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Chapitre LXIII
Vie et clarté
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Je ne peux pas vous décrire mon bonheur. Toute appréhension m’abandonna: j’étais sauvé, j’oubliais que j’avais souffert.

La clarté qui me réjouissait ainsi n’était qu’un faible rayon qui passait entre deux planches. Elle m’arrivait en ligne oblique, et me paraissait à peine à deux ou trois mètres de distance.

Elle ne pouvait pas venir du pont; il n’existe pas la moindre fissure au plancher d’un navire; et la fente qui laissait pénétrer cette lueur ne pouvait être qu’au volet de l’écoutille, dont le prélart était sans doute enlevé, ou déchiré à cet endroit.

J’avais les yeux rivés sur cette lueur imperceptible, qui me semblait rayonner comme une étoile brillante. Jamais rien ne me parut si doux à contempler; c’était comme le regard d’un ange qui me souriait, et me félicitait de me voir revenir à la vie.

Je m’arrachai cependant à mon extase; j’étais à la fin de mon travail, j’allais recueillir le prix de mes efforts, et ne pouvais m’arrêter au seuil de la délivrance. Plus on est près du but, plus on est impatient de l’atteindre; et je me hâtai d’arracher le reste du dessus de la caisse de modes, où je me trouvais encore.

Puisque cette clarté m’arrivait, j’étais donc au dernier étage de la cargaison; puisqu’elle me venait obliquement, c’est qu’il n’y avait rien entre elle et moi. L’espace qu’elle traversait ne pouvait être qu’au-dessus des caisses et des ballots; rien ne devait le remplir.

Cette conjecture fut bientôt vérifiée. Je sortis de ma case, j’étendis les bras dans tous les sens et ne rencontrai que le vide. Assis au bord de la caisse, j’y restai quelque temps, n’osant pas m’aventurer dans l’espace qui était devant moi, de peur de trouver sous mes pas quelque abîme, et de ne m’en apercevoir qu’en y tombant.

Je regardais la clarté qui me servait de phare, et dont je m’étais rapproché. Mes yeux s’habituaient à la lumière, et malgré la faiblesse du rayon qui m’éclairait, je finis par distinguer tous les objets qu’il y avait autour de moi. Je vis bientôt que le vide au lieu de régner sur toute la cargaison, ainsi que je l’avais cru, ne s’étendait qu’à peu de distance de ma caisse. C’était un creux circulaire, une sorte d’amphithéâtre fermé de tous côtés par les marchandises empilées dans la cale, un espace laissé au-dessous de l’écoutille, et où gisaient des barils et des sacs, destinés sans doute à l’approvisionnement de l’équipage, et placés de manière qu’on pût les prendre facilement, à mesure que le besoin s’en ferait sentir.

C’était sur l’un des côtés de cette espèce d’entonnoir que j’étais sorti de ma galerie. Sans aucun doute j’étais sur le pont. Je n’avais plus qu’à faire quelque pas, à frapper aux planches qui se trouvaient au-dessus de ma tête; et l’on venait à mon secours.

Mais, bien qu’il ne me fallût qu’un simple effort, un seul cri pour recouvrer la liberté, je fus longtemps sans avoir le courage de faire cet effort libérateur.

Je n’ai pas besoin de vous dire pourquoi. Rappelez-vous tous mes ravages. Les dégâts s’élevaient peut-être à des centaines de livres. Songez à l’impossibilité où je me trouvais de faire la plus légère restitution, de dédommager qui que ce fût de la perte dont j’étais cause, et vous comprendrez pourquoi je restais immobile sur la caisse aux chapeaux. Une inquiétude affreuse s’était emparée de mon esprit. Le dénoûment que pouvait avoir ce drame me remplissait de terreur, et j’hésitais à le faire naître.

Comment regarder en face le capitaine, affronter la colère du lieutenant? Je frissonnais rien que d’y penser. Quel châtiment allais-je avoir à subir? Peut-être me jetterait-on à la mer.

Un tressaillement d’horreur parcourut toutes mes veines; la disposition de mon âme avait brusquement changé; cette lumière tremblante, qui l’instant d’avant m’inondait de joie, ne m’inspirait plus qu’une horrible crainte; et ma poitrine se serrait tandis que mes yeux la regardaient avec stupeur.


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