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Chapitre LXII
À demi suffoqué
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Une fois débarrassé des chapeaux, et installé à leur place, j’avais l’intention de faire sauter le couvercle de la caisse, si la chose était possible, ou d’y pratiquer l’ouverture de rigueur. Mais d’abord il fallait procéder à mon examen habituel pour savoir à quoi j’aurais affaire ensuite, afin de ne pas m’exposer à prendre une peine inutile.

Je passai donc la pointe de mon couteau entre les fentes du couvercle, pour tâter l’objet qui se trouvait au-dessus de moi. C’était un ballot, car je sentais de la toile; mais un ballot qui me parut élastique; du moins il ne m’offrait pas grande résistance, la lame de mon couteau s’y enfonça jusqu’à la garde, et je ne sentis pas de caisse intérieure.

Ce n’était pas de la toile, pas même du drap; mon couteau y entrait comme dans du beurre; et la moindre étoffe m’aurait toujours un peu résisté. Mais ce pouvait être un vide; je sondai à plusieurs endroits, et partout je pénétrais sans effort; c’était une matière molle, une substance inconnue dont je ne me faisais pas la moindre idée.

Il était à peu près sûr qu’elle ne m’opposerait pas d’obstacle sérieux; je n’en demandais pas davantage, et sous l’impression agréable que me donnait cette probabilité, je me mis en devoir d’enlever les planches qui me séparaient de ce singulier ballot, afin de le miner à son tour.

Je me livrai de nouveau à cette fastidieuse besogne de couper en travers l’une des planches qui s’opposaient à mon passage; je n’avais pas d’autre moyen de procéder perpendiculairement: le poids des objets qui se trouvaient sur les caisses m’empêchait d’en ébranler le couvercle, dont la section devenait indispensable.

Toutefois, le dessus de la boîte à chapeaux fut moins difficile à couper que les autres, le bois en était plus mince, et en moins d’une heure j’eus achevé mon opération.

Je coupai la toile qui enveloppait cette caisse de modes précieuses, et je pus avec la main sentir le mystérieux ballot: c’était un sac à blé; je le reconnus immédiatement, j’en avais assez palpé à la ferme.

Mais qu’est-ce qui le remplissait? était-ce de l’orge, du froment ou de l’avoine? Non, c’était quelque chose de plus doux.

Il était facile de s’en assurer; au moyen de mon couteau je fis au sac une ouverture suffisante pour y passer la main. Ce ne fut pas nécessaire: à peine avais-je fendu la toile, qu’une substance poudreuse s’en échappa, et que mes doigts, en se refermant, saisirent une poignée de farine. Je la portai à ma bouche: c’était de la farine de froment, j’en avais l’assurance.

Quelle heureuse découverte! je n’avais plus peur de mourir de faim, plus besoin de manger des rats. Avec de la farine et de l’eau je pouvais vivre comme un prince. Elle était crue, direz-vous? Qu’importe, elle n’en était pas moins agréable et saine.

«Dieu soit loué!» m’écriai-je en pensant à la valeur de cette découverte.

Je travaillais depuis longtemps, j’étais fatigué, j’avais grand’faim, et ne pus résister au désir de faire immédiatement un bon repas. Je remplis mes poches de farine et me disposai à retourner près de mon tonneau. Avant de partir j’eus toutefois la précaution de fermer la plaie que j’avais faite à mon sac, en y fourrant des morceaux de toile, et j’opérai ma descente.

Les rats, y compris le sac de laine qui me servait de garde-manger, furent placés dans un coin; j’espérais bien n’avoir plus à les en sortir; et faisant une pâte avec ma farine, je la mangeai d’aussi bon cœur que s’il se fût agi d’un tôt-fait ou d’un pouding à la minute.

Quelques heures d’un profond sommeil réparèrent mes forces; un nouveau plat de bouillie fut avalé prestement, et je revins à mon tunnel.

En arrivant au second étage, c’est-à-dire à la seconde caisse, je fus surpris de trouver sur toutes les planches une couche épaisse de poussière. Dans la logette, à côté du piano, cette couche était si forte que j’y enfonçais jusqu’à la cheville; quelque chose me tombait sur les épaules; je levai la tête, un nuage de poudre m’entra dans la bouche, dans les yeux et me fit tousser, éternuer, pleurer de la façon la plus violente. Mon premier mouvement fut de battre en retraite, pour me réfugier au fond de ma cellule; mais je n’eus pas besoin d’aller jusque-là; une fois dans l’ancienne boîte aux biscuits, je fus à l’abri de cette ondée pulvérulente, et je respirai librement.

Il était facile de s’expliquer ce phénomène: le mouvement du vaisseau avait fait tomber les chiffons qui bouchaient l’ouverture du sac; et c’était ma farine que j’avais prise pour de la poussière.

La perte pouvait être considérable; dans tous les cas il fallait refermer le sac. Malgré la peur que j’avais d’une nouvelle suffocation, je n’hésitai pas à escalader mon tunnel; et fermant la bouche et les yeux, je fus bientôt dans l’ancienne caisse de modes.

Mais il me sembla qu’il ne tombait plus de farine. Je levai d’abord la main, puis la figure, et me convainquis du fait: la pluie de farine avait complétement cessé, et par une bonne raison, c’est que le sac était vide.

J’aurais regardé cet événement comme un malheur, si je n’avais compris tout de suite qu’on pouvait y remédier. Certes une grande partie de la farine avait glissé entre les caisses, et de là s’était perdue à fond de cale; mais il en restait une quantité plus que suffisante dans tous les coins où il y avait un bout de planche; principalement dans la logette triangulaire, que j’avais tapissée d’étoffe.

Cela importait peu du reste; car une nouvelle découverte, que je fis presque aussitôt, absorba toutes mes pensées, et je ne m’inquiétai plus de farine ni de provisions quelconques.

J’avais allongé le bras pour voir si vraiment la poche était vide; elle l’était complétement; dès lors je n’avais plus qu’à tirer le sac pour profiter de la place qu’il occupait, et la prendre à mon tour. «Encore un étage de gagné,» me dis-je, en saisissant la toile et en la jetant derrière moi.

Je passai la tête dans la caisse pour me hisser à la place du sac:

Ô mon Dieu, je revoyais la lumière!


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