« Wilberforce, Romilly et Dudley » : différence entre les versions

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Il est impossible de comparer lord Dudley à Wilberforce et Romilly. Excellent écrivain dans un cadre étroit, ingénieux critique, orateur élégant et précis, sans fécondité et sans puissance sur les masses, d’un goût raffiné jusqu’au dédain, et d’une défiance de soi-même qui ne lui permit jamais de conduire les hommes et de gouverner, il a été singulièrement exalté par les habiles rédacteurs du ''Quaterly Review'', dont il était un des collaborateurs les plus utiles. Ami de Canning, il le suivit dans toutes les évolutions de sa fortune, et fut créé par lui lord Dudley en 1827. son nom était Ward, fils du troisième vicomte Dudley et Ward, nom roturier qui lui déplaisait singulièrement; c’était une des épines de sa vie, car ce pair d’Angleterre, auquel rien n’avait manqué jamais, était parvenu à se créer d’innombrables douleurs, chimères qui tuèrent sa raison.
 
C’est par ce raffinement douloureux et extrême qu’il appartient à l’histoire des moeursmœurs anglaises, non comme exception, mais comme type. En 1798, il y avait à Paddington une maison habitée exclusivement par un enfant et ses précepteurs, qui, toujours près de lui, contrôlant chacun de ses mouvemens, et soumettant à leurs doctrines la naïve liberté de sa nature, l’entouraient de latin, le berçaient de grec, et couvaient soigneusement cette intelligence fragile, comme on protège la fleur du tropique sous la serre chaude de nos jardins. On voulait faire une merveille, on fit une victime. On voulait créer un ''student'' et un gentilhomme anglais accompli, le succès couronna les efforts de ces éducateurs systématiques, tous les dangers de l’éducation publique furent évités; mais combien ce succès fut payé cher! L’adolescent, effrayé de tout, en proie à une hypocondrie nerveuse et permanente, habitué à la solitude silencieuse de son cabinet et de son jardin, sans cesse exposé aux doctorales injonctions de ses gouverneurs, versé dans le grec, connaissant admirablement bien les poètes et les orateurs latins, plus irritable qu’une femme nerveuse, polus énervé qu’un vieillard, plus triste qu’un malade, plus misérable qu’il eût été malheureux, reçut à la fois de son père une des plus belles fortunes de l’Angleterre et l’incapacité d’en jouir. Oxford et Edimbourg, où il termina son éducation, ne le guérirent pas; toute cette éducation mal dirigée fit de l’héritier des Dudley un homme de lettres souffreteux et timide. Les insensés qui écrasaient cette intelligence et qui détruisaient tout un bonheur, ne savaient pas que le talent lui-même ne possède sa vigueur que bronzé sous les épreuves du monde et que l’homme de lettres qui n’a pas vécu de la vie commune n’est qu’un pédant sans valeur.
 
Lord Dudley était fait pour une autre place dans la vie. Il la désira et ne put jamais la conquérir. Il suivit pas à pas son ami Canning et servit le mouvement singulier de liberté au dehors, de répression au dedans, qui caractérisait sa politique. Ses lettres, que l’on vient de publier, attestent les cruelles entraves dont la jeunesse de son esprit avait été surchargée et comme écrasée. C’est une phrase qui tremble de s’élancer, un style contraint dans son élégance, une grace formaliste, un défaut de verve et de naïveté qui oppressent le lecteur. Comme orateur, il devait produire peu d’effet et en produisit peu. Lord Byron, dont on n’a pas assez apprécié ni assez loué la prose, ébloui que l’on état par ses beaux vers, définit admirablement le talent de Ward; « étudié, brillant, élégant, quelquefois piquant. » Qualités inutiles dans une assemblée publique, mais qui se déployèrent avec beaucoup d’éclat dans la ''Revue'' que nous avons citée, et qui, selon la coutume anglaise, lui a consacré, après sa mort, le lus gracieux des panégyriques.
 
Jamais ce cerveau comprimé et énervé dès l’enfance ne put recouvrer son énergie; la distraction, la morosité, la rêverie, l’habitude d’une mélancolie sans cause et sans fin, plongèrent Dudley dans un état de langueur auquel tout l’art des médecins et l’emploi de sa fortune ne purent l’arracher. Telle avait été l’influence, ou plutôt la tyrannie de cette éducation, que cet homme de goût ne put jamais ni être ému par la musique, ni admirer un tableau. Il avait assez de sens pour confesser hautement son impuissance. « Ce que l’on appelle beaux-arts, dit-il dans une de ses lettres, est absolument invisible pour moi. Une statue ne me cause aucun plaisir; une peinture ne m’en fait guère. Si j’essaie d’admirer, cette admiration tombe à faux, ce qui est décourageant pour tout admirateur. Je n’y comprends rien, et je suis tenté de croire que la plupart des hommes sont comme moi, mais qu’ils ne le disent pas tout haut. » Rien de plus tragique et de plus triste que les dernières lettres de cet homme aimable, sacrifié à de pédantesques théories et à de folles espérances de perfection. Rien ne lui faisait défaut, ni l’amitié, ni la fortune, ni le rang, ni le talent, ni même la renommée. Seulement il s’affaissait sur lui-même et se repliait comme ces feuilles d’arbre trop minces qui se roulent et se resserrent à l‘ardeur du soleil ou au souffle de l’air. Il se mourait de l’impossibilité morale de vivre. Aucun malheur, aucune passion, point d’affaiblissement causé par l’excès ou du travail ou du plaisir. « Je suis, écrit-il à son ami l’évêque de Llandaff, en proie à des sentimens qui me torturent. C’est en vain que ma raison me dit que mes idées sont exagérées. Anxiété, - regret du passé, - terreur de l’avenir, - m’ont saisi comme une victime. Je redoute la solitude, je ne suis pas propre à la société, et toutes les erreurs que j’ai pu commettre dans le cours de ma vie se dressent et restent debout devant moi. Je suis honteux de ce que je ressens, lorsque je viens à penser à la prospérité dont je jouis. Mais il me semble que j’ai été tout à coup transporté dans quelque région horrible, au-delà des limites du bien-être et de la raison. » Ces lignes représentent et dépeignent avec une admirable netteté la désorganisation de cet esprit cultivé, qui se voyait périr sous sa culture même. Ceci est plus curieux encore : « J’attends W. R., qui souffre du même mal que moi. La mélancolie sombre qui pèse sur lui aussi lourdement que sur moi-même ne l’empêche pas d’être un convive très aimable. J’attends ce tête à tête avec satisfaction et plaisir. » Une première fois il échappa au démon qui le poursuivait : plus tard les attaques se renouvelèrent, et il succomba en juillet 1833, après un an de retraite forcée sous le poids d’une aliénation mentale. Ses lettres, ses discours et ses articles, que l’on recueillera sans doute, oeuvresœuvres élégantes et polies, ne laisseront pas périr le nom de cet aristocrate whig.
 
Parmi les courans d’opinions et de pensées qu’on a presque toujours négligé d’analyser et de porter en compte lorsqu’on s’est occupé de l’histoire des peuples, nul n’était, en Angleterre, plus populaire et plus puissant, au commencement de ce siècle, que la dévotion puritaine, piété mélancolique et profonde, devenue passion et besoin pour des caractères graves ou timides, et subdivisée en mille fractions de sectes, hostiles quant au dogme, analogues quant à l’esprit. Depuis les prédications de John Knox, cette veine profonde et tragique n’avait point tari ; on l’avait retrouvée chez les partisans de la communauté (''commonwealth''), chez Milton, Daniel de Foë, le quaker William Penn, le chaudronnier-poète Bunyan, le courageux prédicateur Baxter, et le romancier Richardson. Nul penchant intellectuel n’avait plus de prise sur le caractère anglais, sur les masses comme sur l’homme isolé, sur les gens du monde comme sur les pauvres. La terreur de Pascal, voyant son ame suspendue entre les deux gouffres d’un passé inconnu et d’un avenir inconnu, sur le point fragile d’un présent incertain, est un sentiment vulgaire dans ce pays où les intelligences les moins raffinées se sentent quelquefois saisies d’un effroi sans pareil en face de leur propre existence. A mesure que les grandes destinées de cette société commerçante et colonisatrice se développaient, ce génie mélancolique, bienfaisant et pieux, ce culte triste et dévoué des bonnes pensées et des bonnes oeuvresœuvres, cet ascétisme actif et mondain, cette analyse austère et incessante des vertus pratiquées ou désirées, acquéraient un caractère moins dur et moins grossier. Sous Charles II, pendant le règne de la marchande d’oranges '' Gwynn et de ses deux cents rivales, la Bible appartenait an peuple qui s’en nourrissait. « Comme j’accompagnais le roi, dit un seigneur de ce temps dans ses mémoires, et que sa majesté escortait à cheval la litière de la duchesse de Portsmonth, à laquelle il envoyait des baisers, je vis sur le bord de la mer, étendu dans le sable, sous le soleil, un petit berger, les pieds nus, qui lisait la Bible et qui pleurait. » Ce petit berger aux pieds nus et pleurant de tristesse en lisant Job ou Jérémie représentait le fond du peuple, cette masse active et mélancolique qui devait renverser Jacques II. A la fin du XVIIIe siècle, les larmes des gens de cour et des gens instruits coulaient sur ces mêmes pages de la Bible; le célèbre auteur de ''Clarisse'', Richardson, imprimeur de son état, formaliste par caractère, était casuiste par goût, et levait tous les scrupules de conscience que lui proposaient les bonnes femmes de son voisinage. A cette piété sincère et minutieuse, les Swift, les Sterne, les Goldsmith, les Sheridan, les Fielding, opposaient leurs ricanemens et leurs railleries; mais tout le prestige du talent ne pouvait rien contre le génie national. Wesley, le méthodiste, traînait derrière lui des flots d’auditeurs pantelans et ruisselans de larmes sincères. Enfin ce mouvement religieux, se résumant dans William Wilberforce, homme éclairé, infatigable, opulent, dévoué, vint prendre place nu parlement même.
 
Wilberforce servit donc d’expression politique et d’organe actif à tout le puritanisme anglais. Autour de lui vinrent se placer, à lui seul aboutirent comme à un centre les ames tendres, les esprits méditatifs et scrupuleux, les hommes dont la rêverie pieuse n’osait pas essayer la vie publique.
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Il correspond avec l’ami intime et le protecteur de William Cowper, avec John Newton, et l’on voit ainsi, dans ses lettres, tout un groupe social, l’orateur, le prêtre, le poète, apparaître avec sa vie et son mouvement propre. C’est ce John Newton qui écrit à Wilberforce, dans un style qui rappelle la simplicité élégiaque de Cowper : « Au moment même où je tiens la plume, on accorde là-haut un clavecin qui ne m’amuse guère et ne favorise point ma pensée. Au surplus, il me semble que je suis ce clavecin : combien fréquemment faut-il m’accorder, et comme il est facile de déranger cette harmonie si difficile à établir ! Mon imagination surtout est un instrument dont je ne dispose guère. Quelquefois l’influence est bonne, et me voilà heureux; mais bien souvent un mauvais génie prend la clé et tourne les vis:alors je souffre le martyre. C’est une confusion, une discordance, un chaos de sons effroyables, et comment y échapper? Je ne puis me boucher les oreilles, puisque ce concert maudit est dans mon sein. »
 
Rien de plus éloquent que ce John Newton, le confident, le consolateur et le guide religieux de Cowper; poète qui s’ignore lui-même, sa correspondance est remplie de traits délicieux qui attestent la tolérance véritable et la philosophie sincère de cet esprit distingué. « Envoyer des missionnaires aux îles ''Pélion''! dit-il quelque part, chez un peuple si doux et si naïf! Je désire que nos Européens laissent les Péleïens tranquilles, et que ces derniers n’aient d’autre occasion de voir nos concitoyens que pour donner, comme ils l’ont déjà fait, une hospitalité généreuse à quelques naufragés. Mais si nous nous établissons dans leurs îles avec la contagion de nos besoins, de nos vices et de nos fléaux, ils sont perdus ! » On voit que le calviniste Newton, son ami Cowper et Wilberforce touchaient sans le savoir aux doctrines de Jean-Jacques Rousseau. Voici comment Newton parle de la révolution française en 1796 : « La main de Dieu est sur le monde. Nuages et foudres s’accumulent autour de son trône; il marche, mais nous ne le voyons pas. Ses desseins sont grands et évidens, mais ils sont obscurs. Il a envoyé devant lui ses serviteurs, qui balaient la place et font disparaître les immondices: tâche ignoble et dure que Dieu a réservée à des natures terribles; un grand seigneur ne charge pas ses enfans de nettoyer ses écuries. L’Europe aujourd’hui n’est qu’une vaste étable d’Augias, On est l’oeuvrel’œuvre, et le sang coule avec la fange. Quand l’oeuvrel’œuvre sera finie selon la volonté de Dieu, le maître leur apprendra qu’ils ont rempli ses ordres en imaginant se satisfaire eux-mêmes. »
 
Il avait très bien saisi et compris la situation de son ami Wilberforce : « Vous n’êtes pas, lui disait-il, le représentant du comté d’York; vous êtes le représentant du Seigneur dans un lieu où beaucoup de gens ne le connaissent pas. » - Sous le rapport de la politique même, c’est un grand avantage que cette représentation des intérêts moraux qui préoccupent et animent une masse d’hommes. L’unique soin des intérêts matériels et la représentation matérielle ne produiront jamais des résultats équivalens. Qui donc écrit les lignes suivantes? Est-ce un père de l’église, un casuiste, un moraliste élégiaque? Sont-elle tracées par de ces mains ascétiques que le pinceau de Zurbaran croise sur des poitrines desséchées? « Le vain tumulte du monde politique ne fait naître chez moi qu’un sourire, et j’ai pitié des pauvres êtres qui estiment assez haut ses joujoux pour les emporter précieusement comme des trésors impérissables et réels. Quant à moi, j’aspire à une possession plus vraie, plus substantielle et plus durable. » Un homme politique, Wilberforce, a semé ses lettres confidentielles de pareils aveux et de semblables sermons. On y voit combien les hommes les plus éclairés de L’Angleterre redoutaient Bonaparte et craignaient l’avenir.
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La séduction opérée par Bonaparte s’étendait jusqu’à Wilberforce lui-même. « Rien ne m’a plus profondément convaincu, dit-il, de la puissance extraordinaire dont Bonaparte a été doué par Dieu même, qu’un trait spécial de son caractère : il séduit et gagne des hommes d’une supériorité reconnue dans des carrières diverses, les attache à sa cause et le fait servir à ses desseins. Ce pouvoir de faire graviter vers soi les esprits (que cette expression me soit permise) est absolument indispensable à quiconque veut se constituer centre d’un système. Sans cela, tout serait confusion. C’est la preuve infaillible du grand génie. Je dois avouer avec franchise que chez Bonaparte cela me surprend d’autant plus, que, dans certaines occasions, il a paru, et spécialement en Egypte, se conduire d’une manière peu convenable, je ne dis pas à un homme honnête, mais à un homme fort. »
 
Wilberforce voulut toujours le bien et ne l’accomplit pas toujours. L’abolition de la traite des noirs est sa grande oeuvreœuvre. Quant à l’application de la civilisation européenne aux enfans de la race africaine, l’avenir dira si ce n’était point une tentative malheureuse et inexécutable. Ami constant de Pitt, populaire par le dogme et les penchans, tory par les amitiés et les principes politiques, il occupa souvent une position finisse et ne put se sauver qu’à force de distinctions subtiles, que l’on accusait d’être ambiguës. Homme honnête et homme dévoué, dont l’apostolat charitable et sincère mérite la vénération de l’avenir !
 
Il ne manquait point d’habileté; pendant toute sa vie, il conserva l’appui de William Pitt. William Pitt n’était pas seulement un ministre, mais le défenseur de la nation : le levier de sa politique s’appuyait sur l’intérêt et sur la richesse, sur la puissance et sur la vie de la Grande-Bretagne. Il fit mouvoir ce levier avec une persévérance de calcul et une intrépidité de coup-d’oeil sans égales. Fox s’armait des influences étrangères; son parti était donc plus faible, et moins national, quoique pins populaire.
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Le mouvement révolutionnaire était donc plutôt superficiel et de parade que profond, sincère et national. Peu à peu les années détachèrent des opinions étrangères les plus brillans et les moins solides de leurs partisans: Mackintosh, Erskine, Southey. Cobbett, qui avait pris position sur le terrain national, resta debout à la même place, et ce fut lui, sans aucun doute, qui précipita le plus efficacement les esprits vers les réformes que nous avons vu s’accomplir. Payne proposait pour modèle l’Amérique, Mackintosh la France, Erskine et Tooke les anciennes républiques; Romilly proposa Genève.
 
C’était un avantage pour ce dernier de se trouver porté par un groupe beaucoup plus calviniste que français. Pour la moralité stricte et douce, le culte des, vertus privées, l’amour des lois et celui du progrès, le respect de l’industrie et de l’argent, la distribution économique et féconde des heures et du travail, il y a plus d’une analogie entre les deux nations, soumises aux mêmes habitudes et à la même éducation religieuse. Aussi, profitant de cette situation heureuse, allié aux violons réformateurs du continent sans partager leurs goûts, leurs prétentions, leurs systèmes et leurs fautes; touchant à Mirabeau par Dumont, et aux puritains d’Angleterre par les idées, les moeursmœurs et le style des réfugiés, Romilly s‘arma-t-il bientôt d’une considération qui fut accrue et ornée par l’aménité de ses manières et la douce sûreté de son commerce. Marié à une personne d’une beauté achevée et d’un caractère heureux, il s’éleva par degrés jusqu’aux honneurs de la haute magistrature laissa long-temps solliciter avant d’accepter un siège au parlement, se distingua parmi tous les candidats par l’extrême délicatesse de ses démarches avant l’élection, et parmi les membres des communes par l’infatigable accomplissement de ses devoirs. Il ne pouvait siéger que sur les bancs des whigs, et ce fut en effet la place qu’il choisit. Fidèle à ses débuts, il s’occupa exclusivement de la réforme des abus judiciaires, et n’exerça aucune influence marquée sur le mouvement des affaires publiques.
 
La douceur de l’ame jointe à la persévérance de la conduite a fait de Romilly du phénomène moral. C’était un Genevois et un Anglais, un philantrope et un homme pratique, sir Charles Grandisson dans la vie politique; c’était l’union singulière de la pratique et de la rêverie, l’esprit des affaires devenu poésie; une sensibilité aiguisée jusqu’à la finesse la plus maladive, un désir de l’idéal sans cesse aux prises avec les réalités, mais sachant les subir.
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Une austérité élégiaque et une sorte de suavité triste règnent sur toute la famille protestante, occupée d’intérêt élevés et mêlée plus tard à l’aristocratie de naissance et de fortune. On est ému de respect et d’attendrissement quand on pénètre dans cet intérieur plein de calme, de dignité douce, d’activité réglée, de devoirs silencieux, accomplis avec un zèle charmant et pour ainsi dire avec une volupté méditative. Ce raffinement du beau et du bon, cette élégance d’artiste portée dans la vie privée, cette simplicité acquise et voulue, composent un caractère spécial, qui n’est pas absolument anglais, mais qui se fond et se lit admirablement aux nuances anglaises, et qui se rapporte, comme à sa source, au calvinisme adouci de Genève moderne et aux scrupules des familles françaises réfugiées. La philosophie pénétrante d’Ancillon, le labeur spirituel et minutieux de Bayle, l’esprit microscopique de Saint-Evremont, l’analyse sentimentale de Jean-Jacques, touchent par divers points à ce même génie anglo-genevois, qui n’est ni sans grandeur, ni sans grace, ni sans danger, et dont Romilly est l’une des expressions modernes les plus aimables.
 
Il faut l’entendre décrire ses joies domestiques. « Notre nouvelle résidence, dit-il, était située dans High-Street, sur la limite de Mary-Lebone et de Londres, qui commençait à envahir les villages voisins. A voir cette petite maison brune, ses deux fenêtres de front, sa physionomie étriquée, son petit carré de terre, anobli du titre splendide de jardin, vous eussiez conçu de ses habitans et de leurs plaisirs, comme de leur élégance, une assez misérable idée. Mais il fallait se mêler à notre famille, et y porter un coeurcœur capable de comprendre le bonheur réel, pour apprécier celui que renfermaient ces humbles murailles. Vous y eussiez trouvé une société composée de personnes aimables, aimantes et gaies, ne désirant et ne regrettant rien, heureuses de leur vie privée et y concentrant toutes leurs jouissances, unie par la similitude des goûts, des affections, des caractères, et par les liens du sang. Vous auriez partagé, en les admirant, nos plaisirs si variés et si vifs : promenades à cheval dans les environs, au milieu de paysages délicieux ; lectures du soir en hiver, pendant que les uns dessinaient et que les autres brodaient ; festins modestes et charmans pour célébrer l’anniversaire du mariage de mon père et la naissance de chaque membre de notre heureuse société; contredanses que nous trouvions moyen d’organiser dans les plus petites chambres du monde. Je ne puis me rappeler ces jours, heureusement je puis dire ces années, sans éprouver l’émotion la plus délicieuse. J’aime à me transporter en idée dans notre petit parloir tendu de papier vert, élégamment orné de gravures de Strange, Bartolozzi et Vivarès, d’après Raphaël, les Carraches et Claude Lorrain. Je fais revivre jeunes gens et vieillards, mêlés et confondus dans cette heureuse colonie; je les revois groupés devant le foyer; je n’oublie pas le beau lévrier d’Italie, le chat noir et l’épagneul respectueusement étendus à nos pieds et vivant en parfaite harmonie. La porte qui s’ouvre me laisse reconnaître les visages amis des domestiques de la maison, surtout celui de la vieille nourrice qui avait si bien soigné notre mère et nous l’avait rendue en bonne santé; aussi nous l’aimions bien! »
 
Dans cet intérieur que nous avons laissé Romilly décrire avec une si touchante simplicité, d’autres personnages venaient se placer ; un ministre genevois, Roget, ami de la maison, enthousiaste sincère de Jean-Jacques Rousseau; la fille, bonne musicienne, instruite et naïve ; un jeune commis qui avait de l’aisance, l’associé et le plénipotentiaire du joaillier plutôt que son commis. Vous vous rappelez ce beau personnage anglais d’un roman moderne, Ralph, et sa patience, et son amour, et son silence, ce silence et cet amour dont quelques critiques ont douté. Eh bien! Greenway, le commis de Romilly père, debout devant le foyer, caressant les longues oreilles du chien de la famille, et écoutant la jeune fille qui chante, assise devant son vieux clavecin noir, c’est Ralph tout entier; on ne sait en vérité si George Sand a vaincu la réalité, ou si la réalité s’est élevée seule au-dessus de ce magnifique talent.
 
Greenway avait vingt-quatre ans, sa taille était noble, son coeurcœur haut, sa figure agréable, son caractère égal et doux, « et l’on ne pouvait s’empêcher d’admirer, dit Romilly, le désintéressement, la générosité et le sentiment d’honneur qui marquaient toutes ses actions. Après avoir demeuré long-temps avec nous, et nous avoir inspiré autant de confiance que d’estime, il hérita d’un petit patrimoine, et alla vivre dans une maison qui lui appartenait; ses relations avec notre famille ne perdirent rien de leur intimité. Nous le recevions toujours comme un ami de coeurcœur et un charmant convive. Il était de toutes nos parties, de toutes nos promenades, de tous nos secrets. Ma soeursœur, qui n’avait encore formé aucun projet d’établissement, le voyait avec estime, comme nous tous, et n’avait ni répugnance ni penchant pour Greenway. Quant à lui, naturellement réservé jusqu’à la froideur, il n’avait laissé deviner à personne, pas même à ma soeursœur, le sentiment qu’elle lui avait inspiré. Un jour seulement que mon père, ma mère, ma soeursœur et moi, nous allions visiter sa nouvelle demeure, mon père l’ayant félicité de l’air d’aisance et de bien-être qui régnait dans cette maison, Greenway s’écria : « Il ne manque ici qu’une maîtresse. » Puis il se tut. Il croyait en avoir assez dit, et il rentra dans son fatal silence. » Témoin du bon accueil fait à Roget dans la famille et de ses progrès dans la confiance du père, Greenway eut le courage d’épier le premier éveil du sentiment sympathique inspiré par Roget à la jeune fille ; il en suivit le développement progressif, il en contempla la marche et les nuances, comme si cette douloureuse étude eût été l’unique soin de sa vie. Il ne quittait guère les amans et voyait de près cette affection naissante se changer en attachement vif, puis en passion impétueuse. Il assista au mariage, toujours silencieux, réservé, impassible ; « pas un de nous, dit Romilly, n’avait pénétré le secret de cette tristesse qui le dévorait depuis long-temps, et il l’aurait emporté avec lui dans la tombe sans un hasard singulier qui le trahit. Plusieurs jours après le mariage, Greenway, mon frère et moi, nous allâmes dîner chez un ami dont l’excellent vin fut mis à contribution sans réserve, mais sans que les trois convives et leur hôte eussent compromis leur raison. Greenway n’avait pas bu plus de vin que nous, il n’était pas ivre, son cerveau n’était pas troublé, ni sa prononciation embarrassée ; mais les émotions qu’il avait long-temps dévorées, se trouvant tout à coup enflammées et exaltées, éclatèrent de la façon la plus violente et la plus inattendue. Tout en marchant à côté de nous, il commença par se plaindre en termes vagues de sa misère, de son désespoir ; puis, forcé de s’arrêter, il tomba sur les marches d’une maison. Là, ne pouvant plus se contenir, et d’une voix qui fendait l’ame, il exprima enfin la cause et l’étendue de sa peine, et finit par s’écrier d’un ton prophétique : « Jamais, jamais je ne saurai ce que c’est que le bonheur ! » Il avait dit vrai. En vain essaya-t-il de se distraire en prenant du service dans la milice d’Oxford, puis en voyageant sur le continent. Après avoir erré de ville en ville, sans que le changement de lieux dissipât un instant sa profonde tristesse, il sentit ses forces physiques décroître avec ses forces morales. Un jour, je reçus une lettre du graveur Byrne, son compagnon de route, qui m’apprit qu’il était mourant dans une auberge de Calais. Je partis en toute hâte, et j’arrivai pour être témoin de son agonie. Il se retourna dans son lit, fixa sur moi ses yeux mourans, voulut parler, ne le put et expira Ainsi disparut ce jeune homme charmant qui avait éprouvé les souffrances morales les plus exquises et les plus raffinées, qui n’avait jamais été que bienveillance, générosité, humanité, douceur et vertu.» On voit par quel intérêt et quelle pente facile Romilly, à plus de quarante ans, se laisse entraîner à ce récit mélancolique qui séduit à la fois sa rêverie et ses souvenirs.
 
Ainsi prédisposé par son naturel même à l’exercice des vertus délicates, la lecture de ce mauvais éloge que l’emphatique Thomas a consacré à d’Aguesseau décida Romilly en faveur de la jurisprudence ; il donna toute sa vie à cette étude, si difficile en Angleterre. Deux Genevois, Roget, son beau-frère, et Dumont, l’ami de Mirabeau, augmentèrent et perfectionnèrent les influences déjà reçues; Roget lui communiqua sa philantropie exaltée et libérale; Dumont, plus sensé et plus utile, dirigea vers la pratique sérieuse toutes les facultés honnêtes et courageuses de son ami. Bientôt ses voyages à Genève et en France le mêlèrent à la société des Clavière, des Necker, des Mirabeau, des Chamfort, et il prit part, dès les premiers jours de sa jeunesse, à ces brillantes et joyeuses espérances d’une régénération universelle. Il fut bien un peu surpris quand il vit de près les philosophes; Mirabeau surtout l’effaroucha.
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Mirabeau invente des histoires pour se mettre en scène ; il fait mille contes, il parle tour à tour en style d’Artaban ou de Saint-Preux, il imagine des romans. On ne le croit pas, on ne l’estime pas, et ce qui lui manque avant tout, c’est la vérité ; mais il passe comme une trombe, il possède une éloquence naturelle et immense ; il brise tout, il emporte tout sur sa route. Dès qu’il veut prouver ou affirmer un fait, ou soutenir un argument, rien ne l’épouvante ; il fabrique, il ment, il ne néglige rien ; en voici un exemple singulier.
 
Gibbon se trouvait à Lausanne fort tranquille en février et en mars 1785. C’est là un fait avéré de mille manières, prouvé, incontestables, et dont personne ne peut douter. Mirabeau, alors à Londres et connaissant Romilly, vient de lire les oeuvresœuvres de Gibbon, et veut exprimer son opinion critique sur cet historien. Ne pensez pas qu’il lui suffise, comme à tout le monde, de dire ce qu’il pense et de disserter. Non, il se met en scène, il suppose que Gibbon est à Londres, qu’il a dîné avec lui, qu’il a causé avec lui, et il écrit là-dessus à Romilly une lettre dans laquelle il pose comme une réaction cette comédie fantastique, se plaçant en attitude théâtrale vis-à-vis du pauvre Gibbon ; lettre tellement vraie en apparence, et d’un ton si dramatique dans sa fiction, que Romilly, qui avait des nouvelles certaines de Gibbon et de sa vie à Lausanne, ne sut absolument que faire d’un mensonge à la fois si grossier, si brutal et si peu utile. Voici la lettre :
 
::Londres, 15 mars.
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Ce grand avertissement ne découragea pas l’honnête Romilly, mais il se renferma dans le bonheur domestique et dans la mission qu’il s’était imposée, de réformer les lois anglaises. Plus tard, il vit la terrible usurpation du mensonge gagner et envahir l’Europe ; personne n’a mieux jugé la situation équivoque de la France eu 1815. « Paris offrait pendant mon séjour, dit Romilly, un spectacle fort extraordinaire : - une métropole en état de paix, et livrée à une armée étrangère; - un roi dépouillé de toute autorité, qui semblait spectateur indifférent et tranquille de ce qui se passait, tandis que des généraux étrangers affectaient de châtier son peuple, et prétendaient ainsi s’exprime lord Wellington dans sa lettre justificative, en faire un exemple pour le temps à venir; - des assemblées législatives croyant délibérer, pendant que les rues étaient remplies de baïonnettes , les canons postés au coin des quais, et les mèches allumées, pour qu’au premier signe de résistance les habitans écrasés sentissent le poids de leur désastre. - Au milieu de tout cela, les négociations du traité de paix continuèrent, traité qui évidemment ne sera rien autre chose que la volonté du vainqueur. »
 
Il ne quitta point les whigs et ne se confondit point avec les radicaux. Pas une bassesse, lias une faiblesse, pas une concession ne lui échappèrent et ne le flétrirent. Après avoir corrigé ou réformé plus de deux cents lois ou fragmens de lois antiques chargées de la rouille et de l’inhumanité des temps féodaux, il jouissait d’une popularité douce et d’une gloire sans mélange d’amertume, quand la mort de sa femme qu’il adorait le frappa au coeurcœur. Deux jours après il se tua. Dumont, le directeur de sa conscience politique, accourut de Genève et trouva plus que le cadavre de cet être excellent et si gracieusement vertueux. J’ai dit quel deuil unanime couvrit la Grande-Bretagne; le même peuple qui avait eu des hommages et des couronnes pour l’impudique Caroline, couvrit de larmes le tombeau de Romilly.
 
Le style anglais de Romilly est plein de charme et de simplicité. Le mol saxon n’y abonde pas, et une certaine tournure lente à la fois et exquise le rapproche du style français d’Arnauld d’Andilly et de Fénelon. Ce n’est point une chimère et une subtilité de philologue, d’affirmer que les races et les familles conservent plus long-temps qu’on ne le pense la tournure idiotique du langage paternel. La brève et oblique plaisanterie du chevalier Hamilton ne ressemble à rien de ce que notre langue si féconde en bonnes railleries peut offrir à l’observateur. C’est ''l’humour'' anglaise raffinée devenue élégante jusqu’à la recherche la plus délicate, et vous diriez une de ces sveltes beautés anglaises que Paris a dotées d’une grace plus que française, sans détruire l’empreinte fière et la transparence du sang saxon. La manière de Romilly est à la fois française et genevoise, sentimentale, épurée, exempte de longueurs et de redites, mieux ordonnée et mieux entendue dans sa disposition que la manière des écrivains britanniques ne l’est en général, jamais hasardée, jamais brutale, jamais emportée, mais aussi rarement pittoresque, hardie ou colorée. Il offre peu de ces expressions profondément teutoniques qui attaquent et sollicitent dans leur intimité toutes les fibres de la sensibilité anglaise, et qui font, pour les Anglais, de Byron, Southey ou Cobbett, les amis de la pensée et les frères du coeurcœur. Tel notre Montaigne, le plus Français des écrivains, est encore pour nous un dictionnaire, un modèle, une étude, un plaisir. Vous approchez de lui sans réserve et sans terreur, avec une familiarité pour ainsi dire voluptueuse; vous entendez de loin les sons d’une voix amie et gaie qui vous appelle.
 
L’histoire littéraire de la Grande-Bretagne contient, comme la nôtre, cinq ou six littératures diverses : la littérature anglo-saxonne pure, anglo-normande, anglo-italienne, anglo-française, et enfin britannique, c’est-à-dire mêlée de ces sources différentes avec prédominance de l’élément saxon ou teutonique. Cette dernière phase est incomparablement la plus belle ; elle comprend Chaucer, Shakspeare, Milton, Bacon, Byron, Scott, Fielding, Swift et De Foë. Romilly, écrivain agréable et pur, appartient à la sphère française qui se rattache à Pope et Adisson.
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Entre les XIXe et XVIIIe siècles se trouve un point fatal, et comme un grand pivot des destinées humaines. C’est là que le renouvellement s’annonce, renouvellement assuré, puisque la mort est toujours une porte vers la vie qui renaîtra. Il s’agit de changer toute la face et tout le fonds du monde social en Europe. Parmi les nations, celle qui a le plus grand besoin que les choses soient conservées et paisibles, c’est la grande commerçante ; elle est ruinée si le désordre dure. La nation, au contraire, qui a le plus vif désir et le plus grand besoin que tout soit changé, c’est la Gaule remuante, épuisée par ses gentilshommes énervés, plus humiliée encore que pauvre, et plus aigrie qu’humiliée. De là le combat. L’Angleterre et la France ne sont point des ennemies naturelles.
 
Dans le laps de temps occupé par la vie de Wilberforce, de Dundley et de Romilly, on voit s’agiter et se presser autour des whigs toute l’armée réformatrice de l’Angleterre ; réforme des idées, des lois, des moeursmœurs, des principes ; tribuns, orateurs, publicistes, jurisconsultes ; ceux-ci n’en voulant qu’aux abus des coutumes anciennes, ceux-là favorisant l’influence démocratique ; tous retenus par le contrôle public dans le cercle magique des institutions, et plaçant leurs batteries dans cette enceinte, jamais plus loin : - Hunt, qui parcourt l’Angleterre, traîné par ses chevaux blancs dans sa calèche blanche, pavoisée de faveurs blanches, et qui se présente à toutes les élections sans autre espoir que de conquérir 90 voix sur 5,000 ; - le fermier Cobbett, redoutable logicien populaire, le dialecticien de la colère, déclamateur sans emphase et l’un des plus puissans écrivains des temps modernes ; - Francis Burdett, le Lafayette de son pays, le gentilhomme de la liberté, immuable dans un monde qui change, et destiné à passer pour démagogue en 1790, pour aristocrate en 1820 ; - Wilberforce, qui touche aux deux partis extrêmes, au radicalisme par ses longs travaux en faveur des noirs, au torysme par sa fidélité envers William Pitt ; - Parr, Jérémie Bentham, Samuel Romilly ; - l’ardent Brougham, qui travaille douze heures par jour, avocat, journaliste, savant, homme politique, polémiste, homme de lettres, compromettant les siens par la véhémence de son action, singulier et puissant esprit qui s’enflamme par son mouvement, et auquel il ne manque qu’un vice, l’amour du loisir. Ainsi tout se mêle avec une merveilleuse et mystérieuse singularité sur la scène de la vie humaine. Les diversités du caractère se combinent avec les variétés des situations, des temps et des climats, et sur un tissu commun les accidens de l’ombre et de la lumière se multiplient à l’infini.
 
On est saisi d’une tristesse involontaire quand on voit accumulés devant soi les douze ou quinze volumes de Mémoires qui contiennent les débris et les fragmens de ces désirs, de ces travaux et de ces soins souvent stériles quand on réfléchit que ce furent là, tout bien compté, quelques-uns des plus nobles et des meilleurs parmi ceux qui nous ont précédés, quand on pense enfin que peu de caractères aussi purs vivent encore aujourd’hui. Ils ont eu foi à l’avenir, et l’avenir les trompait; que d’erreurs honorables et que d’efforts perdus ! Desservans fidèles de leur religion philosophique ou morale, ils ont été sincères nobles et dévoués. Ils ont professé le culte du vrai, du bon et du beau. L’Angleterre n’a point refusé à ces rêveurs la couronne populaire; elle a consacré leur souvenir avec amour. Pour nous, en France, notre vie constitutionnelle est tellement active, violente et en dehors, qu’elle ne semble point admettre de telles pensées; mais n’aurions-nous point par hasard gâté et corrompu le mode politique que nous avons emprunté à nos voisins? Nos voisins eux-mêmes, s’ils cèdent à l’impulsion générale de l’Europe et du temps, ne courent-ils pas risque d’altérer cette puissante et magnifique machine politique des Chatham et des Fox, des Burke et des Wyndham, des Pitt et des Canning?