« Wolfgang Goethe » : différence entre les versions

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m Goethe.- Faust renommé en Wolfgang Goethe: Faust est la 2ème partie
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L'intermède vient de finir, le drame commence. Hélène, entourée du choeurchœur des vierges troyennes, s'arrête devant le palais de Ménélas. Les images coulent de ses lèvres avec la richesse et l'abondance de l'inspiration homérique; sa belle voix au timbre d'or plane dans les régions de la mélodie ineffable langage, dont Goethe emprunte le secret aux chantres de l'Olympe. Dès les premières paroles d'Hélène, on sent que désormais l'oeuvreœuvre se meut dans le cercle de la réalité. Assez long-temps le poète a parcouru l'espace, traçant dans l'air au hasard les folles visions de son délire. Cette fois la figure d'Hélène l'attire et le fascine, au point qu'il ne peut s'empêcher de la prendre au sérieux; il l'aime, et l'inquiet désir qu'il ressent pour elle nous est un sûr garant de la beauté visible et palpable qu'il s'attache à lui donner. Remarquez comme, dès le premier vers, le ton change, comme la voix se hausse, comme le style revêt tout à coup une pompe inusitée. Quelle ampleur dans le discours! quel appareil solennel dans l'ordonnance des rhythmes! on entend le bruit du cothurne retentir sous le péristyle sacré. Ce n'est plus cette fois la vision que Faust évoque au premier acte, du sein du royaume des idées, la forme insaisissable qui passe bafouée et méconnue devant la cour de l'empereur, et ne doit qu'au sensualisme le plus grossier les singuliers complimens qu'elle recueille. Non, c'est la fille grecque, c'est Hélène de sang et de chair, j'allais dire de marbre, le fruit des amours du cygne et de Léda, l'amante incomparable de Pâris et d'Achille; celle que Goethe a rêvée, qu'il désire de toute la puissance de son cerveau (1); celle enfin qui, plus que Melpomène, plus que toutes les Muses, représente la poésie antique, car elle est la beauté pure. Où trouver en effet, dans le monde païen, une idée qui ne se soit confondue avec elle en un baiser de feu, sous les lauriers-roses de l'Eurotas, ou les voûtes du sanctuaire domestique? On conçoit que la poésie moderne ait voulu porter la main sur ce corps suave que tant de lèvres immortelles ont touché. Si, dans la nuit classique de Walpürgis, le poète célèbre la fête des élémens, cet acte tout entier est consacré par lui au culte de la pure beauté, élément elle aussi, élément unique du monde de la pensée et de l'imagination. Supposez un instant que ce n'est point la véritable Hélène qui paraît devant vous, aussitôt l'allégorie perd tout son sens. Faust, le représentant du romantisme, ne doit en aucune façon se marier avec une ombre; il lui faut pour compagne la beauté dans sa manifestation plastique, Hélène. Ainsi seulement la poésie classique peut entrer en rapport avec la théorie moderne. Le beau côté de la chevalerie, - le chant et l'amour, la force de la jeunesse et de la nature, - sert de transition vers la grande forme et la puissance inflexible de l'antiquité. Ainsi le poète atteint son but, qui est ici de montrer l'art antique passant à l'art romantique, tout au rebours de la nuit de Walpürgis, où c'est le romantique qui passe à l'antique. De l'alliance de ce double élément avec la nature et la plastique naît la vraie poésie.
 
Cependant Hélène est entrée dans le palais de Ménélas; le choeurchœur chante une hymne à la gloire des dieux, qui ont protégé le retour de l'héroïne. Mais tout à coup la reine épouvantée sort du palais, et tombe dans les bras de ses compagnes. Ses traits si calmes sont émus, on dirait que la colère lutte sur son noble front avec l'étonnement.
 
:LE CHOEUR. - Découvre, noble femme, à tes servantes qui t'assistent avec respect, ce qui est arrivé.
:HÉLÈNE. - Ce que j'ai vu, vous le verrez vous-mêmes de vos propres yeux, à moins que l'antique nuit n'ait englouti aussitôt son oeuvreœuvre dans le sein de ses profondeurs, d'où s'échappent les prodiges ; mais, pour que vous le sachiez, je vous le dis à haute voix : - Comme je traversais d'un pas solennel le vestibule austère de la maison royale, songeant à mes nouveaux devoirs, le silence de ces pieux déserts m'étonna. Ni le bruit sonore des gens qui vont et viennent ne frappa mon oreille, ni le travail empressé et vigilant mon regard; aucune servante ne m'apparut, aucune ménagère, de celles qui jadis saluaient amicalement chaque étranger. Cependant, comme je m'approchais du foyer, j'aperçus, assise près d'un reste attiédi de cendre consumée sur le sol, je ne sais quelle grande femme, voilée, dans l'attitude de la pensée plutôt que du sommeil. Ma voix souveraine l'invite au travail, car je la prends d'abord pour une servante placée là par la prévoyance de mon époux; mais, impassible, elle demeure enveloppée dans les plis de sa tunique. A la fin seulement, elle élève, sur ma menace, son bras droit, comme pour me chasser de l'âtre et de la salle. Irritée, je me détourne et monte les degrés qui conduisent à l'estrade où le thalamos s'élève, tout paré, près de la salle du trésor. La vision, elle aussi, se dresse, et, me fermant le chemin d'un air impérieux, se montre à moi dans sa grandeur décharnée, l'oeil creux, terne et sanglant, comme un spectre bizarre qui trouble la vue et l'esprit... Mais je parle en vain, car la parole ne dispose pas de la forme en créatrice. Voyez vous-mêmes, elle ose se risquer à la lumière! Ici nous régnons jusqu'à l'arrivée de notre maître et roi. Phébus, l'ami de la beauté, repousse bien loin dans les ténèbres les hideux fantômes de la nuit, ou les dompte.
::(Phorkyas paraît sur le seuil.)
:LE CHŒUR. - J'ai vécu beaucoup, quoique ma chevelure blonde flotte autour de mes tempes; j'ai vu bien des scènes d'horreur, les fléaux de la guerre, la nuit d'Ilion, lorsqu'elle tomba.
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:Laquelle des filles de Phorkys es-tu donc? car je te suppose de cette race. Es-tu l'une de ces graces décrépites dès le berceau, qui n'ont pour trois qu'une dent et qu'un oeil qu'elles se passent à tour de rôle?
:Oses-tu, monstre, te montrer auprès de la beauté, te montrer à l'oeil de Phébus qui s'y connaît? M'importe, avance toujours; il ne regarde pas la laideur, de même que son oeil sacré n'a jamais vu l'ombre.
:Mais nous, mortelles, hélas! une triste fatalité condamne notre vue à d'indicibles souffrances, que l'ignoble et l'éternellement maudit irrite dans les coeurscœurs épris de la beauté.
:Entends donc, toi qui nous braves insolemment, entends la malédiction, entends l'invective et la menace sortir de la bouche ennemie des bienheureuses formées par les dieux!
 
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:PHORKYAS. – Menacer les hôtes de la maison demeure un droit illustre que la noble épouse du souverain aimé des dieux s'est acquis par de longues années d'un gouvernement sage. Ainsi donc, puisque maintenant reconnue, tu viens de nouveau t'emparer de ton antique rang de reine et de maîtresse, saisis les rênes dès long-temps relâchées; gouverne maintenant, prends possession du trésor et de nous. Mais avant tout, protège-moi, moi la plus vieille, contre ce troupeau de filles qui, près du cygne de ta beauté, ne sont guère que des oies mal empennées et babillardes.
 
Le choeurchœur des Troyennes repousse et maudit la Laideur; la querelle s'anime. On se rappelle, à propos de cette scène, le naturel souvent brutal de la poésie antique, et les rudes paroles qu'échangent entre eux les héros de la tragédie grecque et des poèmes d'Homère.
 
:LA CORYPHÉE. - Que la laideur se montre laide auprès de la beauté !
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:PHORKYAS. - Ensuite on dit qu'échappé à l'empire des ombres, il vint, contre toutes les lois de la destinée, s'unir à toi avec ardeur.
:HÉLÈNE. - Moi, idole, je m'unis à lui, idole aussi; c'était un songe, ces paroles en conviennent; je m'évanouis, et deviens une idole pour moi-même (2).
::(Elle tombe dans les bras du choeurchœur. )
 
Phorkyas, pour achever de jeter le trouble dans la raison d'Hélène, embrouille ici à dessein le tissu de l'histoire avec les fils merveilleux de la légende antique, et confond tout, la fantaisie des poètes et la réalité de la fable, qui est la seule réalité où s'appuie Hélène (3). Le choeurchœur indigné commande le silence à Phorkyas.
 
:LE CHOEUR. - Tais-toi, tais-toi, jalouse calomniatrice à la bouche hideuse! que peut-il sortir de ce gouffre béant?
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:HÉLÈNE. - Le roi ne l'a pas indiquée.
:PHORKYAS. - Il ne l'a pas dite, ô misère !
:HÉLÈNE. - Quelle affliction s'empare de ton coeurcœur?
:PHORKYAS. - Reine, c'est toi-même !
:HÉLÈNE. - Moi?
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:PHORKYAS. - Cela me semble inévitable.
:LE CHOEUR. - Hélas! et nous, quel destin nous attend?
:PHORKYAS. - Elle mourra d'une noble mort; mais vous, au balcon élevé qui supporte le faîte du toit, comme les grives au piége de l'oiseleur, vous vous débattrez à la file. (Hélène et le choeurchœur, dans l'attitude de la stupeur et de l'épouvante, forment un groupe harmonieusement disposé.)
:PHORKYAS. - Fantômes! - Pareilles à des spectres immobiles, vous vous tenez là, effrayées de vous séparer du jour, qui ne vous appartient pas. Les hommes, ces spectres qui vous ressemblent, ne renoncent pas volontiers à la lumière auguste du soleil; mais nulle voix n'intercède pour eux, nul pouvoir ne les sauve du destin. Ils le savent tous, et peu s'en accommodent. N'importe, vous êtes perdues. Ainsi, à l'oeuvreœuvre! (Elle frappe dans ses mains. Entrent des nains masqués, qui s'empressent d'exécuter ses ordres.) Ici, toi, monstre ténébreux, sphérique. Roulez de ce côté; courage! il y a du mal à faire; place à l'autel aux cornes d'or. Que la hache étincelante soit déposée sur le bord d'argent; emplissez d'eau les amphores pour laver l'affreuse souillure du sang noir, et déroulez sur la poussière le tapis précieux, afin que la victime s'agenouille royalement, et soit ensevelie, - la tête séparée, il est vrai, - mais le soit dignement.
:LA CORYPHÉE. - La reine demeure pensive; les jeunes filles s'inclinent, semblables au gazon moissonné. A moi l'aînée de toutes, il est de mon devoir sacré d'échanger la parole avec toi, doyenne antique. Tu as l'expérience et la sagesse; tu parais aussi avoir la bienveillance, quoique cette folle troupe t'ait méconnue d'abord. C'est pourquoi, dis ce que tu crois possible encore pour le salut.
:PHORKYAS. - C'est facile. Il dépend de la reine de se sauver, elle et vous autres tout ensemble; mais il s'agit de se décider promptement.
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:PHORKYAS. - Pas mal, selon moi du moins. C'est un homme vif, hardi, bien fait, un homme sage, et comme on en voit peu parmi les Grecs. On traite ce peuple de barbare; mais je pense qu'on n'y trouverait pas un homme aussi cruel que plus d'un héros qui s'est conduit en anthropophage devant Ilion. Je compte sur sa grandeur d'ame, et me suis confiée à lui. Et son château! voilà ce qu'il faut voir! C'est autre chose que ces lourdes murailles que vos pères ont élevées tant bien que mal, en vrais cyclopes, roulant la pierre brute sur la pierre brute. Là tout est art et symétrie. Voyez le du dehors; il s'élance vers le ciel, si droit, si solidement construit, poli comme l'acier! L'idée seule de grimper là donne le vertige. A l'intérieur, de vastes tours, entourées d'architecture de toute espèce, à tout usage. Là des colonnes, des colonnettes, des arceaux, des ogives, des balcons, des galeries d'où l'on voit à la fois au dedans et au dehors, - et des blasons.
:LE CHOEUR. - Qu'est-ce donc des blasons?
:PHORKYAS. - Ajax avait déjà des serpens enlacés sur son bouclier ; vous-mêmes l'avez vu. Les sept, devant Thèbes, portaient, chacun sur son écu, des figures riches en symboles. Là on voyait la lune et les étoiles sur le firmament nocturne, la déesse aussi, le héros, les échelles, et les glaives, et les flambeaux, et tout ce qui menace une bonne ville. Ainsi notre troupe de héros porte dans l'éclat des couleurs une image pareille, qu'elle tient de ses aïeux : là des lions, des aigles, des serres et des becs, puis des cornes de boeufsbœufs, des ailes, des roses, des queues de paon, et aussi des bandes, or et noir et argent, bleu et rouge. De semblables images pendent à la file dans les salles, des salles immenses, vastes comme le monde ! Là vous pouvez danser.
:LE CHOEUR. - Dis, là aussi y a-t-il des danseurs!
:PHORKYAS. - Les plus charmans ! Troupe fraîche, aux boucles d'or, ils sentent la jeunesse. Pâris seul avait ce parfum de jeunesse, lorsqu'il vint trop près de la reine.
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:PHORKYAS. - As-tu donc oublié comment il mutila ton Deïphobe, le fils de Pâris, tué dans le combat; Deïphobe, qui te conquit, toi, veuve, après tant d'efforts, et t'épousa heureusement? Il lui coupa le nez et les oreilles, et plus encore. C'était horrible à voir.
:HÉLÈNE. - Il le traita de la sorte, et ce fut pour moi.
:PHORKYAS. - Il te traitera de même, et ce sera pour lui. La beauté est indivisible. Celui qui l'a possédée tout entière l'anéantit plutôt, maudissant tout partage. (Fanfares dans le lointain. Le choeurchœur tressaille.)
:Comme le son aigu de la trompette déchire l'oreille et les entrailles, ainsi la jalousie se cramponne à la poitrine de l'homme, qui n'oublie jamais ce qu'il a possédé et ce que maintenant il a perdu.
:LE CHOEUR - N'entends-tu pas retentir les clairons? Ne vois-tu pas étinceler les armes?
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:HÉLÈNE. - J'ai réfléchi à ce qu'il convient de tenter. Tu es un démon, je ne le sens que trop, tu tournes le bien en mal. Avant tout, je veux te suivre au château; ce qu'il me reste à faire, je le sais, et que les mystères que la reine peut garder en son sein demeurent impénétrables à chacun. Vieille, marche en avant.
:LE CHOEUR. - Oh ! que nous allons volontiers, - d'un pied léger, - la mort derrière,- et devant nous, - du haut castel les murs inaccessibles ; - qu'il soit donc protégé - comme le bourg d'Ilion, - qui n'a succombé - qu'à la ruse infâme. (Des nuages se répandent çà et là, voilent le fond, et gagnent l'avant-scène.)
:Mais comment? - SoeursSœurs, regardez à l'entour! - Le jour n'était-il pas serein? - Des nuages s'amoncèlent, - sortis des flots sacrés de l'Eurotas. - Déjà se dérobe à ma vue - le bord charmant couronné de roseaux, - et les cygnes aussi, les cygnes - libres, superbes, gracieux, - qui glissent mollement ensemble - en groupes amoureux des eaux, - hélas ! je ne les vois plus. - Cependant, cependant - je les entends encore, - j'entends leurs sons rauques au loin; - ils annoncent la mort ! - Ah ! pourvu qu'à nous aussi, - hélas ! ils ne l'annoncent pas, - au lieu du salut promis, - à nous les blanches soeurssœurs des cygnes, - au col de neige, au col flexible, - comme à la fille du cygne, hélas! - Malheur à nous ! malheur à nous !
:Les ténèbres ont envahi déjà tout l'espace. - A peine si nous nous voyons. - Qu'arrive-t-il ? Marchons-nous ? - glissons-nous d'un pas rapide? - Sur le sol ne vois-tu rien? - Serait-ce Hermès qui nous précède? - Ne vois-tu pas luire son sceptre d'or, - qui nous fait signe et nous ordonne de rentrer an sein de l'Hadès, - séjour triste, sombre, où se trouvent - des fantômes insaisissables, - toujours plein, pourtant toujours vide.
 
Phorkyas cède enfin aux instances des Troyennes suppliantes; le temps presse, il faut se hâter de fuir les murs de Sparte, et s'en aller chercher un refuge sur les bords du Taygète, où une race étrangère vient de fonder une cité nouvelle sous la conduite d'un aventurier glorieux. Hélène demeure un instant irrésolue; un bruit de clairons annonce l'arrivée de Ménélas : c'est la mort qui s'avance à grands pas, la mort sanglante, pour elle et ses blanches compagnes. La reine, épouvantée, n'hésite plus, et remet sa destinée entre les mains de Phorkyas. Un nuage épais couvre la scène, et, lorsqu'il se dissipe, la reine et le choeurchœur se trouvent, par enchantement, au milieu de la cité gothique, où des pages blonds et vêtus de soie et d'or s'empressent à les accueillir. Hélène est conduite vers Faust; celui-ci, avant même de rendre hommage à la fille immortelle du cygne, fait charger de fers, en sa présence, le gardien de la tour, Lynceus, pour avoir négligé d'annoncer qu'il la voyait venir. Hélène sourit d'aise à ce premier témoignage de galanterie chevaleresque, et pardonne au gardien. Faust obéit et s'avoue le vassal de la pure beauté. Dès ce moment l'hyménée de Faust et d'Hélène est décidé. Le représentant du moyen-âge monte sur le trône de l'héroïne antique, et partage, avec elle le royaume infini. Hélène ne se lasse pas d'admirer les phénomènes merveilleux qui dansent autour d'elle, comme les rayons d'un soleil inconnu. C'est un monde tout entier qui se révèle à ses sens. La belle fleur divine, transplantée sur un sol étranger, épanouit son calice d'argent, d'où s'échappent de suaves parfums, qui enivrent Faust. Cependant des cris tumultueux troublent le calme de la vallée heureuse. Les envoyés de Ménélas viennent réclamer Hélène; Faust se lève et les repousse à la tête de ses hommes d'armes. La valeur protège la beauté et s'en rend digne. Bientôt le calme renaît, doux, embaumé, voluptueux, inaltérable. Le choeurchœur s'endort çà et là, sur les degrés du palais et sur les touffes d'herbe où serpentent les eaux vives. Hélène et Faust, l'oeil humide, la lèvre altérée, ivres de désirs et d'amour, se perdent, la main dans la main, sous l'épaisseur du feuillage, dans les ombres de la grotte mystérieuse. Bientôt Phorkyas annonce qu'un enfant nouveau-né bondit en se jouant du giron de l'épouse sur le sein de l'époux; un merveilleux enfant, nu d'abord, puis vêtu de pourpre et d'azur, la lyre d'or dans la main, comme un petit Phébus, l'auréole de lumière sur les tempes. Euphorion paraît; il court, il bondit, quitte le sol, monte vers les astres, et se balance dans l'infini, joyeux, insouciant, et toujours chantant d'une voix plus pure que le cristal des strophes romantiques, que la musique aérienne accompagne. On voit ainsi ce que Goethe emprunte à la légende et ce qu'il y ajoute. Les amours d'Achille et d'Hélène, vous les retrouvez ici; rien n'est perdu, ni l'ardeur des caresses, ni l'harmonie de l'air, ni l'enchantement du site, mystérieuse étreinte d'où naît de même Euphorion, l'enfant divin, la poésie. Seulement, au lieu d'Achille, c'est Faust; au lieu de la beauté humaine, la beauté idéale, l'intelligence. Hélène reste ce que l'antiquité l'a faite, ce qu'elle sera toujours. Quel représentant plus noble et plus digne l'antiquité plastique trouverait-elle?
 
Ainsi les élémens de toute poésie se rencontrent et s'assemblent; l'antiquité épouse le romantisme, et de cet hyménée sort la poésie moderne avec sa forme originale, son intimité sympathique, mais aussi avec ses désirs sans bornes, son impatience du joug et de la règle; réelle à la fois et symbolique, - tantôt voilée, tantôt nue comme le marbre antique, - aujourd'hui noyée dans les brouillards, demain sereine, et la lumière au front, - féconde et capricieuse comme le soleil, où elle tend sans cesse, au risque de tomber d'en haut comme Euphorion et comme Icare (4). Icare, c'est l'inquiétude incessante de la pensée, l'aspiration éternelle vers un but ignoré qui s'élève toujours à mesure qu'on monte, la fièvre d'un dieu insensé dans le cerveau d'un pâle adolescent, tout ce qu'il y a de vaste, d'infini dans les voeuxvœux des immortels, et tout ce qu’il y a de factice et de vain dans l'action des hommes ; le désir insatiable qui cherche la source, et tombe foudroyé avant de l'avoir découverte; l'ame de Byron sur deux ailes de cire qui fondent au soleil. - L'antiquité, qui devinait Faust en créant Prométhée, a pressenti Byron dans Icare, et Goethe, - ce magicien de la poésie, ce conciliateur suprême qui sait par quels côtés latens les élémens disjoints d'un monde dont l'unité fait l'harmonie, peuvent se réunir; - Goethe, après vingt siècles, confond ensemble ces deux relations d'une même idée dans une allusion pleine de mélancolie et de charme, grace à laquelle la trinité symbolique se complète, et dont il emprunte le nom mélodieux aux légendes de la mythologie antique.
 
Tel est le mythe qui clot l'intermède antique de la tragédie. Au premier aspect, la part que Goethe fait à Euphorion semble assez belle : représentant par sa mère de la beauté pure, de la beauté grecque, et de la science allemande par son père, quelle destinée plus glorieuse dès le berceau ! Et cependant Goethe ne s'en tient pas là, il faut à sa création quelque chose de contemporain qui en rehausse la vie et l'éclat dans le présent. De l'idée d'Euphorion, étoile radieuse si tôt éteinte au firmament de la poésie, à l'idée de lord Byron il n'y a qu'un pas. Euphorion sera lord Byron. Ainsi Goethe paiera le tribut de sa plainte sublime à la mémoire de l'auteur de ''Manfred'', et son oeuvreœuvre trouvera dans cette douleur généreuse une mélancolie imposante et grandiose que l'antiquité seule n'aurait pu lui donner. Quel autre que Byron serait ce jeune immortel au splendide visage, aux tempes sereines qu'une flamme illumine, ce génie inquiet qui gravit d'un pied ferme les pics escarpés et neigeux, plonge au hasard dans les abîmes, appelle la guerre, et trouve enfin la mort en cherchant un idéal qu'il ne peut atteindre?
 
:EUPHORION. - Je sens des ailes qui me poussent. Là-bas, là-bas, le devoir m'appelle. Applaudissez à mon essor.
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:(Elle embrasse Faust et disparaît; Faust ne retient d'elle que ses voiles.)
 
Hélène retourne dans l'Hadès, auprès de Perséphone; mais les nymphes du choeurchœur refusent de la suivre : une aspiration indicible vers l'éternelle nature les possède, et toutes finissent par s'abîmer dans son sein et se perdre dans la végétation, dans les flots, dans les airs. Ainsi, la nature est la source et la fin des choses; tout en vient et tout y retourne. Le panthéisme a trouvé de nos jours son poète dans Goethe, comme le dogme catholique avait trouvé le sien, au moyen-âge, dans Alighieri. - Les belles nymphes du choeurchœur se plongent dans la nature; elles vont donc frémir comme les arbres, s'exhaler comme l'air, couler comme les eaux; elles vont, pampres verdoyans, serpenter autour des coteaux. Tandis que leur transformation s'accomplit, elles célèbrent leur vie nouvelle en tétramètres trochaïques, idylle digne de Théocrite, que je vais essayer de traduire.
 
::Allez, mes soeurssœurs, allez à votre fantaisie.
::Nous voulons serpenter sur le coteau joyeux
::Où la vigne mûrit sur le sarment qui plie;
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::Et des raisins vermeils l'abondance sacrée
::Foulée insolemment sous les pieds, pressurée,
::Dégoutte en écumant, et soulève le coeurcœur;
::Et maintenant, voici que les folles cymbales
::Tintent de toute part avec un bruit d'airain;
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Cependant l'aile gauche souffre, l'ennemi escalade les hauteurs, la situation devient grave. Méphistophélès s'empare du commandement et dépêche aussitôt des corbeaux messagers près des nymphes de la montagne.
 
:MÉPHISTOPHÉLÈS. - Çà, mes noirs cousins! vite à l'oeuvreœuvre, vite au grand lac de la montagne! Saluez, de ma part, les nymphes et tâchez d'obtenir d'elles une apparence d'inondation. (Pause.)
:FAUST. - Certes nos messagers ont dû faire dans les règles leur cour aux dames des eaux. L'inondation commence à gronder. Çà et là, des cimes arides et chauves du granit s'échappe la source vive à larges flots ………
:MÉPHISTOPHELÈS. - Pour moi, je ne vois rien de ces prestiges de l'eau, dont les yeux humains peuvent seuls être dupes. Cette étrange aventure me réjouit. Ils se précipitent par troupeaux insensés; sans avoir quitté la terre ferme, ils s'imaginent se noyer et s'évertuent de la plus singulière façon à courir à la nage. Maintenant la confusion est partout……
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La rébellion une fois en déroute, les trois vaillans pénètrent dans la tente splendide du prétendant et se mettent en devoir de tout piller, lorsque les trabans de l'empereur légitime entrent à point pour les chasser. Arrive l'empereur, qui s'empare du trône vide et récompense les grands dignitaires qui lui sont restés fidèles. L'archi-maréchal, l'archi-chambellan, l'archi-échanson, reçoivent des privilèges sans nombre, dont l'archevêque, en même temps grand-chancelier de la cour, leur transmet les brevets scellés du sceau de l'état (7). Les princes temporels se retirent, l'archevêque blâme l'empereur de la victoire sacrilège qu'il vient de remporter avec l'aide des puissances de l'enfer; il le menace de toutes les foudres de Rome, s'il ne cède aussitôt à l'église une bonne partie de son territoire. On élèvera sur le champ du combat une cathédrale qui sera bâtie avec les deniers de l'empereur, et dont les revenus de l'état paieront l'entretien. Le clergé n'en reste pas là : il exige encore, avant de consentir à parler d'accommodemens, une part du rivage que Faust a conquis sur la mer. Goethe, qui n'aime pas le catholicisme, ne laisse pas échapper l'occasion d'attaquer avec violence la constitution de l'empire au moyen-âge. D'un côté, c'est la faiblesse et l'impuissance des empereurs; de l'autre, la cupidité, l'avarice et la simonie de la cour de Rome. On a peine à s'expliquer comment Goethe, ce génie si impartial et si froid sur tout autre point de l'histoire, s'obstine, pour obéir à je ne sais quelle haine, à ne voir dans le catholicisme qu'une affaire de sacristie et d'antichambre; comment lui, dont la pensée aime tant à planer dans la généralité, peut oublier seulement à ce sujet l'ensemble grandiose pour de misérables détails, qu'il poursuit avec une animosité vraiment déplorable.
 
Le cinquième acte est comme un épilogue immense où le mystère se dénoue dans la splendeur et l'azur du firmament. Le motif glorieux que les immortelles phalanges chantent dans l'introduction de la première partie de ''Faust'', revient ici, mais varié à l'infini par le sublime orchestre, par les voix sonores des chérubins en extase qui l'entonnent avec ravissement, mais plus pompeux, plus grand, plus solennel, plus enveloppé d'harmonie et de vapeurs mystiques. Goethe a fait cette fois comme les musiciens, comme Mozart, qui ramène à la dernière scène de ''Don Juan'' la phrase imposante de l'ouverture. Chaque maître procède selon la mesure de son art; celui-ci trouve l'unité de l'oeuvreœuvre dans un verbe, celui-là dans un motif, tous deux dans une idée puissante et féconde. Seulement l'idée de Mozart est sombre et terrible, sa musique chante la mort et le jugement par la voix superbe des trombonnes. Ici au contraire les fanfares divines annoncent le pardon et l'oubli. Mozart, rêveur et enthousiaste, comme il convenait à la nature ardente, passionnée, expansive du plus grand musicien qui ait jamais existé, Mozart est plus catholique qu'il ne le croit lui-même; le Viennois sensuel s'abandonne à la fièvre qui l'emporte, et dans cette débauche du corps et du cerveau aboutit au catholicisme terrible d'Orcagna, au point qu'il s'épouvante ensuite de son oeuvreœuvre et qu'il en meurt. Le finale de ''Don Juan'' prêche la mort comme un sermon de Savonarole. Goethe, au contraire, penseur énergique et profond avant d'être poète, n'aborde jamais un dogme, quel qu'il soit, qu'à la condition de se le soumettre. C'est là pour lui un terrain plus ou moins fécond dont il s'empare, et qu'il sillonne en tous sens. Si Goethe met le pied dans le ciel catholique, il y éveille aussitôt toutes les rumeurs des sources et des bois, tous les bruits de la végétation. On respire dans le ciel de Goethe toutes les vives odeurs du panthéisme. Plus de responsabilité misérable, plus de mort hideuse, plus de terrible châtiment, partout la vie et la gloire, et la transformation dans l'éther fluide et lumineux. Il est impossible d'assister à ce spectacle sans se rappeler ces peintures divines de la primitive école italienne où les martyrs et les saints canonisés, vêtus de chapes d'or, montent à travers des tentures d'azur et de flamme dans la gloire de Dieu, l'oeil attaché sur les beaux chérubins qui les conduisent et sèment des roses dans l'espace.
 
Je reprends l'analyse. - Philémon et Baucis habitent une chaumière au bord de la mer, une modeste chaumière cachée comme un nid, avec la petite chapelle qui la domine sous des touffes embaumées de tilleuls. Survient un voyageur. Le couple pacifique qui l'a sauvé jadis des flots, l'accueille avec amour et lui raconte les prodiges du nouveau maître du rivage. On parle des plaines qui se défrichent, des moissons qui poussent, des grands bois qui montent, des murailles qui s'élèvent avec une promptitude surnaturelle. La puissance mystérieuse de cet homme les épouvante. « Il est impie, il convoite notre hutte et notre bois, et lorsqu'il veut s'agrandir aux dépens de ses voisins, il faut se soumettre. » Cependant les deux époux trouvent des consolations dans la prière et la piété. « Laissez-nous aller à la chapelle saluer le dernier rayon, laissez-nous sonner la cloche, tomber à genoux, prier et nous abandonner au dieu antique.
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::Là le visage heureux se détourne de moi.
:LE SOUCI.
::Vous, soeurssœurs, vous ne pouvez entrer dans ce royaume,
::Vous ne l'oseriez pas; mais le pâle Souci
::Se glisse par le trou de la serrure.
:LE MALHEUR.
::Alerte !
::O mes livides soeurssœurs! éloignons-nous d'ici.
:LA CONSCIENCE.
::Je vais à tes côtés dans la plaine déserte.
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Belles paroles dites quand il n'est plus temps. Faust s'en aperçoit. Le Souci, malgré sa résistance, lui souffle sur les yeux; il devient aveugle; son ardeur s'en accroît.
 
Cependant Méphistophélès, accompagné des ''Lémures'' (10), paraît dans le vestibule du palais, et commande à ses étranges satellites d'élever un tombeau. Le bruit du travail réjouit Faust, Méphistophélès le raille : « De toute manière, vous êtes perdu; les élémens conspirent avec nous, tout marche au néant.» Parole terrible et fatale, bien digne de l'esprit du mal, qui ne voit à l'activité humaine d'autre but que le néant. Tout ici-bas n'est qu'une lutte éternelle de la vie et de la mort, et l'oeuvreœuvre des hommes sert de pâture aux élémens (11) Faust s'élève contre cette opinion de l'enfer. « Oui, je crois de toutes mes forces à cette parole, fin dernière de la sagesse: Celui-là seul est digne de la liberté comme de la vie, qui peut chaque jour se la conquérir. » Il voudrait doter de vastes états son peuple libre « Ah ! que ne puis-je voir une activité semblable ! puissé-je vivre sur un sol libre, avec des hommes libres! Alors seulement je dirais à l'heure qui va fuir : Reste, reste, tu es si belle! que la trace de mes jours terrestres n'aille pas s'effacer! - Dans le pressentiment d'une telle béatitude, je goûte maintenant l'heure ineffable. » Faust assouvit, en cette extase, le désir si ardemment exprimé dans la première partie; ce pressentiment le conduit à la plénitude de l'existence, l'oeuvreœuvre de sa vie est consommée. Les Lemures s'emparent de Faust et le couchent dans le tombeau.
 
:LE CHOEUR. - L'heure s'arrête, l'aiguille tombe.
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::De l'enfer! Je comprends qu'on souffre quand on aime.
::O pauvres amoureux, je comprends le tourment
::Qui vous dévore, ô vous dont le triste coeurcœur saigne
::Pour un sourire, un mot de l'objet adoré;
::Vous qui, le col tordu, sombres, l'air égaré,
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::Le sérieux va bien à vos figures roses;
::Mais le sourire, allez, irait bien mieux, et moi
::J'en aurais dans le coeurcœur un éternel émoi.
::Par sourire j’entends cette moue égrillarde
::Que les amoureux font en clignant l’œil. – Un pli
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::Honteusement perdus qu'à présent je regrette,
::Pour un désir commun, une absurde amourette
::Qui me pénètre au coeurcœur, moi tout bardé de poix !
::Or, la moralité de tout ceci, je pense,
::C'est que l'homme éprouvé qui se laisse un matin
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::De sa stupide erreur sera dupe à la fin.
 
Cependant, au bord des précipices, dans la profondeur des forêts, au sein d'une nature âpre et sauvage, de pieux solitaires exaltent les voluptés de l'amour mystique, et s'abîment dans les océans de la béatitude; à leur voix les échos des rochers sonores et des grands bois émus répondent en choeurchœur; les torrens se précipitent du haut des montagnes, les animaux hurlent dans leurs tanières. Pour la poésie allemande, la nature n'est jamais qu'un vaste clavier dont l'ame humaine dispose à son gré. Le motif seulement varie selon les circonstances et les conditions du sujet. Quoi qu'il arrive, il faut que la nature coopère à l'oeuvreœuvre de l'homme et subisse l'influence du sentiment qui l'affecte, la loi de sa toute-puissante volonté. Ainsi des anachorètes chantent dans la solitude, et voilà qu'aussitôt les arbres, les granits sortent de la vie de la végétation, de la vie des minéraux, pour devenir les tuyaux d'un orgue immense dont la voix accompagne leur musique.
:(Ravins, bois, rochers, solitudes. - SAINTS ANACHORÉTES, dispersés sur le haut des
montagnes et campés dans les crevasses du granit.)
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::Des sens, et tout meurtri des chaînes de la terre !
::Apaise mes pensers, Seigneur; que ta clarté
::Illumine mon coeurcœur en sa nécessité.
 
Il faut, avant tout, considérer cette scène comme un épilogue que Goethe, donne à son oeuvreœuvre, et qui sert de pendant au prologue de la première partie de ''Faust'', dans lequel Méphistophélès, en présence de la cour céleste, demande au Père Éternel la permission de tenter le vieux docteur. C'est entre ce prologue, dont on trouve l'idée première dans le livre de Job, et cet épilogue qui donne l'occasion à Goethe, ainsi que nous le verrons plus tard, de mettre en lumière es idées sur la théologie, qu'est renfermé le drame de l'existence de Faust, cette existence insatiable à laquelle la science, l'amour et la conquête ne suffisent pas. Quant à ce qui regarde l'action, il faut en prendre son parti, et de plus ne pas se montrer trop exigeant à l'endroit de la clarté ; car il s'agit ici de théologie, de mysticisme, et de mysticisme allemand. Cependant, si toutes ces raisons ne suffisaient pas pour expliquer la présence de tant de personnages bien excentriques, disons-le tout à notre aise, et qui semblent au premier abord ne prendre point de part au mystère qui se joue, Goethe pourrait répondre qu'il a voulu représenter en eux l'amour, la quiétude au sein de Dieu, opposés à la spéculation turbulente de Faust. La nature parle de Dieu sans cesse, et conduit vers Dieu celui qui sait la comprendre; voilà le sens qu'il faut donner à la présence des anachorètes : ils ont contemplé la nature avec cette intelligence divine des choses, qui manquait à Faust , à son activité, et ces hommes, au lieu de tomber par le désespoir dans le sensualisme, ''éternelle soif de la soif (ewiger Dürst nach dem Dürste)'', ont conquis la béatitude ineffable, du sein de laquelle ils intercèdent, ô néant de la science humaine ! pour l'orgueilleux alchimiste.
 
:PATER SERAPHICUS. - (Région intermédiaire).
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::Ce sont les enfans bienheureux
::Qui flottent dans la lumière;
::C'est le jeune choeurchœur des esprits.
:CHŒUR DES ENFANS BIENHEUREUX
::Où donc allons-nous? oh! dis,
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::Autour d'elle, flottantes,
::Tremblottent des vapeurs
::Ce sont les légers choeurschœurs
::Des blondes pénitentes
::Qui, buvant l'air si doux
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:LA PÉCHERESSE, nommée autrefois Marguerite.
::Entouré du choeurchœur des esprits,
::Le novice heureux croit qu'il rêve.
::Dans l'éther il monte, il s'élève;
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::Il te suivra, s'il te devine.
 
La simple jeune fille introduit le docteur dans la gloire des anges; l'ignorance rachète la science. Faust participe au bonheur des élus; le dogme de la rédemption des ames est mis en oeuvreœuvre, et le poème se dénoue au point de vue du catholicisme.
 
Quels que soient les développemens immenses que le poète donne à son oeuvreœuvre, le sujet de Faust tient de la légende. On a beau faire, là est son point d'unité ; il en est sorti; après des divagations sans nombre, il y retournera. Il faut que le drame se termine comme il a commencé, dans le ciel, au milieu des splendides imaginations de la hiérarchie catholique. Il est vrai de dire que Goethe en agit assez librement avec le dogme, et prend peu de souci de traiter la chose en père de l'église. Qu'est-ce, en effet, qu'un catholicisme qui admet qu'une aspiration incessante vers un bien vague et mystérieux, qu'une activité sans trêve (''rastlose Thâtigkeit'') puisse, au besoin, tenir lieu de la foi à la parole divine, à la révélation, au Verbe? Théologie éclectique, théologie de poète, où le néoplatonisme d'Alexandrie se marie au panthéisme de l'Allemagne, où les idées de Platon, d'Iamblique, de Spinoza, de Hegel et de Novalis se confondent et tourbillonnent, atomes lumineux, dans le rayon le plus pur et le plus chaud du soleil chrétien. Au XIVe siècle, Dante eût infailliblement mis Faust en enfer, ou tout au moins en purgatoire, et encore le vieux Gibelin aurait-il, en ce dernier cas, cru donner à son personnage une singulière preuve de mansuétude. Ici une difficulté se présente : comment le philosophe sortira-t-il du labyrinthe où le poète s'est engagé à travers les sentiers du catholicisme? Par le dogme? Vraiment, il ne le peut, lui qui, en proclamant ce principe, que l'ame humaine peut trouver son salut autre part que dans un attachement inviolable à la parole révélée, a rompu en visière avec l'orthodoxie; force lui est, pour se tirer d'affaire, d'ériger en système sa conviction intime, son point de vue personnel, et de mettre pour un moment la métaphysique à la place de la théologie. Or, c'est là, selon nous; un fait curieux, et qui mérite bien qu'on l'examine, un fait qui laisse à découvert certaines théories dont Goethe se préoccupait plus qu'on ne pense, et qu'il est indispensable d'étudier, si on veut connaître à fond le grand poète, car elles dominent à la fois son existence et son oeuvreœuvre; théories faites en partie avec les idées de Spinoza (16) et de Leibnitz, en partie avec les siennes propres.
 
Sans mystique, il n'y a pas de religion possible. Le naturalisme lui-même, tout en ne reconnaissant que les choses créées, se voit forcé d'admettre des forces élémentaires actives. Une force prise en dehors de l'acte qui en résulte est quelque chose qui ne se peut saisir, et cependant il faut qu'on se la représente. De là, d'une part, la mythologie païenne, de l'autre la philosophie de Spinoza, qui donnent plus ou moins aux causes et aux forces premières la réalité de l'existence, et les classent en un système. Cependant ici encore les mêmes difficultés se rencontrent; car, quelles que soient les formules et les apparitions, il y a au fond de tout cela un mystère insaisissable, et l'ame, au milieu du culte de la nature, éprouve, comme au sein de l'orthodoxie chrétienne, cet infini besoin d'amour, d'espérance et de foi (17) qui ne l'abandonne jamais.
 
De semblables aspirations existent d'elles-mêmes, et la piété en résulte (18). Aussi combien de fois n'a-t-on pas vu la conscience humaine, en proie aux sombres inquiétudes que font naître en elle les idées d'avenir et d'éternité, ne trouver de refuge contre l'épouvante et le doute que dans la foi qu'elle avait repoussée sous sa forme première! C'est un peu l'histoire du plus grand nombre, de Goethe lui-même. Voyez ce qu'il écrivait à Zelter sur ce sujet (19), en 1827 : « Continuons d'agir jusqu'à ce que, rappelés par l'esprit du monde, un peu plus tôt, un peu plus tard, nous retournions dans l'éther; puisse alors l'Être éternel ne pas nous refuser des facultés nouvelles, analogues (20) à celles dont nous avons eu déjà l'usage! S'il y joint paternellement le souvenir et le sentiment ultérieur (''Nachgefühl'') du bien que nous avons pu vouloir et accomplir ici-bas, nul doute que nous ne nous engrenions d'autant mieux dans le rouage de la machine universelle. Il faut que la ''monade'' supérieure (''die entelechische Monade'') se maintienne en une activité continuelle; et si cette activité lui devient une autre nature, l'occupation ne lui manquera pas dans l'éternité. » Belles paroles qui ne sont peut-être pas si éloignées du christianisme que Goethe voudrait le faire croire et qu'on y rattacherait facilement, ainsi que la pensée qui suit : « Je veux te le dire à l'oreille; j'éprouve le bonheur de sentir qu'il me vient dans ma haute vieillesse des idées qui, pour être poursuivies et mises en oeuvreœuvre, demanderaient une réitération de l'existence... »
 
« Chaque soleil, chaque planète porte en soi une intention plus haute, une plus haute destinée en vertu de laquelle ses développemens doivent s'accomplir avec autant d'ordre et de succession que les développemens d'un rosier par la feuille, la tige, la corolle. Appelez cette intention une ''idée'', une ''monade'', peu importe; il suffit qu'elle préexiste invisible au développement qui en sort dans la nature. Les larves des états intermédiaires, que cette idée prend dans ses transformations, ne sauraient nous arrêter un moment. C'est toujours la même métamorphose, la même faculté de transformation de la nature, qui tire de la feuille une fleur, une rose, de l'oeufœuf une chenille, de la chenille un papillon. Les monades inférieures obéissent à une monade supérieure, et cela non pour leur bon plaisir, mais uniquement parce qu'il le faut. Du reste, tout se passe fort naturellement en ce travail. Par exemple, voyez cette main; elle contient des parties incessamment au service de la monade supérieure, qui a su se les approprier indissolublement sitôt leur existence. Grace à elles, je puis jouer tel morceau de musique ou tel autre; je puis promener à ma fantaisie mes doigts sur les touches du clavier; elles me procurent donc une jouissance intellectuelle et noble; mais, pour ce qui les regarde, elles sont sourdes, la monade supérieure seule entend. De là, je conclus que ma main ou mes doigts s'amusent peu ou point. Le jeu de monade auquel je prends plaisir, ne divertit nullement mes sujettes, et peut-être en outre les fatigue. Combien elles seraient plus heureuses d'aller où leur aptitude les entraîne; combien, au lieu de courir en désoeuvréesdésœuvrées sur mon clavier, elles aimeraient mieux, abeilles laborieuses, voltiger sur les prés, se poser sur un arbre, et s'enivrer du suc des fleurs! L'instant de la mort, qui pour cela s'appelle avec raison une dissolution, est justement celui où la monade supérieure régnante (''die regierende Hauptmonas'') affranchit ses sujettes et les dégage de leur fidèle service. C'est pourquoi, de même que l'existence, je regarde la mort comme un acte dépendant de cette monade capitale dont l'être particulier nous est complètement inconnu.
 
« Cependant les monades sont inaltérables de leur nature, et leur activité ne saurait ni se perdre, ni se trouver suspendue au moment de la dissolution. Elles ne quittent leurs anciens rapports que pour en contracter de nouveaux sur-le-champ; et , dans cet acte de transformation, tout dépend de l'intention, de la puissance de l'intention contenue dans telle ou telle monade. La monade d'une ame humaine cultivée n'est point la monade d'un castor, d'un oiseau ou d'un poisson, cela va sans dire; et ici nous retombons dans le système de la classification des ames, auquel il est impossible d'échapper toutes les fois qu'on veut interpréter d'une façon quelconque les phénomènes de la nature. Swedenborg, cherchant à l'expliquer à sa manière, se sert, pour représenter son idée, d'une image fort ingénieuse à mon sens. Il compare le séjour où les ames se trouvent à un espace divisé en trois pièces principales, au milieu desquelles s'en trouve une grande. Maintenant supposons que, de ces divers appartemens, diverses espèces de créatures, des poissons, des oiseaux, des chiens, des chats, se rendent dans la grande salle, curieuse compagnie en vérité, et singulièrement mêlée; qu'adviendra-t-il aussitôt? Le plaisir de se trouver ensemble ne durera certes pas long-temps, et de ces mille dispositions si instinctivement contraires, quelque effroyable querelle résultera; à la fin, le semblable cherchera le semblable, les poissons iront vers les poissons, les oiseaux vers les oiseaux, les chiens vers les chiens, etc., et chacune de toutes ces espèces contraires cherchera, autant que possible, à se trouver quelque lieu particulier. N'est-ce point là l'histoire de nos monades après la mort terrestre ? Chaque monade va où sa force l'entraîne, dans les eaux, dans l'air, dans la terre, dans le feu, dans les étoiles; et cet essor mystérieux qui l'y porte contient tout le secret de sa destinée future.
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«Si nous passons aux conjectures, à vous parler franchement, je ne vois pas ce qui pourrait empêcher la monade à laquelle nous devons l'apparition de Wieland sur notre planète, d'embrasser, dans son nouvel état les plus vastes rapports de cet univers. L'activité, le zèle, l'intelligence avec lesquels elle s'est appropriée; tant de faces de l'histoire du monde, lui donnent le droit de prétendre à tout il m'étonnerait peu, bien plus je regarderais cela comme, une chose tout-à-fait conforme à mes vues, de rencontrer après des siècles ce même Wieland devenu quelque monade cosmique, quelque étoile de première grandeur, et de le voir réjouir, féconder par sa douce lumière tout ce qui s'approcherait de lui. Oui, ce serait beau pour la monade de notre Wieland de comprendre l'être vaporeux de quelque comète dans sa lumière et sa splendeur. Quand on réfléchit à l'éternité de cet état universel, il est impossible de ne pas supposer que les monades, en tant que forces coopératives sont aussi admises à prendre part aux joies divines de la création. L'être de la création leur est confié. Appelées ou non, elles viennent d'elles-mêmes, de tous les chemins, de toutes les montagnes, de toutes les mers, de toutes les étoiles; qui peut les arrêter? Je suis sûr d'avoir mille fois pris part à ces joies dont je parle, et je compte bien mille fois encore y retourner; rien au monde ne m'ôterait cette conviction et cet espoir. - Maintenant il reste à savoir si l'on peut appeler retour un acte accompli sans conscience : celui-là seul retourne dans un lieu qui a conscience d'y avoir séjourné précédemment. Souvent, dans mes contemplations sur la nature, de radieux souvenirs et des gerbes de lumière jaillissent à mes yeux de certains faits cosmogoniques auxquels ma monade a peut-être contribué avec activité. Mais tout cela ne repose que sur un peut-être, et lorsqu'il s'agit de pareilles choses, il faudrait cependant avoir de plus sérieuses certitudes que celles qui peuvent nous venir des pressentimens et de ces éclairs dont l'œil du génie illumine par intervalle les abîmes de la création. Pourquoi, dira-t-on, ne pas supposer au centre de la création une monade universelle, aimante, qui gouverne et dirige selon ses desseins les monades de l'univers, de la même façon que notre ame gouverne et dirige les monades inférieures qu'elle s'est subordonnées (23)? - Je ne m'élève pas contre cette proposition, pourvu qu'on la présente comme un article de foi, car j'ai pour habitude de ne jamais donner de valeur définitive aux idées qui ne s'appuient sur aucune observation sensible. Ah ! si nous connaissions notre cerveau, ses rapports avec Uranus, les mille fils qui s'y entrecroisent, et sur lesquels la pensée court çà et là! L'éclair de la pensée! mais nous ne le percevons qu'au moment où il éclate. Nous connaissons des ganglions, des vertèbres, et ne savons rien de l'être du cerveau; que voulons-nous donc alors savoir de Dieu? On a beaucoup reproché à Diderot d'avoir écrit quelque part : - Si Dieu n'est pas encore, il sera peut-être quelque jour. - Mes théories sur la nature et ses lois s'accordent assez avec l'idée d'une planète d'où les monades les plus nobles ont pris leur premier essor, et dans laquelle la parole est inconnue.
 
« De même qu'il y a des planètes d'hommes, il peut y avoir des planètes de poissons, des planètes d'oiseaux. L'HOMME EST LE PREMIER ENTRETIEN DE LA NATURE AVEC DIEU. Je ne doute pas que cet entretien ne doive se continuer sur une autre planète, plus sublime, plus profond, plus intelligible. Pour ce qui est d'aujourd'hui, mille connaissances nous manquent : la première est la connaissance de nous-mêmes, ensuite viennent les autres. A la rigueur, ma science de Dieu ne peut s'étendre au-delà de l'étroit horizon que l'observation des phénomènes de la nature m'ouvre sur cette planète, et de toute façon c'est bien peu de chose. En tout ceci, je ne prétends pas dire que ces bornes mises à notre contemplation de la nature soient faites pour entraver la foi ; au contraire, par l'action immédiate des sentimens divins en nous, il peut se faire que le savoir ne doive arriver que comme un fragment sur une planète qui, elle-même dérangée dans ses rapports avec le soleil, laisse imparfaite toute espèce de réflexion, qui dès-lors ne peut se compléter que par la foi. Déjà j'ai remarqué, dans ma ''Théorie des couleurs'', qu'il y a des phénomènes primitifs que l'analyse ne fait que troubler dans leur simplicité divine, et qu'il faut par conséquent abandonner à la foie. Des deux côtés, travaillons avec ardeur à pénétrer plus avant; mais tenons toujours bien les limites distinctes, n'essayons pas de prouver ce qui ne peut être prouvé; autrement nos prétendus chefs-d'oeuvreœuvre ne serviraient qu'à donner à la postérité le spectacle de notre faiblesse. Où la science suffit, la foi est inutile; mais où la science perd sa force, gardons-nous de vouloir disputer à la foi ses droits incontestables. En dehors de ce principe, ''que la science et la foi ne sont pas pour se nier l'une l'autre, mais au contraire pour se compléter l'une par l'autre'', vous ne trouvez qu'erreur et confusion. »
 
Cependant, toute question de théologie mise à part, il est permis de douter que la morale y trouve son compte. Qu'est-ce, en effet, que Faust, sinon l'orgueil, le désespoir, la débauche des sens, l'ambition, le mensonge, la haine incessante de Dieu? Et tout cela aboutit à quoi? A la gloire des anges : étrange conclusion, et qui pourtant s'explique. Le mal, chez Faust, vient de Méphistophélès, on ne le peut nier; et d'ailleurs, ne trouve-t-il pas son châtiment dans cette vie, le mal qui ''tend sans relâche vers un but qu'il ne peut atteindre (das ruheIos um Ziele strebt ohne es rua erreichen)''? Faust, après tout, est homme; il se trompe souvent et profondément; mais, comme le Seigneur l'a dit dans le prologue, un vague instinct le porte vers le bien. Je l'avoue, chaque fois que la raison et le désir des sens sont aux prises, le désir l'emporte, mais non sans une lutte acharnée, non sans que la raison ait vaillamment combattu pour ses droits. Faust hait Méphistophélès, et du commencement à la fin, tous les moyens que le diable met en oeuvreœuvre lui répugnent. Puis, son vaste amour pour la nature ne nous est-il pas garant de ce pressentiment sublime de l'ordre et de la loi régulière qui ne l'abandonne jamais? En un mot, Faust est, comme Werther, un homme doué des plus riches dons de la nature, mais qui, dans ses rapports avec la vie morale, retombe au niveau des autres hommes et participe des faiblesses communes. Après tout, si l'on insistait sur ce point, nous dirions volontiers que Goethe n'a prétendu faire ni un sermon ni un bréviaire, mais un poème large et profond comme la vie, sérieux et vrai comme la nature, et dans le plus haut sens de cette expression, un miroir où l'expérience du passé se réfléchit pour l'avenir.
 
Ainsi tout se transforme et rien ne meurt, l'intelligence va à l'amour, l'amour à Dieu, le mal succombe au dénouement des choses, car il n'existe, pas en soi.
 
On voit comme tout se lie et s'enchaîne dans ''Faust''. La tragédie s'arrête; le poème s'ouvre; l'individu fait place à l'humanité. Tant de scènes charmantes, tant de détails heureux, mais bornés, se perdent dans l'infini du grand oeuvreœuvre. L'inspiration de Goethe se transforme, mais sans rien perdre de sa vie première. A chaque pas, vous rencontrez des idées qui vous rappellent le passé. Les scènes qui vous ont charmé, vous les retrouvez l'une après l'autre, mais élargies, développées. C'est encore la scène de l'écolier, la nuit de Walpürgis, encore le galop sonore à travers la campagne (24). Seulement ici l'ordre classique règne seul, le mouvement délibéré de la réflexion trempée de science tient lieu de la fantaisie instinctive. Hélène remplace Marguerite; on dirait le coeurcœur de Goethe qui se mire dans son cerveau.
 
Il en est de la poésie comme de l'architecture; les monumens su¬blimes qui font sa gloire dans la postérité ne sont jamais l'oeuvreœuvre d'un seul; l'homme prédestiné ne paraît qu'à son jour, lorsque les efforts des siècles ont ouvert la carrière ou la mine. Quand Goethe est venu, les matériaux de son oeuvreœuvre couvraient le sol de l'Allemagne; toutes les pierres de cet édifice magnifique étaient là, immobiles et dormantes, les unes roses comme le granit des sphinx, les autres sombres et lugubres comme des blocs druidiques, celles-ci couvertes de mousse et de gramen rampant, celles-là transparentes et réfléchissant toutes les fantaisies du soleil dans leurs eaux limpides. C'est parce que les conditions de l'épopée sont à sa taille, que Goethe se décide à sacrifier ses instincts capricieux, ses sensations changeantes, et, qu'on me passe le mot, la subjectivité de sa nature pour entrer dans le cercle fatal où toute liberté s'abdique, et s'asseoir au milieu en Jupiter. C'est qu'en effet, nulle part la Muse n'a ses coudées moins franches, nulle part l'inspiration ne souscrit à des règles plus austères; l'épopée, c'est le génie d'un homme qui se meut dans le génie d'un siècle. A vrai dire, il n'y a de liberté que pour les poètes du lac, de la prairie et de la montagne, pour les chantres mélodieux des intimes pensées; ceux-là vont et viennent, montent et descendent, selon le caprice de leurs ailes : ils peuvent s'attarder au bord des eaux, ramasser tous les diamans qu'ils trouvent, sans qu'un avertissement d'en haut les ramène au giron souverain. Feux errans et follets, tandis que le soleil immobile se tient au centre, ils traversent l'étendue en tous sens, au risque de se laisser prendre par lui quelque chose de leur clarté phosphorescente, et finissent par aller s'éteindre dans les larmes d'une jeune fille. Le mystère dont ils s'environnent fait toute leur liberté; isolés, mais heureux de s'enivrer ainsi, comme des abeilles, du miel le plus doux de la terre, ils ont ce qu'ils souhaitent. Le génie qui se fait centre ne peut, lui, se contenter d'une si médiocre volupté. Or, l'admiration qu'il ambitionne ne se donne pas volontiers; pour l'avoir, il la faut conquérir : l'humanité est comme la terre qui ne donne rien de ses larmes ni de sa végétation aux étoiles oisives qui se contentent de la regarder avec mélancolie, et se livre tout entière au soleil qui la féconde.
 
Quiconque entreprend une oeuvreœuvre épique, dépouille sa propre inspiration pour se soumettre au dogme sans discuter; que ce dogme vienne ensuite de Dieu ou de l'esprit humain, qu'il s'appelle Jésus, saint Paul, Grégoire VII ou Spinoza, Hegel, Novalis, peu importe, on n'en doit pas moins le considérer comme l'autorité dont la pensée relève. Le poème de Faust est le chant du naturalisme, l'évangile du panthéisme, mais d'un panthéisme idéal qui élève la matière jusqu'à l'esprit, bien loin d'enfouir l'esprit dans la matière, proclame la raison souveraine et donne le spectacle si beau de l'hyménée des sens et de l'intelligence. Toutes les voix chantent sous la coupole magnifique, les anges, l'humanité, les grands bois, les eaux et les moissons; les flammes de la vie et de l'amour roulent à torrens, puis remontent à la source éternelle pour s'épancher encore. L'harmonie est complète, pas une note n'y manque. Désormais Novalis et Goethe ont élargi le Verbe du Christ et fait entrer la terre, les eaux et le ciel dans la révélation; la nature est sauvée, l'humanité se réconcilie à jamais avec elle; tout annonce le panthéisme et le glorifie dans cet édifice sublime. Entre tous les grands maîtres, Goethe est celui qui possède au plus haut degré le génie de la volonté: il fait ce qu'il veut, rien que cela, et s'arrête à temps; et, qu'on ne s'y trompe pas, cette puissance n'est que le résultat de son organisation insensible aux influences du coeurcœur, de sa nature qui attire sans jamais rendre, comme nous l'avons déjà dit. On doit bien se garder de croire que toutes les tendances du siècle le frappent également; dans cette symphonie étrange, dans ce choeurchœur sans mesure que chantent pêle-mêle tous les instincts et toutes les passions, son oreille infaillible saisit la voix fondamentale et la sépare des autres, ou plutôt groupe les autres autour d'elle. Goethe est un écho, mais un écho intelligent autant que sonore, et qui réfléchit, avant de rendre le bruit qui l'a frappé, bien différent en cela de ces poètes toujours prêts à se laisser inspirer, qui passent incessamment de l'orthodoxie au doute, du doute à la religion de Spinoza, et, de trop faible vue pour distinguer d'en haut le mouvement d'un siècle, se contentent d'en exprimer les vagues rumeurs, cherchant l'unité de l'oeuvreœuvre épique dans une variété où la pensée se dissémine, et qui n'aboutit qu'à des fragmens; harpes éoliennes, sans cesse ballottées par tous les vents de la terre qui les font chanter!
 
Aussi, quel que soit le but mystérieux où tende l'humanité, que son avenir appartienne au christianisme, au règne absolu de l'esprit pur, à l'abjuration de toutes les joies de cette vie, ou (nous aimerions mieux le croire avec Novalis) à un panthéisme clairvoyant, illuminé çà et là par les divins rayons de l'Évangile, mais où l'esprit s'incarne quelque peu, où l'activité humaine marche enfin librement vers le ciel à travers le beau jardin de la terre; quel que soit dans l'avenir le but de l'humanité, le poème de ''Faust'' restera non-seulement comme un livre sublime, où se rencontrent les plus nobles pensées que la poésie ait jamais prises au coeurcœur humain, à la théologie, en un mot à la science de Dieu et des hommes, - mais encore comme l'expression d'une époque grande et féconde, qui, après avoir tout interrogé, tout tenté, j'allais dire tout accompli, après avoir promené son activité impatiente dans toutes les écoles et sur tous les champs de bataille, lasse de la discussion et de la guerre, lasse surtout des folles théories qu'elle a vues éclore et mourir sous ses pas, mais trop jeune, trop ardente, trop vivace pour se contenter du doute, se réfugie dans la nature intelligente et le pressentiment d'une plus haute destinée.
 
Maintenant, si j'ai tant insisté sur ce poème, c'est qu'à mon sens ce poème contient l'esprit de Goethe. D'ailleurs, si l'on me cherchait querelle à ce propos, les bonnes raisons ne me feraient pas faute, et je trouverais la première dans l'ignorance où l'on était encore en France de ce beau livre, auquel la traduction avait manqué jusqu'ici. En tout cas, j'espère trouver grace auprès du lecteur en faveur des fragmens que j'ai cités, diamans de prix, dont j'ai voulu dégager la transparence de l'épaisseur qui l'enveloppe, en attendant qu'un lapidaire plus habile en vienne polir au soleil les mille facettes radieuses.
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<small>(1) Hélène est une imagination des plus belles années de Goethe, une idée venue en même temps que ''Hermann et Dorothée'', peut-être avant. Voici, du reste, ce qu'il en dit lui-même dans une lettre à Schiller, 12 septembre 1800 (''Briefwechsel'', Th. V, S. 306.) : « J'ai mené à bien, cette semaine, les situations dont je vous ai parlé, et mon Hélène est vraiment venue au jour. Maintenant le beau m'attire tellement vers le cercle de mon héroïne, que c'est une affliction pour moi d'avoir à la convertir en une sorte de conte bleu. Je sens bien un vif désir de fonder une sérieuse tragédie sur les matériaux que j'ai déjà; mais je craindrais d'augmenter encore les obligations dont l'accomplissement pénible consume les joies de la vie. » Et vingt-six ans plus tard, dans une lettre à Zelter, 3 juin 1826 (''Briefwechsel mit Zelter'', Th. IV, S. 171) : « Je dois aussi te confier que j'ai repris, pour ce qui regarde le plan poétique et non les développemens, les travaux préliminaires d'une oeuvreœuvre importante sur laquelle, depuis la mort de Schiller, je n'avais pas jeté les yeux, et qui, sans le coup de collier d'aujourd'hui, serait demeurée ''in limbo patrum''. Le caractère de cette oeuvreœuvre est d'empiéter sur les domaines de la nouvelle littérature, et cependant je défie qui que ce soit au monde d'en avoir la moindre idée. J'ai lieu de croire qu'il en résultera une grande confusion, car je la destine dans ma pensée à vider une querelle. » Il était difficile de toucher plus juste, et le poète parle ici avec cet admirable instinct critique qui ne le trompe jamais. En effet, je ne sais pas d'oeuvreœuvre plus prônée et plus méconnue, plus exposée a la fois aux exagérations de la louange et du blâme, plus admirée des uns et des autres, et plus mise en question par tous. Tandis que les philosophes s'y complaisent, attirés par le souffle divin qui s'exhale de la perfection grecque, les romantiques s'en détournent avec horreur, et là où le pied du classique chancelle, le romantique se trouve sur son terrain. Le secret de cette inquiétude qui tourmente les deux partis me semble tout entier dans la fantaisie immense de Goethe, qui a voulu rassembler tous les élémens dans sa création. Fatalité attachée aux enfantemens du génie ! Ces grandes oeuvresœuvres synthétiques, qui comprennent l'univers de la pensée et de l'action, sont créées plutôt pour l'humanité que pour l'homme. Dès leur naissance, la discussion s'en empare; elles servent de champ de bataille aux opinions les plus contraires, qui s'y livrent un combat éternel d'autant plus indécis, que les chances sont plus également partagées. Ces oeuvresœuvres éveillent plutôt l'enthousiasme de tous que l'amour et le culte de chacun; beaucoup les défendent avec courage et persévérance, mais peu se passionnent pour elles. Ce n'est pas au moins, - quant à ce qui regarde l'observation des sentimens, les graces de la pensée, le soin curieux du détail, - que ces oeuvresœuvres le cèdent en rien à d'autres. Ce qui leur manque, c'est la classification et l'ordre. Une forêt vierge n'est pas un sentier. Les intelligences oisives et modestes trouveraient là aussi la douce fleur de l'ame, mais cachée et perdue sous les grandes herbes qu'il faudrait séparer avec peine, et l'on s'explique comment il convient mieux à leur heureuse nonchalance d'aller respirer les pâles violettes dans le coin de terre isolé où Pétrarque et Novalis les ont plantées. - Une chose qui du premier abord glace la sympathie du lecteur, c'est l'ironie inexorable qui se manifeste dans ce livre sous toutes les formes. Goethe ne procède guère autrement; génie essentiellement profond et varié, il voit d'un coup d'oeil infaillible les tendances du moment, et trouve dans la fécondité de sa nature généreuse de quoi y satisfaire. Mais l'imitation suit le génie, comme son ombre; la voie ouverte, tous s'y précipitent au hasard, et c'est alors un plaisir de dieu pour le vieillard que de comprimer tout d'un coup ces élans effrénés par un éclat de rire inextinguible. Goethe fait un peu, autour du troupeau littéraire de son temps, l'office du chien de berger : dès que les moutons se débandent et vont dévastant le beau pâturage que leur a découvert la sagacité du maître, le vieux gardien attentif se lance après eux, d'un bond dépasse les plus hardis, et les ramène à l'étable en leur mordant l'oreille jusqu'au sang. Je citerai, à l'appui de ce que j’avance, dans la première partie de ''Faust'', l'intermède tout entier des ''Noces d'or d'Obéron et de Titania (Oberon's und Titania's goldne Hochzeit)'', et dans la seconde, ces allusions de toute sorte et ces passages satiriques où certaines idées, fort en honneur dans un passé encore très près de nous, ne sont guère plus épargnées que les faiblesses de Nicolaï et de ses contemporains dans les scènes du Brocken. - voici en quels termes Goethe parle de l'accueil fait à sa création d'Hélène dans certaines capitales de l'Europe : « Je sais maintenant comment on a salué Hélène à Édimbourg, à Paris, à Moscou; peut-être n'est-il pas sans intérêt de connaître, à ce propos, trois façons de penser tout-à-fait opposées. L'Écossais cherche à pénétrer dans l'oeuvreœuvre, le Français à la comprendre, le Russe à se l'approprier. Il ne serait pas impossible qu'on trouvât ces trois facultés réunies chez le lecteur allemand. » (''Goethe an Zelter'', 20 mai 1828; ''Briefwechsel'', Th. V, S. 44.)</small><br />
<small>(2) ''Idole, ombre, idée'', dans le sens antique. - Selon Pausanias, Achille céda, lui aussi, à la fascination irrésistible d'Hélène, qui l'aima comme l'idéal de la beauté virile, et se livra plus tard à Patrocle en souvenir du héros. Cependant c'était la destinée fatale des amans de la fille du cygne de la perdre bientôt : Achille dut y soumettre; mais on raconte qu'étant mort, une nuit n'y tenant plus, il s'échappa du royaume des ombres, et vint surprendre Hélène dans son sommeil. Euphorion naquit des ineffables voluptés de cette scène, que la mythologie place dans les îles des Bienheureux, νησοί μαχάρων.</small><br />
<small>(3) C'est dans la version d'Hérodote qu'il faut chercher la clé de ce labyrinthe ou l'héroïne de Goethe s'égare sur les pas de Phorkyas. Hélène, dans sa fuite avec Pâris, est poussée sur la côte d'Orient ; le roi d'Égypte Protée, instruit par ses serviteurs du nom et du rang de ses hôtes, s'empare aussitôt d'Hélène et de ses trésors, et donne l'ordre à Pâris de quitter ses états. Cependant, à cette nouvelle, Ménélas, qui court le monde à la poursuite de son épouse ravie, se hâte de faire voile vers l'Égypte; mais, avant qu'il n'arrive, le roi Protée meurt, et son fils, à son tour, obsède la malheureuse Hélène si cruellement, qu'elle sort du palais et se réfugie au tombeau de l'ancien roi. Là, elle passe ses jours dans la tristesse et dans les larmes, et la parole de Mercure, qui lui promet qu'elle reverra son époux et sa patrie, l'aide à peine à supporter l'existence. Enfin, Ménélas aborde au moment où, penchée sur le tombeau, elle invoque l'esprit de son protecteur. Les deux époux se reconnaissent, volent dans les bras l'un de l'autre; le roi d'Egypte les laisse libres, et tous les deux retournent à Sparte. (Hérodote, ''Euterpe'', liv. XI.) Or, c'est cette fable qu'on ne peut en aucune façon rattacher au mythe accepté de l'enlèvement d'Hélène qui donne lieu à la légende de sa double présence. Hélène est tellement troublée par l'apparition de Phorkyas et ses invectives, que sa raison s'égare. Ses souvenirs se croisent, elle commence par se croire une autre qu'elle-même, l'Hélène égyptienne peut-être, et finit par douter de sa propre existence.</small><br />
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<small>(10) Spectres familiers, sortes de revenans auxquels l'antiquité donne l'apparence de squelettes, et dont les superstitions du moyen-âge ont formé des esprits de l'air que la science évoque et se soumet. (Horat., ''Epist''., II; Apulée, de ''Deo Socratis'', pag. 110.-Lessing, ''Sous quelle forme les anciens se représentaient la mort'', S. 222. - Theophrastus Paracelsus, ''Philos. sagax''. , lib. 1, 89.) - Goethe, dont le génie plastique se révèle jusque dans les moindres détails, a recours ici, pour exprimer l'idée de la servitude, à des squelettes dont les membres s'agitent et travaillent par un mouvement mécanique et borné, que ne règlent plus désormais ni l'action de l'ame exhalée, ni les appétits de la chair tombée en poussière. Quelle objectivité plus vraie donner au néant de la servitude !</small><br />
<small>(11) Les élémens haïssent l'ouvre formée par la main des hommes. (Schiller's ''Glocke''.)</small><br />
<small> « Mon coeurcœur se navre à l'aspect de cette force dévorante qui git dans le sein de la nature. La nature n'a rien fait qui ne consume à la longue son voisin, qui ne se consume soi-même; et lorsque, dans le vertige de mon inquiétude, je contemple le ciel et la terre, et leurs forces infatigables, je ne vois rien qu'un monstre qui engloutit éternellement et qui éternellement rumine. » (Goethe, ''Werther's Leiden'', Th. I.)</small><br />
<small>(12) Goethe insiste sur cette humeur lascive du chat, qu'il attribue à Méphistophélès. Déjà, dans la première partie, il en était question : « Je me sens comme la chatte efflanquée, qui se frotte contre les gouttières en glissant le long des murs ; en tout bien, tout honneur au moins; envie de larron et chaleur de matou. » (''Faust'', Der Targödie Th. I, S. 135.) - On le voit, du commencement à la fin, Méphistophélès est et demeure le vrai diable de la légende catholique; il n'a rien autour de son front de ce ténébreux bandeau, de ce signe de fatalité que le beau. Lucifer de Milton emprunte au paganisme des Grecs. Il n'intéresse pas, il ne séduit pas, il n'attire pas les âmes vers l'abîme par une sorte d'influence sympathique; il les y pousse avec rudesse et puissance. Méphistophélès, c'est la force du mal subissant la nécessité d'une incarnation inférieure et grossière, le génie de l'ange déchu empêtré dans le matérialisme de la brute. Sans cela, sans cette bestialité qui l'accable, le mal régnerait seul sur le monde; il envahirait le ciel, il serait dieu. Heureusement, et cela dans ses plus audacieuses tentatives, sa nature basse et dégradée perce toujours par quelque point. C'est le pied de cheval, la puanteur du bouc, la luxure du chat, etc.</small><br />
<small>(13) Il s'est rencontré, au dernier siècle, un homme d'un grand fonds d'érudition et d'expérience qui rêvait tout éveillé des habitans des planètes et des étoiles. Il tenait commerce avec les esprits et parlait avec eux une langue idéale. Ceux-ci voyaient à travers ses yeux (car autrement, ainsi qu'il le dit lui-même, ils ne pourraient rien voir des choses de ce monde). Il sentait leur présence dans telle ou telle partie de son corps, principalement dans son cerveau. Il vécut trente ans de la sorte. Je veux parler d'Emmanuel Swedborg (qui reçut en 1719, avec des titres de noblesse, le nom de Swedenborg), fils d'un évêque suédois, et né en 1689. Dès son enfance, on disait déjà de lui qu'il causait avec les anges. Lui-même il a décrit l'état dans lequel il se trouvait au moment de ses visions. Il y en avait de trois espèces: la première (qu'on pourrait appeler la vision ordinaire, paisible), pendant laquelle il s'entretenait avec les esprits qui lui apparaissaient ou qui venaient se loger dans quelque partie de son corps; la seconde, moins commune, pendant laquelle tous ses sens s'émouvaient progressivement jusqu'à l'enthousiasme prophétique; la troisième enfin, la plus rare, lorsque, ravi par l'esprit, il traversait en un clin-d'oeil avec la rapidité de l'éclair des sujets et des régions innombrables. Qui ne reconnaît dans cet illuminé du dernier siècle le type de ce personnage mystique de Goethe qui prend dans son cerveau les enfans de minuit et leur fait voir le monde qu'ils ignorent, à travers le miroir de ses yeux, puis leur donne la volée vers les limbes? Symbole merveilleux de l'amour pur qui s'oublie lui-même, et dans son abnégation sublime s'efforce d'élever les autres!</small><br />
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:<small>MARGUERITE. (Elle met des fleurs nouvelles dans les pots.)</small><br />
::<small>Oh! daigne, daigne,</small><br />
::<small>Mère dont le coeurcœur saigne, </small><br />
::<small>Pencher ton front vers ma douleur!</small><br />
::<small>L'épée au coeurcœur,</small><br />
::<small>L'ame chagrine,</small><br />
::<small>Tu vois ton fils mourir sur la colline.</small><br />
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::<small>L'affreux excès</small><br />
::<small >De la douleur qui me déchire? </small><br />
::<small> Ce que mon coeurcœur a de regrets, </small><br />
::<small> Ce qu'il craint et ce qu'il désire? </small><br />
::<small> Toi seule, toi seule le sais.</small><br />
::<small> En quelque endroit que j'aille, </small><br />
::<small> Un mal cruel travaille ></small><br />
::<small> Mon coeurcœur tout en émoi. </small><br />
::<small> Je suis seule à cette heure, </small><br />
::<small> Je pleure, pleure, pleure, </small><br />
::<small>Mon CoeurCœur se brise en moi</small><br />
::<small>Quand l’aube allait paraître,</small><br />
::<small>En te cueillant ces fleurs,</small><br />
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::<small>Ah! Sauve-moi de la mort, de l’affront!</small><br />
::<small>Daigne, daigne</small><br />
::<small>Toi dont le CoeurCœur saigne,</small><br />
::<small>Vers ma douleur pencher ton divin front!</small><br />
<small> Maintenant, toute peine terrestre oubliée dans l'expiation, Marguerite se sent ravie au ciel dans des nuages de flamme, autour desquels gravite la partie immortelle de Faust; et les yeux encore tournés vers le trône de la reine des anges, elle l'invoque dans sa béatitude, comme autrefois dans sa misère. - Voilà, certes, deux admirables sujets de poésie et de peinture. Cornélius a traité le premier avec une grace à la fois idéale et naïve, dans son estampe la plus poétique, et sans contredit la plus heureusement venue de la belle collection des dessins de ''Faust''. Quant au second, il appartient de droit à Overbeck, au peintre mystique des ''Arts sous l'invocation de la Vierge''.</small><br />
<small>(16) «Le livre de Jacob m'a sincèrement affligé, et comment, en effet, aurais-je pu me réjouir de voir un ami si vivement affectionné soutenir cette thèse : que la nature dérobe Dieu à notre vue? Pénétré comme je suis d'une méthode pure, profonde, innée, qui m'a toujours fait voir inviolablement Dieu dans la nature et la nature en Dieu, de telle sorte que cette conviction a servi de base à mon existence entière, un paradoxe si étroit et si borné ne devait-il pas m'éloigner à jamais, quant à l'esprit, d'un homme généreux dont je chérissais le coeurcœur vénérable? Cependant je n'eus garde de me laisser abattre tout-à-fait par le triste découragement que j'en ressentis, et me réfugiai avec d'autant plus d'ardeur dans mon antique asile, l’''Éthique'' de Spinoza. » (''Bekenntnisse'', 1 Theil., von 1811. ''Goethe's Werke'', Bd. 32, S. 72).</small><br />
<small>(17) « Nul être ne peut tomber à néant. L'éternel s'émeut en tout. Tu es; tiens-toi heureux de cette idée. L'être est éternel, car des lois conservent les trésors de vie dont se pare l'univers. » (Goethe, ''Vermâchtniss Werke'', Bd, 2122, S. 261.)</small><br />
<small>Goethe exprime encore le sentiment auguste de la Divinité que lui inspire le culte de la nature, dans cette poésie où le lion s'apprivoise, tout à coup dompté par le cantique d'un enfant : « Car l'Eternel règne sur la terre; son regard règne sur les flots. Les lions, doivent se changer en brebis, et la vague recule épouvantée; l'épée nue prête à frapper s'arrête immobile dans l'air; la foi et l'espérance sont accomplies; il fait des miracles, l'amour qui se révèle dans la prière. » (Bd. 15, S. 327.)</small><br />