« Un Moraliste à rebours » : différence entre les versions

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Nietzsche, au contraire, considère l’effort et la domination qui en est le prix comme une jouissance. Vivre est une jouissance, ou le serait, si les hommes ne s’étaient gâté leur destinée. Et avec une sombre éloquence, Nietzsche évoque l’image de la bête humaine primitive, du fauve, d’un être plus barbare, plus élémentaire que ceux auxquels nous avons l’habitude de rattacher l’histoire de l’humanité. Il trouve une richesse d’expression étonnante lorsqu’il parle de ces races primitives disparues, de leur irresponsabilité superbe, qu’il appelle l’innocence du fauve, de leur hardiesse, de leur spontanéité, de leur joie devant les voluptés de la destruction, du triomphe et de la cruauté.
 
Les tyrans de la Renaissance qui, naturellement, ont toute sa sympathie, lui apparaissent comme un reflet affaibli et affiné de ces superbes intuitifs. AÀ ces types premiers, auxquels il fait remonter tous les forts, les complets, les privilégiés, — les héros de Homère, les « Wickinger » Scandinaves, les guerriers romains, arabes, teutons, japonnais — Nietzsche oppose les gens du ressentiment.
 
C’est là une de ses idées les plus originales, les plus riches en développements spirituels que cette conception des gens du ressentiment.
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Comme il nous intéresse par ce qu’il dit sur Wagner, Nietzsche nous charme par des aperçus sur tout ce qui touche aux arts et aux lettres. Personne peut-être comme lui n’a compris les nuances d’intelligence et de sentiment inhérentes aux différentes nationalités ; personne non plus n’a saisi comme lui l’esprit des langues et des époques.
 
Ce n’est pas une vaine présomption quand Nietzsche se lamente d’être trop riche, de connaître trop de choses. Tous les domaines sont ouverts à son intelligence pénétrante. AÀ sa connaissance des civilisations disparues il joint une sorte d’intuition de l’avenir qui lui fait pressentir la manière d’être d’une humanité future où chacun ne relèverait que de soi-même. Pour faire connaître Nietzsche à nos lecteurs, nous avons été obligés de parler surtout de ce qui fait sa réputation auprès du grand public, de sa doctrine philosophique qui est barbare, insensée. Mais nous voudrions compléter son image en rendant justice à son esprit original, chatoyant, mobile, à la sensibilité de poète dans cette âme de railleur, à l’éloquence pathétique sur les lèvres de ce Lucifer. Figurez-vous un homme dont la curiosité ardente n’est retenue par aucun préjugé, par aucune piété respectueuse, dont l’intelligence fine, forte, téméraire, l’instruction solide cherchent à plonger au fond de toute chose ; prêtez à cet homme le don d’écrire d’une plume légère, dans une langue pittoresque, imagée, rapide, serrée, militante, avec une désinvolture qui, par moments, donne au lecteur un sentiment de vertige ; supposez chez cet homme, en plus de son intelligence naturelle, la lucidité morbide que donne une certaine surexcitation cérébrale maladive, et vous comprendrez qu’il peut vous étonner, vous choquer, vous exciter à la réplique et à la discussion, mais jamais vous ennuyer.
 
Peut-il faire grand mal à ceux qui le lisent et devons-nous regretter la traduction de ses œuvres qu’on nous promet ? Nous pensons que non. L’excès même de sa doctrine lui enlève toute force convaincante. Il est impossible de croire en Nietzsche. Nous laissons de côté naturellement les jeunes emballés qui suivent aveuglément les traces de tout homme supérieur. Il paraît qu’en Allemagne ils sont nombreux et qu’ils s’efforcent, par leur tenue, leur langage, leurs allures, à jouer au fameux ''Uebermensch''. Mais chez tout esprit indépendant et pondéré le besoin de critique marche de pair avec l’intérêt pour une œuvre. Nietzsche, comme tous les excessifs, est autoritaire. Il veut nous imposer un système de dénigrement par trop complet et il nous rend méfiants et rebelles à ses intentions. Lui-même dit quelque part :