« Les Vies des hommes illustres/Vie de Thésée » : différence entre les versions

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VI. Éthra cachait toujours avec soin la véritable origine de Thésée, et Pitthée faisait courir le bruit qu'il était fils de Poséidon. Les Trézéniens honorent singulièrement ce dieu, qu'ils regardent comme le protecteur de leur ville ; ils lui consacrent les prémices de leurs fruits, et ont fait de son trident la marque de leur monnaie. Mais lorsque Thésée, parvenu à l'adolescence, eut montré qu'à la force du corps, au courage et à la grandeur d'âme, il joignait la sagesse et la prudence, Éthra, le menant au lieu où était la pierre, lui découvre le secret de sa naissance, lui ordonne de tirer les signes que son père y avait déposés, et de se rendre par mer auprès de lui à Athènes. Thésée leva facilement la pierre ; mais, malgré les instances de sa mère et de son aïeul, il refusa de s'embarquer, quoique la route par mer fût la plus sûre. Il était dangereux d'aller par terre à Athènes ; les chemins étaient infestés par des voleurs et des brigands. Ce siècle produisait des hommes infatigables dans les travaux, supérieurs à tous les autres par leur activité, leur vitesse et leur force ; mais au lieu d'employer ces qualités naturelles à des fins honnêtes et utiles, ils ne se plaisaient que dans les outrages et les violences ; ils n'ambitionnaient d'autres fruits de cette supériorité que d'assouvir leur cruauté, que de tout soumettre, de forcer et de détruire tout ce qui tombait entre leurs mains. Persuadés que la plupart des hommes ne louent la pudeur, l'égalité, la justice et l'humanité, que parce qu'ils n'ont pas la hardiesse de commettre des injustices ou qu'ils craignent d'en éprouver, ils croyaient que toutes ces vertus n'étaient pas faites pour ceux qui avaient la force en main. Héraclès, dans ses courses, avait exterminé une partie de ces brigands ; les autres, saisis d'épouvante à son approche, s'enfuyaient devant lui et n'osaient paraître pendant qu'il était près d'eux. Ce héros, les voyant abattus, négligea de les poursuivre. Lorsqu'il eut eu le malheur de tuer Iphitos, il se retira en Lydie, où il fut longtemps esclave d'Omphale ; servitude qu'il s'était imposée lui-même en punition de ce meurtre.
Tant qu'elle dura, la Lydie fut dans une pleine sûreté et jouit de la paix la plus profonde ; mais dans les contrées de la Grèce on vit les brigandages renaître, et les scélérats se répandre de tous côtés ; personne ne pouvait plus les réprimer ni s'opposer à leurs violences. Les chemins de terre du Péloponnèse à Athènes étaient donc très dangereux ; et Pitthée, pour persuader Thésée de faire le voyage par mer, lui nommait chacun de ces brigands, et lui racontait les traitements cruels qu'ils faisaient souffrir aux étrangers.
Mais depuis longtemps la gloire et la vertu d'Héraclès avaient secrètement enflammé le coeurcœur de Thésée ; plein d'estime pour ce héros, il écoutait avec le plus vif intérêt ceux qui lui en parlaient, qui le lui dépeignaient, surtout ceux qui l'avaient vu et entendu, qui avaient été les témoins de ses exploits. On voyait alors sensiblement en lui ces vives impressions que Thémistocle éprouva plusieurs siècles après, et qui lui faisaient dire que les trophées de Miltiade l'empêchaient de dormir. De même Thésée, admirant le courage d'Héraclès, rêvait la nuit aux exploits de ce héros ; pendant le jour, il se sentait piqué d'une noble émulation, et brûlait du désir de les imiter.
 
VII. Il en avait un nouveau motif dans sa parenté avec lui ; ils étaient fils de deux cousines germaines : Éthra était fille de Pitthée ; Alcmène avait pour mère Lysidice, soeursœur de Pitthée, née comme lui de Pélops et d'Hippodamie. C'eût été donc pour lui un déshonneur insupportable si, pendant qu'Héraclès cherchait partout les brigands pour en purger la terre et les mers, lui au contraire il eût évité les combats qui se présentaient ; s'il eût fait honte, par cette fuite maritime, au dieu que l'opinion publique lui donnait pour père ; et si, au lieu de faire reconnaître tout de suite par de grands exploits la noblesse de son origine, il n'eût porté à son véritable père d'autres signes de sa naissance que des souliers, et une épée qui n'aurait pas encore été rougie de sang. Plein de ces généreux sentiments, il part avec la ferme résolution de n'attaquer personne, mais de repousser vigoureusement ceux qui voudraient lui faire violence.
 
VIII. Comme il traversait le territoire d'Épidaure, un brigand nommé Périphétès, armé ordinairement d'une massue, ce qui lui avait fait donner le surnom de Corynètès, l'arrêta, et voulut l'empêcher de passer. Thésée le combattit et le tua. Charmé d'avoir gagné sa massue, il la porta toujours depuis, comme Héraclès portait la peau du lion de Némée. Cette dépouille faisait connaître quel énorme animal Héraclès avait tué ; et Thésée, en portant cette massue, faisait voir qu'il avait pu la prendre à un autre, mais qu'elle serait imprenable dans ses mains. De là étant passé à l'isthme de Corinthe, il fit, périr Sinis par le même supplice que ce brigand faisait souffrir aux passants ; non que Thésée eût jamais appris ou exercé de pareilles cruautés, mais il voulait montrer que la vertu est toujours supérieure à l'art même le plus exercé. Sinis avait une fille grande et belle, nommée Périgouné, qui, voyant son père mort, avait pris la fuite. Thésée la cherchait de tous côtés dans un bois épais, rempli d'épines et d'asperges sauvages, où elle s'était jetée. Elle adressait la parole à ces plantes avec une simplicité d'enfant, comme si elles eussent pu l'entendre ; et, les conjurant de la dérober à la vue de Thésée, elle leur promettait avec serment, si elles lui sauvaient la vie, de ne jamais les couper ni les brûler. Cependant Thésée l'appelait à haute voix, et lui donnait sa parole qu'il ne lui ferait aucun mal, et qu'il la traiterait bien. Rassurée par ses promesses, elle sortit du bois et alla le trouver. Thésée eut d'elle un fils qu'il nomma Mélanippe. Dans la suite, Thésée maria Périgouné à Déionée, fils d'Eurytos, roi d'Oechalie. De Mélanippe naquit Ioxos, qui, avec Ornythos, alla fonder une colonie en Carie, et fut le chef des Ioxides, qui depuis ont conservé l'usage de ne point brûler les épines ni les asperges sauvages ; ils les honorent même et leur rendent une sorte de culte.
 
IX. Il y avait à Crommyon une laie nommée Phaïa, animal dangereux et plein de courage ; elle n'était pas aisée à vaincre. Thésée, pour ne pas paraître ne rien faire que par nécessité, l'attendit, et la tua chemin faisant. Il croyait d'ailleurs qu'un homme de coeurcœur ne doit combattre les méchants que pour repousser leurs attaques ; mais qu'il doit provoquer les animaux courageux, et s'exposer pour les combattre. On a dit aussi que cette Phaïa était une femme prostituée, qui vivait de brigandages, et habitait à Crommyon ; qu'on lui avait donné le nom de laie à cause de ses moeursmœurs et du genre de vie qu'elle menait, et que Thésée la fit mourir.
 
X. Sur les confins de Mégare, il donna la mort à Sciron en le précipitant du haut d'un rocher dans la mer. Suivant l'opinion la plus reçue, ce brigand pillait les étrangers ; selon d'autres, il portait l'orgueil et l'insolence jusqu'à les forcer à lui laver les pieds ; et pendant qu'ils le faisaient, il les poussait d'un coup de pied dans les flots. Les historiens de Mégare s'élèvent contre cette tradition ; et, attaquant, selon l'expression de Simonide, la longue autorité des temps, ils disent que Sciron ne fut ni un brigand ni un scélérat ; qu'il avait, au contraire, déclaré la guerre aux méchants ; et se montrait le protecteur et l'ami des hommes justes et vertueux. Éaque, ajoutent-ils, passe pour l'homme le plus saint de la Grèce ; Cychréos de Salamine reçoit à Athènes les honneurs divins ; la vertu de Pélée et de Télamon n'est ignorée de personne. Or Sciron fut gendre de Cychréos, beau-père d'Éaque et grand-père de Pélée et de Télamon, nés tous d'Endéis, fille de Sciron et de Chariclo. Est-il vraisemblable que les personnages les plus vertueux se soient alliés au plus méchant des hommes ; qu'ils aient voulu lui donner et recevoir de lui ce que les hommes ont de plus cher et de plus précieux ? Ces mêmes historiens disent encore que Thésée ne tua pas Sciron à son premier voyage d'Athènes, mais longtemps après, lorsqu'il s'empara d'Éleusis, occupée alors par les Mégariens, et qu'il en chassa Dioclès, qui y commandait. Telles sont sur ce fait les contradictions des historiens.
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a dit Euripide.
 
XVI. Mais, suivant Philochore, les Crétois ne conviennent pas de ce fait. Ils disent que le labyrinthe était une prison où l'on n'avait d'autre mal que d'être si bien gardé qu'il était impossible de s'en échapper. Minos, ajoutent-ils, avait institué, en l'honneur de son fils, des combats gymniques, où les vainqueurs recevaient pour prix les enfants qui étaient détenus dans ce labyrinthe. Le premier qui remporta le prix fut un des plus grands seigneurs de la cour, général des armées de Minos. Il se nommait Tauros. C'était un homme de moeursmœurs dures et farouches, qui traitait avec beaucoup d'insolence et de cruauté ces jeunes Athéniens. Aristote, dans sa Constitution des Bottiéens, ne croit pas non plus que ces enfants fussent mis à mort par Minos, mais qu'ils vivaient en Crète du travail de leurs mains, et vieillissaient dans l'esclavage. Il raconte que, dans des siècles très éloignés, les Crétois, pour acquitter un ancien voeuvœu, envoyèrent à Delphes leurs premiers-nés ; que, les descendants des prisonniers athéniens, s'étant joints à cette troupe, sortirent de Crète avec eux, et n'ayant pas trouvé à Delphes de quoi subsister, ils passèrent en Italie et s'établirent dans la Pouille ; qu'ensuite, retournant sur leurs pas, ils allèrent en Thrace, où ils prirent le nom de Bottiéens. De là vient que leurs filles, dans un sacrifice qui est en usage parmi eux, ont coutume de terminer leurs chants par ce refrain : " Allons à Athènes. " Au reste cela fait voir combien il est dangereux de s'attirer la haine d'une ville dont la langue est cultivée, et où les Muses sont en honneur, car Minos a toujours été depuis décrié sur les théâtres d'Athènes. Hésiode a beau l'appeler le plus grand des rois, et Homère dire de lui qu'il conversait familièrement avec Zeus : les poètes tragiques ont prévalu, et, du haut de leur théâtre, ils ont fait pleuvoir sur lui l'opprobre et l'infamie ; ils l'ont fait passer pour un homme dur et violent, quoiqu'on dise communément que Minos est le roi, le législateur des enfers et que Rhadamanthe n'est que le juge chargé d'exécuter les lois que Minos prescrit.
 
XVII. Lorsque le temps de payer le troisième tribut arriva, et que les pères qui avaient des enfants encore jeunes furent obligés de les faire tirer au sort, Égée se vit de nouveau en butte aux murmures et aux plaintes des Athéniens. Il était seul, disaient-ils, la cause de tout le mal, et seul il n'avait aucune part à la punition ; il faisait passer sa couronne à un étranger, à un bâtard, et les voyait avec indifférence privés de leurs enfants légitimes. Thésée, touché de ces plaintes, et trouvant juste de partager la fortune des autres citoyens, s'offrit volontairement pour aller en Crète, sans tirer au sort. Les Athéniens admirèrent sa grandeur d'âme, et cette popularité leur inspira la plus vive affection pour lui. Égée, au contraire, employa les prières et les instances les plus fortes pour l'en détourner ; mais le voyant inébranlable et inflexible à tout, il désigna les autres enfants par la voie du sort. Cependant, s'il faut en croire Hellanicos, ces enfants n'étaient pas pris ainsi ; Minos lui-même venait les choisir ; et cette fois il prit Thésée le premier de tous, aux conditions que les Athéniens fourniraient le vaisseau de transport, que les enfants qui s'embarqueraient avec lui n'auraient aucune arme offensive, et qu'à la mort du Minotaure le tribut cesserait. Auparavant, comme il n'y avait pour ces enfants aucun espoir de salut, le vaisseau qui les portait était garni d'une voile noire, pour montrer qu'ils allaient à une mort certaine. Mais alors Thésée ayant rassuré et rempli de confiance son père par les promesses qu'il lui fit de dompter le Minotaure, Égée donna au pilote une même voile blanche, avec ordre de la mettre au retour, si son fils était sauvé ; sinon de revenir avec la voile noire, qui lui apprendrait d'avance son malheur. Simonide dit que la voile qu'Égée donna au pilote n'était pas blanche, mais d'un beau rouge d'écarlate ; et il convient qu'elle devait être un signe qu'ils avaient échappé à la mort. Il ajoute que le pilote se nommait Phéréclos, fils d'Amarsyas. Philochore prétend que Thésée reçut de Sciros de Salamine un pilote nommé Nausithoos, avec un matelot pour être à la proue, qui s'appelait Phaïax : car les Athéniens ne s'étaient pas encore appliqués à la marine. Sciros les lui donna, parce qu'au nombre des enfants tombés au sort était Ménesthès, son petit-fils par sa fille. Cet historien en donne pour preuve les monuments que Thésée fit élever à l'honneur de Nausithoos et de Phaïax, dans le port de Phalère, près du temple de Sciros ; il assure que c'est pour eux qu'on célèbre les fêtes appelées Cybernesia, ou des patrons des navires.
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XXI. Thésée, étant parti de Crète, alla débarquer à Délos. Là, après avoir fait un sacrifice à Apollon et consacré une statue d'Aphrodite qu'Ariane lui avait donnée, il exécuta, avec les jeunes Athéniens qui l'accompagnaient, une danse qui est encore en usage chez les Déliens ; les mouvements et les pas entrelacés qui la composent sont une imitation des tours et des détours du labyrinthe. Cette danse, au rapport de Dicéarque, est appelée à Délos la Grue. Thésée la dansa autour de l'autel qu'on nomme Cératon, parce qu'il n'est fait que de cornes d'animaux, toutes prises du côté gauche. On dit aussi qu'il célébra, dans cette île, des jeux où, pour la première fois, les vainqueurs reçurent une branche de palmier.
 
XXII. Quand ils furent près de l'Attique, Thésée et son pilote, transportés de joie, oublièrent de mettre la voile blanche qui devait être pour Égée le signe de leur heureux retour. Ce prince, qui crut-on fils mort, se précipita du haut d'un rocher et se tua. Cependant Thésée, étant entré dans le port de Phalère, s'acquitta d'abord des sacrifices qu'il avait voués aux dieux en partant ; ensuite il envoya un héraut à la ville, pour y porter à son père la nouvelle de son arrivée. Le héraut trouva sur son chemin un grand nombre de citoyens qui déploraient la mort du roi ; mais beaucoup d'autres le reçurent, comme il était naturel, avec de grandes démonstrations de joie, et lui présentèrent des couronnes pour l'heureuse nouvelle qu'il leur apportait. II accepta les couronnes ; mais, au lieu de les mettre sur sa tête, il en entoura son caducée. Il retourna tout de suite au port ; et comme Thésée n'avait pas encore achevé le sacrifice, il se tint en dehors du temple, afin de ne pas le troubler. Quand les libations furent faites, il lui annonça la mort de son père. A cette nouvelle, Thésée et toute sa suite montèrent précipitamment à la ville, en gémissant et poussant de grands cris. De là vient qu'encore aujourd'hui, dans la fête des Oscophories, on ne couronne pas le héraut, mais seulement son caducée, et qu'après les libations, toute l'assemblée s'écrie : "Eieleu ! Iou, lou ! " Le premier cri est celui de gens qui se hâtent et qui sont dans la joie ; le second marque l'étonnement et le trouble. Thésée, après avoir rendu les derniers devoirs à son père, accomplit ses voeuxvœux à Apollon, le jour même de son arrivée, qui était le sept du mois de Pyanepsion. L'usage, qui subsiste encore à présent, de faire bouillir ce jour-là des légumes, vient, dit-on, de ce que les jeunes gens que Thésée avait heureusement ramenés firent cuire dans une même marmite tout ce qui leur restait de vivres, et les mangèrent ensemble. On porte aussi dans ces fêtes une branche d'olivier entourée le laine, et semblable à celle qu'avait Thésée avant son départ, lorsqu'il fit sa supplication aux dieux ; elle est garnie de toutes sortes de fruits, parce qu'alors la stérilité cessa dans l'Attique ; et l'on chante les vers suivants :
O rameau précieux, tu portes du froment,
Des figues et de l'huile, et du miel excellent ;
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De cent autres cités attache les destins.
Sûr de voir prospérer la fortune d'Athènes,
Ne livre pas ton coeurcœur à de cuisantes peines
Sur les flots inconstants, tel qu'un vaisseau léger,
Malgré les vents cruels tu sauras surnager.
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On te verra toujours surnager sur les flots.
 
XXV. Afin de peupler sa ville, il appela les étrangers à tous les droits des citoyens ; et la proclamation qui se fait encore aujourd'hui en ces termes : " Peuples, venez tous ici, " est, à ce qu'on prétend, la même que celle de Thésée lorsqu'il voulut faire d'Athènes le lieu d'assemblée de tous les peuples de la Grèce. Mais comme cette multitude qui accourait de toutes parts, et qu'il admettait indistinctement, eût infailliblement porté le désordre et la confusion dans sa république, il la divisa en trois classes : il comprit les nobles dans la première, les laboureurs et les artisans dans les deux autres. Il confia à la noblesse tout ce qui regardait le culte des dieux, leur donna toutes les magistratures, les chargea d'interpréter les lois et de régler tout ce qui avait rapport à la religion. Cette division mit à peu près l'égalité entre les trois classes. Les nobles l'emportaient par les honneurs, les laboureurs par l'utilité de leur profession, et les artisans par leur nombre. Thésée est, suivant Aristote, le premier qui ait incliné vers le gouvernement populaire, et qui se soit démis volontairement de la royauté. C'est à quoi Homère semble faire allusion lorsque, dans le dénombrement de la flotte des Grecs, il donne aux seuls Athéniens le nom le peuple. Thésée fit graver sur la monnaie l'empreinte d'un boeufbœuf, soit à cause du taureau de Marathon, soit pour sa victoire sur Tauros, général de Minos, soit enfin pour porter les citoyens à l'agriculture. C'est, dit-on, de cette monnaie que sont venues ces manières de parler : Cela vaut cent boeufsbœufs ; cela vaut dix boeufsbœufs.
Il unit à l'Attique le territoire de Mégare, et fit dresser dans l'isthme cette fameuse colonne, sur laquelle il grava une double inscription en deux vers ïambes qui déterminaient les limites des deux pays. II y avait sur le côté oriental :
Ce n'est pas ici le Péloponnèse, mais l'Ionie ;
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Tous les héros de ce temps-là se signalaient par les plus grands exploits ; mais Thésée, au rapport d'Hérodore, ne prit part qu'au combat des Lapithes contre les Centaures. D'autres au contraire disent qu'il accompagna Jason en Colchide, qu'il seconda Méléagre dans la défaite du sanglier de Calydon, et que de là vint le proverbe, Rien sans Thésée. Ils ajoutent que seul et sans aucun secours il termina plusieurs entreprises glorieuses, et qu'on disait de lui : C'est un second Héraclès. Ce fut lui qui aida Adraste à retirer les corps des guerriers tués au siège de Thèbes, non, comme le dit Euripide, en gagnant une bataille sur les Thébains, mais en les persuadant de faire une trêve. C'est ainsi du moins que la plupart des historiens le racontent. Philochore prétend que cette trêve est la première qu'on ait faite pour retirer les morts après une bataille. Cependant Héraclès, comme je l'ai dit dans sa vie, fut le premier qui rendit les morts à ses ennemis. Les soldats d'Adraste furent enterrés dans le lieu appelé Éleuthères, où sont encore leurs tombeaux, et les chefs à Éleusis, Thésée ayant bien voulu en accorder la permission à Adraste. Ce qu'Euripide avance à ce sujet dans sa tragédie des Suppliantes est contredit par Eschyle dans celle des Éleusiniens, où Thésée lui-même rapporte ce que je viens de dire.
 
XXX. Voici quelle fut l'occasion de l'amitié qu'il contracta avec Pirithoos. Comme la force et le courage de Thésée étaient célèbres dans toute la Grèce, Pirithoos, qui voulait s'en assurer et se mesurer avec lui, enleva de Marathon un troupeau de boeufsbœufs qui lui appartenait ; et lorsqu'il sut que Thésée venait à lui bien armé, loin de prendre la fuite, il revint sur ses pas, et alla droit à lui. Mais à peine ils se furent vus, que, frappés réciproquement de leur bonne mine et de leur fermeté, ils ne pensèrent plus à se battre. Pirithoos, tendant le premier la main à Thésée, lui dit d'estimer le dommage qu'il lui avait causé en emmenant ses boeufsbœufs et s'engagea d'en payer le prix. Thésée l'en tint quitte, le pria d'être son ami et son frère d'armes, et ils se jurèrent une amitié inviolable. Quelque temps après, Pirithoos, qui épousait Déidamie, pria Thésée de venir à ses noces, et de profiter de cette occasion pour connaître son pays et passer quelque temps avec les Lapithes. Il avait aussi invité les Centaures, qui, dans le repas, ayant bu avec excès, perdirent toute retenue, et voulurent même attenter à l'honneur des femmes. Les Lapithes prirent leur défense, et, se jetant sur les Centaures, ils en tuèrent plusieurs, déclarèrent la guerre aux autres, et finirent, avec le secours de Thésée, par les chasser du pays. Hérodore raconte le fait autrement : il dit que, lorsque Thésée alla au secours des Lapithes, la guerre était déjà commencée ; que ce fut alors qu'il vit Héraclès pour la première fois, ayant profité du voisinage pour l'aller voir à Trachine, où il se reposait, après avoir terminé ses courses et ses travaux. Ils se donnèrent réciproquement dans cette entrevue, ajoute Hérodore, les plus grands témoignages d'estime et d'amitié ; mais j'en crois plutôt ceux qui disent qu'ils s'étaient déjà vus plusieurs fois, et qu'Héraclès avait été initié aux mystères par la faveur de Thésée, qui même avant cela lui avait fait obtenir l'expiation des fautes involontaires qu'il avait commises.
 
XXXI. Thésée, suivant Hellanicos, avait déjà cinquante ans lorsqu'il enleva Hélène, qui n'était pas encore nubile. Aussi quelques écrivains, pour le disculper d'un si grand crime, disent que ce ne fut pas lui qui l'enleva ; mais qu'Ida et Lyncée, ses ravisseurs, la déposèrent entre ses mains, et qu'il refusa de la rendre à Castor et à Pollux, lorsqu'ils vinrent la redemander. D'autres vont jusqu'à soutenir que Tyndare lui-même la lui confia, parce qu'il craignait Enarsphoros, fils d'Hippocoon, qui cherchait à l'enlever, quoiqu'elle fût encore dans l'enfance. Mais un récit plus vraisemblable, et appuyé sur un plus grand nombre de témoignages, c'est que Thésée et Pirithoos, étant allés ensemble à Sparte, enlevèrent Hélène pendant qu'elle dansait dans le temple d'Artémis Orthia, et prirent aussitôt la fuite. Ceux qu'on envoya courir après eux ne les poursuivirent que jusqu'à Tégée. Les ravisseurs, après avoir traversé le Péloponnèse, se voyant en sûreté, convinrent de tirer Hélène au sort, à condition que celui à qui elle serait échue aiderait son compagnon à enlever une autre femme. Le sort la donna à Thésée, qui, en attendant qu'elle fût nubile, la conduisit à Aphidnai, où il fit venir Éthra sa mère pour en avoir soin. Il la confia aussi à un de ses amis nommé Aphidnos, à qui il recommanda de la garder avec soin et de n'en parler à personne. Ensuite, fidèle à son engagement envers Pirithoos, il l'accompagna en Épire, pour enlever la fille d'Aïdonéus, roi des Molosses, qui avait donné à sa femme le nom de Perséphone, à sa fille celui de Coré, et à son chien celui de Cerbère. Il obligeait ceux qui recherchaient sa fille en mariage de se battre contre cet animal, avec promesse de la donner à celui qui l'aurait vaincu. Mais averti que Pirithoos et Thésée venaient pour l'enlever et non pour la demander en mariage, il les fit arrêter, donna sur-le-champ Pirithoos à dévorer à Cerbère, et retint Thésée prisonnier.
 
XXXII. Cependant Ménesthès, fils de Pétéos, et petit-fils d'Onéos fils d'Érechthée, le premier, dit-on, qui ait cherché à flatter la multitude et à gagner ses bonnes grâces par des paroles insinuantes, profita de l'absence de Thésée pour soulever contre lui les principaux citoyens, qui depuis longtemps ne le supportaient plus qu'avec peine. Ils se plaignaient qu'il leur avait ôté l'empire qu'ils exerçaient chacun dans leurs bourgs ; qu'en les renfermant dans une seule ville, il les avait rendus ses soeurssœurs ou plutôt ses esclaves. Ménesthès excitait aussi le peuple, en accusant auprès d'eux Thésée de ne leur avoir laissé qu'une liberté imaginaire, qui dans le fait les avait privés de leur patrie, de leurs sacrifices, et, au lieu de plusieurs rois légitimes, bons et humains, leur avait donné pour maître un étranger et un inconnu.
Mais rien ne favorisa tant ses projets et ses intrigues que la guerre des Tyndarides, qui entrèrent en armes dans l'Attique, appelés, suivant quelques auteurs, par Ménesthès lui-même. Ils ne commirent d'abord aucune hostilité, et demandèrent seulement qu'on leur rendît leur soeursœur. Les Athéniens leur ayant répondu qu'ils ne l'avaient pas dans la ville, et qu'ils ignoraient même où elle était, les Tyndarides se disposaient à les attaquer, lorsque Académos, qui avait découvert, on ne sait comment, qu'elle était cachée à Aphidnai, en donna avis à Castor et à Pollux. En reconnaissance de ce bienfait, ils le comblèrent d'honneurs pendant sa vie, et, dans la suite, les Lacédémoniens, qui firent si souvent des courses dans l'Attique et la mirent au pillage, respectèrent toujours, à cause de lui, les jardins de l'Académie. Mais Dicéarque raconte qu'il y avait dans l'armée des Tyndarides deux Arcadiens nommés Échédémos et Marathos ; que le premier donna son nom à ce lieu, qui fut d'abord appelé Échédémie, et ensuite Académie ; que le bourg de Marathon prit son nom de Marathos, qui, afin d'accomplir un ancien oracle, s'était volontairement offert pour être sacrifié à la tête de l'armée. Les Tyndarides marchèrent droit à Aphidnai, et, en ayant défait les habitants, ils prirent la ville et la rasèrent. On dit qu'Halycos, fils de Sciron, qui servait dans l'armée des Dioscures, périt dans cette action, et que l'endroit du territoire de Mégare où il fut enterré s'appelle encore, de son nom, Halycos. Héréas ajoute qu'il mourut de la main même de Thésée ; et il cite en preuve ces vers :
Tandis qu'aux champs d'Aphidnai, Halycos, plein d'ardeur,
Combattait pour les droits d'Hélène prisonnière,