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Non, la fin de toute créature n’est pas le bonheur entendu comme il l’est dans le premier axiome de Voltaire. Les créatures n’ont pas été faites pour être heureuses, mais pour vivre et se développer en marchant vers un certain type de perfection.
Non, la fin de toute créature n’est pas le bonheur entendu comme il l’est dans le premier axiome de Voltaire. Les créatures n’ont pas été faites pour être heureuses, mais pour vivre et se développer en marchant vers un certain type de perfection.


Nous avons de cela une image bien sensible dans l’enfant. Dites-moi quel est le but de la nature dans un enfant ? je parle à la fois de son corps et de son esprit. Tout en lui n’a qu’un but, une fin : c’est d’arriver à l’état d’homme. Il n’en a pas moins pour cela sa vie d’enfant. On peut même soutenir, comme Jean-Jacques dans ''l’Émile'', que la meilleure éducation qu’on puisse lui donner peut s’accorder avec cette vie d’enfant, de telle sorte que s’il vient à mourir avant d’être un homme, il a ait été aussi heureux que le comporte son état d’enfance. Mais enfin cet état n’est évidemment pas son but, sa fin ; il n’est pas enfant pour rester enfant, il est enfant pour devenir homme.
Nous avons de cela une image bien sensible dans l’enfant. Dites-moi quel est le but de la nature dans un enfant ? je parle à la fois de son corps et de son esprit. Tout en lui n’a qu’un but, une fin : c’est d’arriver à l’état d’homme. Il n’en a pas moins pour cela sa vie d’enfant. On peut même soutenir, comme Jean-Jacques dans l’''Émile'', que la meilleure éducation qu’on puisse lui donner peut s’accorder avec cette vie d’enfant, de telle sorte que s’il vient à mourir avant d’être un homme, il ait été aussi heureux que le comporte son état d’enfance. Mais enfin cet état n’est évidemment pas son but, sa fin ; il n’est pas enfant pour rester enfant, il est enfant pour devenir homme.


De même que la vie de l’enfant est une aspiration vers la vie de l’homme, notre vie actuelle ne serait-elle pas une simple aspiration à un état futur ? en ce cas, la question serait bien changée ; car il ne s’agirait pas d’être heureux, mais de vivre de cette vie pour vivre ensuite d’une autre vie.
De même que la vie de l’enfant est une aspiration vers la vie de l’homme, notre vie actuelle ne serait-elle pas une simple aspiration à un état futur ? En ce cas, la question serait bien changée ; car il ne s’agirait pas d’être heureux, mais de vivre de cette vie pour vivre ensuite d’une autre vie.


Cet horizon immense vous répugne-t-il, et voulez-vous vous rabattre à la vie présente ? Vous aurez beau faire, vous retrouverez toujours au fond de vous-même cette nécessité de marcher et de vous avancer sans cesse de changement en changement.
Cet horizon immense vous répugne-t-il, et voulez-vous vous rabattre à la vie présente ? Vous aurez beau faire, vous retrouverez toujours au fond de vous-même cette nécessité de marcher et de vous avancer sans cesse de changement en changement.


Le grand lyrique Pindare a dit admirablement : « La vie est la trace d’un char ; » mais c’est de la vie écoulée, de la vie morte, pour ainsi dire, qu’il a voulu parler. Quant à la vie vivante, si je puis m’exprimer ainsi, nous pouvons bien nous en faire une idée, mais elle est indéfinissable. C’est la roue en mouvement : mais qu’est-ce que la roue en mouvement ? Si la roue s’arrête, ce n’est plus la roue en mouvement ; et, de même, si la vie s’arrête, ce n’est plus la vie, c’est la mort. La roue en mouvement n’est jamais fixée ; elle n’est plus ici, car elle est déjà là ; elle n’est pas là, car elle est encore ici ; elle n’est pas entre les deux points, car elle serait arrêtée ; et pourtant e lle parcourt successivement tous les points. Ainsi de la vie : nous ne sommes jamais ni dans une idée, ni dans un plaisir, ni dans une souffrance, mais toujours nous sortons d’une idée, d’une jouissance ou d’une douleur, pour entrer dans une autre ; nous ne sommes
Le grand lyrique Pindare a dit admirablement : « La vie est la trace d’un char ; » mais c’est de la vie écoulée, de la vie morte, pour ainsi dire, qu’il a voulu parler. Quant à la vie vivante, si je puis m’exprimer ainsi, nous pouvons bien nous en faire une idée, mais elle est indéfinissable. C’est la roue en mouvement : mais qu’est-ce que la roue en mouvement ? Si la roue s’arrête, ce n’est plus la roue en mouvement ; et, de même, si la vie s’arrête, ce n’est plus la vie, c’est la mort. La roue en mouvement n’est jamais fixée ; elle n’est plus ici, car elle est déjà là ; elle n’est pas là, car elle est encore ici ; elle n’est pas entre les deux points, car elle serait arrêtée ; et pourtant elle parcourt successivement tous les points. Ainsi de la vie : nous ne sommes jamais ni dans une idée, ni dans un plaisir, ni dans une souffrance, mais toujours nous sortons d’une idée, d’une jouissance ou d’une douleur, pour entrer dans une autre ; nous ne sommes