peut s’épanouir aucune nouveauté, aucun vice, aucun art.

Marceline ne se méprenait pas sur ma pensée ; quand je revenais du vieux port, je ne lui cachais pas quels tristes gens m’y entouraient. — Tout est dans l’homme. Marceline entrevoyait bien ce que je m’acharnais à découvrir ; et comme je lui reprochais de croire trop souvent à des vertus qu’elle inventait à mesure en chaque être :