« Wilberforce, Romilly et Dudley » : différence entre les versions
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Il est impossible de comparer lord Dudley à Wilberforce et Romilly. Excellent écrivain dans un cadre étroit, ingénieux critique, orateur élégant et précis, sans fécondité et sans puissance sur les masses, d’un goût raffiné jusqu’au dédain, et d’une défiance de soi-même qui ne lui permit jamais de conduire les hommes et de gouverner, il a été singulièrement exalté par les habiles rédacteurs du ''Quaterly Review'', dont il était un des collaborateurs les plus utiles. Ami de Canning, il le suivit dans toutes les évolutions de sa fortune, et fut créé par lui lord Dudley en 1827. son nom était Ward, fils du troisième vicomte Dudley et Ward, nom roturier qui lui déplaisait singulièrement; c’était une des épines de sa vie, car ce pair d’Angleterre, auquel rien n’avait manqué jamais, était parvenu à se créer d’innombrables douleurs, chimères qui tuèrent sa raison.
C’est par ce raffinement douloureux et extrême qu’il appartient à l’histoire des
Lord Dudley était fait pour une autre place dans la vie. Il la désira et ne put jamais la conquérir. Il suivit pas à pas son ami Canning et servit le mouvement singulier de liberté au dehors, de répression au dedans, qui caractérisait sa politique. Ses lettres, que l’on vient de publier, attestent les cruelles entraves dont la jeunesse de son esprit avait été surchargée et comme écrasée. C’est une phrase qui tremble de s’élancer, un style contraint dans son élégance, une grace formaliste, un défaut de verve et de naïveté qui oppressent le lecteur. Comme orateur, il devait produire peu d’effet et en produisit peu. Lord Byron, dont on n’a pas assez apprécié ni assez loué la prose, ébloui que l’on état par ses beaux vers, définit admirablement le talent de Ward; « étudié, brillant, élégant, quelquefois piquant. » Qualités inutiles dans une assemblée publique, mais qui se déployèrent avec beaucoup d’éclat dans la ''Revue'' que nous avons citée, et qui, selon la coutume anglaise, lui a consacré, après sa mort, le lus gracieux des panégyriques.
Jamais ce cerveau comprimé et énervé dès l’enfance ne put recouvrer son énergie; la distraction, la morosité, la rêverie, l’habitude d’une mélancolie sans cause et sans fin, plongèrent Dudley dans un état de langueur auquel tout l’art des médecins et l’emploi de sa fortune ne purent l’arracher. Telle avait été l’influence, ou plutôt la tyrannie de cette éducation, que cet homme de goût ne put jamais ni être ému par la musique, ni admirer un tableau. Il avait assez de sens pour confesser hautement son impuissance. « Ce que l’on appelle beaux-arts, dit-il dans une de ses lettres, est absolument invisible pour moi. Une statue ne me cause aucun plaisir; une peinture ne m’en fait guère. Si j’essaie d’admirer, cette admiration tombe à faux, ce qui est décourageant pour tout admirateur. Je n’y comprends rien, et je suis tenté de croire que la plupart des hommes sont comme moi, mais qu’ils ne le disent pas tout haut. » Rien de plus tragique et de plus triste que les dernières lettres de cet homme aimable, sacrifié à de pédantesques théories et à de folles espérances de perfection. Rien ne lui faisait défaut, ni l’amitié, ni la fortune, ni le rang, ni le talent, ni même la renommée. Seulement il s’affaissait sur lui-même et se repliait comme ces feuilles d’arbre trop minces qui se roulent et se resserrent à l‘ardeur du soleil ou au souffle de l’air. Il se mourait de l’impossibilité morale de vivre. Aucun malheur, aucune passion, point d’affaiblissement causé par l’excès ou du travail ou du plaisir. « Je suis, écrit-il à son ami l’évêque de Llandaff, en proie à des sentimens qui me torturent. C’est en vain que ma raison me dit que mes idées sont exagérées. Anxiété, - regret du passé, - terreur de l’avenir, - m’ont saisi comme une victime. Je redoute la solitude, je ne suis pas propre à la société, et toutes les erreurs que j’ai pu commettre dans le cours de ma vie se dressent et restent debout devant moi. Je suis honteux de ce que je ressens, lorsque je viens à penser à la prospérité dont je jouis. Mais il me semble que j’ai été tout à coup transporté dans quelque région horrible, au-delà des limites du bien-être et de la raison. » Ces lignes représentent et dépeignent avec une admirable netteté la désorganisation de cet esprit cultivé, qui se voyait périr sous sa culture même. Ceci est plus curieux encore : « J’attends W. R., qui souffre du même mal que moi. La mélancolie sombre qui pèse sur lui aussi lourdement que sur moi-même ne l’empêche pas d’être un convive très aimable. J’attends ce tête à tête avec satisfaction et plaisir. » Une première fois il échappa au démon qui le poursuivait : plus tard les attaques se renouvelèrent, et il succomba en juillet 1833, après un an de retraite forcée sous le poids d’une aliénation mentale. Ses lettres, ses discours et ses articles, que l’on recueillera sans doute,
Parmi les courans d’opinions et de pensées qu’on a presque toujours négligé d’analyser et de porter en compte lorsqu’on s’est occupé de l’histoire des peuples, nul n’était, en Angleterre, plus populaire et plus puissant, au commencement de ce siècle, que la dévotion puritaine, piété mélancolique et profonde, devenue passion et besoin pour des caractères graves ou timides, et subdivisée en mille fractions de sectes, hostiles quant au dogme, analogues quant à l’esprit. Depuis les prédications de John Knox, cette veine profonde et tragique n’avait point tari ; on l’avait retrouvée chez les partisans de la communauté (''commonwealth''), chez Milton, Daniel de Foë, le quaker William Penn, le chaudronnier-poète Bunyan, le courageux prédicateur Baxter, et le romancier Richardson. Nul penchant intellectuel n’avait plus de prise sur le caractère anglais, sur les masses comme sur l’homme isolé, sur les gens du monde comme sur les pauvres. La terreur de Pascal, voyant son ame suspendue entre les deux gouffres d’un passé inconnu et d’un avenir inconnu, sur le point fragile d’un présent incertain, est un sentiment vulgaire dans ce pays où les intelligences les moins raffinées se sentent quelquefois saisies d’un effroi sans pareil en face de leur propre existence. A mesure que les grandes destinées de cette société commerçante et colonisatrice se développaient, ce génie mélancolique, bienfaisant et pieux, ce culte triste et dévoué des bonnes pensées et des bonnes
Wilberforce servit donc d’expression politique et d’organe actif à tout le puritanisme anglais. Autour de lui vinrent se placer, à lui seul aboutirent comme à un centre les ames tendres, les esprits méditatifs et scrupuleux, les hommes dont la rêverie pieuse n’osait pas essayer la vie publique.
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Il correspond avec l’ami intime et le protecteur de William Cowper, avec John Newton, et l’on voit ainsi, dans ses lettres, tout un groupe social, l’orateur, le prêtre, le poète, apparaître avec sa vie et son mouvement propre. C’est ce John Newton qui écrit à Wilberforce, dans un style qui rappelle la simplicité élégiaque de Cowper : « Au moment même où je tiens la plume, on accorde là-haut un clavecin qui ne m’amuse guère et ne favorise point ma pensée. Au surplus, il me semble que je suis ce clavecin : combien fréquemment faut-il m’accorder, et comme il est facile de déranger cette harmonie si difficile à établir ! Mon imagination surtout est un instrument dont je ne dispose guère. Quelquefois l’influence est bonne, et me voilà heureux; mais bien souvent un mauvais génie prend la clé et tourne les vis:alors je souffre le martyre. C’est une confusion, une discordance, un chaos de sons effroyables, et comment y échapper? Je ne puis me boucher les oreilles, puisque ce concert maudit est dans mon sein. »
Rien de plus éloquent que ce John Newton, le confident, le consolateur et le guide religieux de Cowper; poète qui s’ignore lui-même, sa correspondance est remplie de traits délicieux qui attestent la tolérance véritable et la philosophie sincère de cet esprit distingué. « Envoyer des missionnaires aux îles ''Pélion''! dit-il quelque part, chez un peuple si doux et si naïf! Je désire que nos Européens laissent les Péleïens tranquilles, et que ces derniers n’aient d’autre occasion de voir nos concitoyens que pour donner, comme ils l’ont déjà fait, une hospitalité généreuse à quelques naufragés. Mais si nous nous établissons dans leurs îles avec la contagion de nos besoins, de nos vices et de nos fléaux, ils sont perdus ! » On voit que le calviniste Newton, son ami Cowper et Wilberforce touchaient sans le savoir aux doctrines de Jean-Jacques Rousseau. Voici comment Newton parle de la révolution française en 1796 : « La main de Dieu est sur le monde. Nuages et foudres s’accumulent autour de son trône; il marche, mais nous ne le voyons pas. Ses desseins sont grands et évidens, mais ils sont obscurs. Il a envoyé devant lui ses serviteurs, qui balaient la place et font disparaître les immondices: tâche ignoble et dure que Dieu a réservée à des natures terribles; un grand seigneur ne charge pas ses enfans de nettoyer ses écuries. L’Europe aujourd’hui n’est qu’une vaste étable d’Augias, On est
Il avait très bien saisi et compris la situation de son ami Wilberforce : « Vous n’êtes pas, lui disait-il, le représentant du comté d’York; vous êtes le représentant du Seigneur dans un lieu où beaucoup de gens ne le connaissent pas. » - Sous le rapport de la politique même, c’est un grand avantage que cette représentation des intérêts moraux qui préoccupent et animent une masse d’hommes. L’unique soin des intérêts matériels et la représentation matérielle ne produiront jamais des résultats équivalens. Qui donc écrit les lignes suivantes? Est-ce un père de l’église, un casuiste, un moraliste élégiaque? Sont-elle tracées par de ces mains ascétiques que le pinceau de Zurbaran croise sur des poitrines desséchées? « Le vain tumulte du monde politique ne fait naître chez moi qu’un sourire, et j’ai pitié des pauvres êtres qui estiment assez haut ses joujoux pour les emporter précieusement comme des trésors impérissables et réels. Quant à moi, j’aspire à une possession plus vraie, plus substantielle et plus durable. » Un homme politique, Wilberforce, a semé ses lettres confidentielles de pareils aveux et de semblables sermons. On y voit combien les hommes les plus éclairés de L’Angleterre redoutaient Bonaparte et craignaient l’avenir.
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La séduction opérée par Bonaparte s’étendait jusqu’à Wilberforce lui-même. « Rien ne m’a plus profondément convaincu, dit-il, de la puissance extraordinaire dont Bonaparte a été doué par Dieu même, qu’un trait spécial de son caractère : il séduit et gagne des hommes d’une supériorité reconnue dans des carrières diverses, les attache à sa cause et le fait servir à ses desseins. Ce pouvoir de faire graviter vers soi les esprits (que cette expression me soit permise) est absolument indispensable à quiconque veut se constituer centre d’un système. Sans cela, tout serait confusion. C’est la preuve infaillible du grand génie. Je dois avouer avec franchise que chez Bonaparte cela me surprend d’autant plus, que, dans certaines occasions, il a paru, et spécialement en Egypte, se conduire d’une manière peu convenable, je ne dis pas à un homme honnête, mais à un homme fort. »
Wilberforce voulut toujours le bien et ne l’accomplit pas toujours. L’abolition de la traite des noirs est sa grande
Il ne manquait point d’habileté; pendant toute sa vie, il conserva l’appui de William Pitt. William Pitt n’était pas seulement un ministre, mais le défenseur de la nation : le levier de sa politique s’appuyait sur l’intérêt et sur la richesse, sur la puissance et sur la vie de la Grande-Bretagne. Il fit mouvoir ce levier avec une persévérance de calcul et une intrépidité de coup-d’oeil sans égales. Fox s’armait des influences étrangères; son parti était donc plus faible, et moins national, quoique pins populaire.
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Le mouvement révolutionnaire était donc plutôt superficiel et de parade que profond, sincère et national. Peu à peu les années détachèrent des opinions étrangères les plus brillans et les moins solides de leurs partisans: Mackintosh, Erskine, Southey. Cobbett, qui avait pris position sur le terrain national, resta debout à la même place, et ce fut lui, sans aucun doute, qui précipita le plus efficacement les esprits vers les réformes que nous avons vu s’accomplir. Payne proposait pour modèle l’Amérique, Mackintosh la France, Erskine et Tooke les anciennes républiques; Romilly proposa Genève.
C’était un avantage pour ce dernier de se trouver porté par un groupe beaucoup plus calviniste que français. Pour la moralité stricte et douce, le culte des, vertus privées, l’amour des lois et celui du progrès, le respect de l’industrie et de l’argent, la distribution économique et féconde des heures et du travail, il y a plus d’une analogie entre les deux nations, soumises aux mêmes habitudes et à la même éducation religieuse. Aussi, profitant de cette situation heureuse, allié aux violons réformateurs du continent sans partager leurs goûts, leurs prétentions, leurs systèmes et leurs fautes; touchant à Mirabeau par Dumont, et aux puritains d’Angleterre par les idées, les
La douceur de l’ame jointe à la persévérance de la conduite a fait de Romilly du phénomène moral. C’était un Genevois et un Anglais, un philantrope et un homme pratique, sir Charles Grandisson dans la vie politique; c’était l’union singulière de la pratique et de la rêverie, l’esprit des affaires devenu poésie; une sensibilité aiguisée jusqu’à la finesse la plus maladive, un désir de l’idéal sans cesse aux prises avec les réalités, mais sachant les subir.
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Une austérité élégiaque et une sorte de suavité triste règnent sur toute la famille protestante, occupée d’intérêt élevés et mêlée plus tard à l’aristocratie de naissance et de fortune. On est ému de respect et d’attendrissement quand on pénètre dans cet intérieur plein de calme, de dignité douce, d’activité réglée, de devoirs silencieux, accomplis avec un zèle charmant et pour ainsi dire avec une volupté méditative. Ce raffinement du beau et du bon, cette élégance d’artiste portée dans la vie privée, cette simplicité acquise et voulue, composent un caractère spécial, qui n’est pas absolument anglais, mais qui se fond et se lit admirablement aux nuances anglaises, et qui se rapporte, comme à sa source, au calvinisme adouci de Genève moderne et aux scrupules des familles françaises réfugiées. La philosophie pénétrante d’Ancillon, le labeur spirituel et minutieux de Bayle, l’esprit microscopique de Saint-Evremont, l’analyse sentimentale de Jean-Jacques, touchent par divers points à ce même génie anglo-genevois, qui n’est ni sans grandeur, ni sans grace, ni sans danger, et dont Romilly est l’une des expressions modernes les plus aimables.
Il faut l’entendre décrire ses joies domestiques. « Notre nouvelle résidence, dit-il, était située dans High-Street, sur la limite de Mary-Lebone et de Londres, qui commençait à envahir les villages voisins. A voir cette petite maison brune, ses deux fenêtres de front, sa physionomie étriquée, son petit carré de terre, anobli du titre splendide de jardin, vous eussiez conçu de ses habitans et de leurs plaisirs, comme de leur élégance, une assez misérable idée. Mais il fallait se mêler à notre famille, et y porter un
Dans cet intérieur que nous avons laissé Romilly décrire avec une si touchante simplicité, d’autres personnages venaient se placer ; un ministre genevois, Roget, ami de la maison, enthousiaste sincère de Jean-Jacques Rousseau; la fille, bonne musicienne, instruite et naïve ; un jeune commis qui avait de l’aisance, l’associé et le plénipotentiaire du joaillier plutôt que son commis. Vous vous rappelez ce beau personnage anglais d’un roman moderne, Ralph, et sa patience, et son amour, et son silence, ce silence et cet amour dont quelques critiques ont douté. Eh bien! Greenway, le commis de Romilly père, debout devant le foyer, caressant les longues oreilles du chien de la famille, et écoutant la jeune fille qui chante, assise devant son vieux clavecin noir, c’est Ralph tout entier; on ne sait en vérité si George Sand a vaincu la réalité, ou si la réalité s’est élevée seule au-dessus de ce magnifique talent.
Greenway avait vingt-quatre ans, sa taille était noble, son
Ainsi prédisposé par son naturel même à l’exercice des vertus délicates, la lecture de ce mauvais éloge que l’emphatique Thomas a consacré à d’Aguesseau décida Romilly en faveur de la jurisprudence ; il donna toute sa vie à cette étude, si difficile en Angleterre. Deux Genevois, Roget, son beau-frère, et Dumont, l’ami de Mirabeau, augmentèrent et perfectionnèrent les influences déjà reçues; Roget lui communiqua sa philantropie exaltée et libérale; Dumont, plus sensé et plus utile, dirigea vers la pratique sérieuse toutes les facultés honnêtes et courageuses de son ami. Bientôt ses voyages à Genève et en France le mêlèrent à la société des Clavière, des Necker, des Mirabeau, des Chamfort, et il prit part, dès les premiers jours de sa jeunesse, à ces brillantes et joyeuses espérances d’une régénération universelle. Il fut bien un peu surpris quand il vit de près les philosophes; Mirabeau surtout l’effaroucha.
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Mirabeau invente des histoires pour se mettre en scène ; il fait mille contes, il parle tour à tour en style d’Artaban ou de Saint-Preux, il imagine des romans. On ne le croit pas, on ne l’estime pas, et ce qui lui manque avant tout, c’est la vérité ; mais il passe comme une trombe, il possède une éloquence naturelle et immense ; il brise tout, il emporte tout sur sa route. Dès qu’il veut prouver ou affirmer un fait, ou soutenir un argument, rien ne l’épouvante ; il fabrique, il ment, il ne néglige rien ; en voici un exemple singulier.
Gibbon se trouvait à Lausanne fort tranquille en février et en mars 1785. C’est là un fait avéré de mille manières, prouvé, incontestables, et dont personne ne peut douter. Mirabeau, alors à Londres et connaissant Romilly, vient de lire les
::Londres, 15 mars.
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Ce grand avertissement ne découragea pas l’honnête Romilly, mais il se renferma dans le bonheur domestique et dans la mission qu’il s’était imposée, de réformer les lois anglaises. Plus tard, il vit la terrible usurpation du mensonge gagner et envahir l’Europe ; personne n’a mieux jugé la situation équivoque de la France eu 1815. « Paris offrait pendant mon séjour, dit Romilly, un spectacle fort extraordinaire : - une métropole en état de paix, et livrée à une armée étrangère; - un roi dépouillé de toute autorité, qui semblait spectateur indifférent et tranquille de ce qui se passait, tandis que des généraux étrangers affectaient de châtier son peuple, et prétendaient ainsi s’exprime lord Wellington dans sa lettre justificative, en faire un exemple pour le temps à venir; - des assemblées législatives croyant délibérer, pendant que les rues étaient remplies de baïonnettes , les canons postés au coin des quais, et les mèches allumées, pour qu’au premier signe de résistance les habitans écrasés sentissent le poids de leur désastre. - Au milieu de tout cela, les négociations du traité de paix continuèrent, traité qui évidemment ne sera rien autre chose que la volonté du vainqueur. »
Il ne quitta point les whigs et ne se confondit point avec les radicaux. Pas une bassesse, lias une faiblesse, pas une concession ne lui échappèrent et ne le flétrirent. Après avoir corrigé ou réformé plus de deux cents lois ou fragmens de lois antiques chargées de la rouille et de l’inhumanité des temps féodaux, il jouissait d’une popularité douce et d’une gloire sans mélange d’amertume, quand la mort de sa femme qu’il adorait le frappa au
Le style anglais de Romilly est plein de charme et de simplicité. Le mol saxon n’y abonde pas, et une certaine tournure lente à la fois et exquise le rapproche du style français d’Arnauld d’Andilly et de Fénelon. Ce n’est point une chimère et une subtilité de philologue, d’affirmer que les races et les familles conservent plus long-temps qu’on ne le pense la tournure idiotique du langage paternel. La brève et oblique plaisanterie du chevalier Hamilton ne ressemble à rien de ce que notre langue si féconde en bonnes railleries peut offrir à l’observateur. C’est ''l’humour'' anglaise raffinée devenue élégante jusqu’à la recherche la plus délicate, et vous diriez une de ces sveltes beautés anglaises que Paris a dotées d’une grace plus que française, sans détruire l’empreinte fière et la transparence du sang saxon. La manière de Romilly est à la fois française et genevoise, sentimentale, épurée, exempte de longueurs et de redites, mieux ordonnée et mieux entendue dans sa disposition que la manière des écrivains britanniques ne l’est en général, jamais hasardée, jamais brutale, jamais emportée, mais aussi rarement pittoresque, hardie ou colorée. Il offre peu de ces expressions profondément teutoniques qui attaquent et sollicitent dans leur intimité toutes les fibres de la sensibilité anglaise, et qui font, pour les Anglais, de Byron, Southey ou Cobbett, les amis de la pensée et les frères du
L’histoire littéraire de la Grande-Bretagne contient, comme la nôtre, cinq ou six littératures diverses : la littérature anglo-saxonne pure, anglo-normande, anglo-italienne, anglo-française, et enfin britannique, c’est-à-dire mêlée de ces sources différentes avec prédominance de l’élément saxon ou teutonique. Cette dernière phase est incomparablement la plus belle ; elle comprend Chaucer, Shakspeare, Milton, Bacon, Byron, Scott, Fielding, Swift et De Foë. Romilly, écrivain agréable et pur, appartient à la sphère française qui se rattache à Pope et Adisson.
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Entre les XIXe et XVIIIe siècles se trouve un point fatal, et comme un grand pivot des destinées humaines. C’est là que le renouvellement s’annonce, renouvellement assuré, puisque la mort est toujours une porte vers la vie qui renaîtra. Il s’agit de changer toute la face et tout le fonds du monde social en Europe. Parmi les nations, celle qui a le plus grand besoin que les choses soient conservées et paisibles, c’est la grande commerçante ; elle est ruinée si le désordre dure. La nation, au contraire, qui a le plus vif désir et le plus grand besoin que tout soit changé, c’est la Gaule remuante, épuisée par ses gentilshommes énervés, plus humiliée encore que pauvre, et plus aigrie qu’humiliée. De là le combat. L’Angleterre et la France ne sont point des ennemies naturelles.
Dans le laps de temps occupé par la vie de Wilberforce, de Dundley et de Romilly, on voit s’agiter et se presser autour des whigs toute l’armée réformatrice de l’Angleterre ; réforme des idées, des lois, des
On est saisi d’une tristesse involontaire quand on voit accumulés devant soi les douze ou quinze volumes de Mémoires qui contiennent les débris et les fragmens de ces désirs, de ces travaux et de ces soins souvent stériles quand on réfléchit que ce furent là, tout bien compté, quelques-uns des plus nobles et des meilleurs parmi ceux qui nous ont précédés, quand on pense enfin que peu de caractères aussi purs vivent encore aujourd’hui. Ils ont eu foi à l’avenir, et l’avenir les trompait; que d’erreurs honorables et que d’efforts perdus ! Desservans fidèles de leur religion philosophique ou morale, ils ont été sincères nobles et dévoués. Ils ont professé le culte du vrai, du bon et du beau. L’Angleterre n’a point refusé à ces rêveurs la couronne populaire; elle a consacré leur souvenir avec amour. Pour nous, en France, notre vie constitutionnelle est tellement active, violente et en dehors, qu’elle ne semble point admettre de telles pensées; mais n’aurions-nous point par hasard gâté et corrompu le mode politique que nous avons emprunté à nos voisins? Nos voisins eux-mêmes, s’ils cèdent à l’impulsion générale de l’Europe et du temps, ne courent-ils pas risque d’altérer cette puissante et magnifique machine politique des Chatham et des Fox, des Burke et des Wyndham, des Pitt et des Canning?
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