« À fond de cale/60 » : différence entre les versions

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Chapitre LX
Espace triangulaire
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Je passai la nuit dans mon ancienne cabine; il serait plus juste de dire que j’y restai pendant mon sommeil, car il pouvait être grand jour; mais peu importe, je n’en dormis pas moins bien, et me réveillai plein de vigueur. C’était mon nouveau régime qui, sans aucun doute, produisait cet heureux effet; car, en dépit de la répugnance qu’il vous inspire, il faut reconnaître qu’il était nourrissant.

Je n’hésitai pas à déjeuner de la même chère; et après avoir bu ma ration d’eau je retournai dans la caisse où j’avais passé la journée précédente et une partie de la nuit.

En me retrouvant à la même place que la veille, je ne pus pas me dissimuler que j’avais fait peu de chemin pendant cette longue séance; mais quelque chose me faisait pressentir que j’allais être plus heureux.

Vous vous rappelez qu’au moment où la rupture de ma lame était venue me plonger dans la douleur, j’étais placé dans les circonstances les plus favorables où je me fusse encore trouvé: la caisse à laquelle j’avais affaire semblait facile à ouvrir; et je me revis dans la même situation en reprenant mon travail.

Cette fois, comme vous pensez, je n’eus pas la témérité de me servir de mon couteau pour soulever les planches et les enlever de leur point d’attache. Je connaissais trop la valeur de cet instrument, qui était celui de ma délivrance, et je cherchai un autre levier.

«Il me faudrait un morceau de bois très-dur,» pensai-je.

Je me souvins tout à coup des douelles de la barrique d’eau-de-vie.

Je fus aussitôt dans ma cabine; où je me rappelais les avoir laissées. Effectivement, après avoir dérangé quelques pièces de drap, et tâtonné pendant quelques minutes, je me trouvai possesseur d’une planche étroite et solide qui me sembla remplir toutes les conditions voulues.

De nouveau à la besogne, j’amincis le bout de ma planchette, et l’introduisant avec un peu de peine, il est vrai, sous les planches qui formaient l’un des côtés de la caisse, je l’y enfonçai le plus possible en frappant dessus avec un morceau de bois.

Lorsqu’elle fut solidement ancrée, je pesai de toutes mes forces sur le bout qui était libre, et après de nombreuses secousses, j’eus la satisfaction d’entendre craquer les pointes qui se détachaient. Mes doigts prirent alors la place du levier, j’attirai la planche vers moi, et la brèche fut ouverte.

La planche voisine se détacha plus facilement; il en résulta une ouverture bien assez large pour me permettre de vider la boîte de ce qu’elle pouvait contenir.

C’étaient des paquets oblongs, ayant la forme des pièces de toile ou de drap, mais bien plus légers, surtout plus élastiques, ils n’en sortiraient que plus facilement, et je n’aurais pas besoin de les défaire pour les ôter de la caisse.

Quant à m’assurer de leur nature, je n’en eus pas même la curiosité; et il me serait impossible de vous dire ce qu’il y avait dans ces paquets, si en tirant l’un d’eux, qui était plus serré que les autres, l’enveloppe ne s’en était déchirée: au moelleux du tissu que mes doigts rencontrèrent, ils reconnurent que c’était du velours.

La caisse fut bientôt vide, son contenu rangé avec soin derrière moi; et le cœur palpitant, je me hissai dans l’espace que je venais de m’ouvrir: j’étais d’un étage plus près de la liberté.

Il ne m’avait fallu que deux heures pour faire ce pas énorme; c’était d’un bon augure; la journée commençait bien, et je résolus de ne pas perdre une minute, puisque le sort se montrait si favorable.

Après avoir été me rafraîchir à mon tonneau, je remontai dans la caisse au velours, et je commençai une nouvelle série d’explorations. Comme il était arrivé pour la caisse au drap, la partie supérieure, également appuyée contre le piano, pouvait se détacher avec un peu d’effort; et sans pousser au delà mon examen, j’appuyai mes talons contre les planches et les frappai vigoureusement.

Je n’avais pas beaucoup de force, en raison de la gêne que j’éprouvais dans ma nouvelle boîte, dont la dimension était beaucoup moindre que celle de la caisse aux étoffes. À la fin, cependant, les planches se détachèrent, et tombèrent les unes après les autres dans le vide que j’ai signalé.

Je pus, dès lors, continuer mon examen des lieux, et je me penchai pour sentir ce qu’il y avait autour de moi; je m’attendais à trouver le grand piano, se dressant toujours comme un mur, et j’avais bien peur qu’il ne fermât tout l’espace. Il est certain que l’énorme caisse n’avait pas changé de position, c’est elle que je rencontrai tout de suite; mais je ne pus retenir un cri de joie en m’apercevant qu’elle ne bouchait pas la moitié de l’ouverture; et, chose qui me rendait encore plus heureux, c’est qu’en suivant le bord avec la main, je découvris que dans l’endroit où elle n’arrivait pas, il se trouvait un vide, presque aussi large que la caisse au velours.

Quelle agréable surprise! autant d’avance pour mon tunnel. J’étendis le bras, et ma joie devint de plus en plus grande: le vide existait non-seulement en largeur, mais il montait jusqu’à l’extrémité du piano, et formait une cellule triangulaire dont la pointe était précisément tournée vers le bas. Cela tenait à la forme du piano qui, au lieu d’être carré, allait en diminuant de largeur; il était placé de champ, et comme il reposait sur le côté le plus large, il y avait nécessairement un vide à partir de son échancrure.

Apparemment qu’il n’y avait pas eu de caisse ou de ballot qui pût se caser dans cet espace triangulaire, puisqu’il était inoccupé. «Tant mieux,» pensai-je en m’introduisant dans cette logette, avec l’intention de l’examiner.


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