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{{c|'''Chapitre III'''}}
 
 
 
Nous croyons qu’il n’est pas inutile de consacrer
un chapitre spécial à la chatte de Musidora, charmante
bête qui vaut bien après tout le lion d’Androclès, l’araignée de Pélisson, le chien de Montargis et autres animaux vertueux ou savants
==[[Page:Gautier - Œuvres de Théophile Gautier, tome 2.djvu/53]]==
dont
de graves historiens ont éternisé la mémoire.
 
On dit ordinairement : Tel chien, tel maître ;
on pourrait dire aussi : Telle chatte, telle maîtresse.
 
La chatte de Musidora était blanche, ― mais
d’un blanc fabuleux, ― bien autrement blanche
que le cygne le plus blanc ; le lait, l’albâtre, la
neige, tout ce qui sert à faire des comparaisons
''blanches'' depuis le commencement du monde eût
paru noir à côté d’elle ; dans les millions de poils
imperceptibles dont sa fourrure d’hermine était
composée, il n’y en avait pas un seul qui n’eût
l’éclat de l’argent le plus pur.
 
Figurez-vous une grosse houppe à poudre où
l’on aurait ajusté des yeux. jamais la femme la
plus coquette et la plus maniérée n’a mis dans ses
mouvements la grâce et le fini parfait que cette
adorable chatte met dans les siens. ― Ce sont des
ondulations d’échine, des gonflements de dos, des
airs de tête, des tournures de queue. des façons
d’avancer et de retirer la patte inimaginables.
 
Musidora la copie tant qu’elle peut, mais en
reste bien loin. ― Cependant si parfaite que soit
l’imitation, elle a fait de Musidora une des plus
gracieuses femmes de Paris, ― c’est-à-dire du
monde, car rien n’existe ici-bas que Paris.
 
Un petit nègre, entièrement vêtu de noir pour
rendre le contraste plus frappant, est chargé du
 
==[[Page:Gautier - Œuvres de Théophile Gautier, tome 2.djvu/54]]==
soin de cette blanche et discrète personne : il la
couche tous les soirs dans son berceau de satin
bleu de ciel et va la porter le matin à sa maîtresse
quand elle la demande ; il est chargé aussi de
donner la pâture à madame la chatte, de la peigner,
de lui laver les oreilles, de lui lisser les
moustaches et de lui mettre son collier de vraies
perles fines et d’un très grand prix.
 
Quelques vertueux mortels seront sans doute
indignés d’un tel luxe pour un simple animal, et
diront qu’il vaudrait bien mieux avec tout cet
argent, donner du pain aux pauvres. ― D’abord
on ne donne pas de pain aux pauvres, on leur
donne un sou, ― et encore assez rarement ; car,
si tout là monde leur donnait un sou tous les
jours, ils seraient bientôt plus riches que des
nababs. ― Ensuite, nous ferons observer aux honnêtes
philanthropes distributeurs de soupes économiques
que l’existence de la chatte de Musidora
est aussi utile que quoi que ce soit.
 
Elle fait plaisir à Musidora et l’empêche de
souffleter deux ou trois servantes par jour.
― Premier bienfait.
 
Ce petit nègre, qui n’a d’autre travail que le
soin de cette bête, serait sans cela à griller au
soleil des Antilles, où il serait fouaillé du matin
jusqu’au soir et du soir jusqu’au matin. ― Au lieu
de cela, il est bien nourri, bien habillé, et n’a pour
toute besogne qu’à être noir à côté d’une chose
blanche. ― Second bienfait.
==[[Page:Gautier - Œuvres de Théophile Gautier, tome 2.djvu/55]]==
 
La délicieuse chatte n’a pas de plus grand plaisir
que d’aiguiser ses griffes sur la tenture intérieure
de son petit boudoir bleu de ciel. Il faut
donc lui en faire un neuf à peu près tous les mois.
Cela suffit pour payer la pension de deux enfants
du tapissier de Musidora. ― La France devra
donc à une simple chatte blanche un avocat et un
médecin. ― Troisième bienfait.
 
Quatrième bienfait. ― Trois petits paysans se
ramassent de quoi acheter un homme, s’ils tombent
à la conscription, en prenant à la glu de
petits oiseaux pour le déjeuner et le dîner de la
chatte, qui ne voudrait pas les manger s’ils
n’étaient tout vifs et tout sautillants.
 
Cette mignonne et voluptueuse bête, presque
aussi cruelle qu’une femme qui s’ennuie, aime à
entendre pépier son dîner dans son ventre, et il
n’y a rien d’assez vivant pour elle. C’est le seul
défaut que nous lui connaissions.
 
Quant au collier, il a été donné à Musidora par
un général de l’Empire, qui l’avait volé en Espagne
à une madone noire, sous la forme d’un bracelet,
et il a passé sans intermédiaire du bras très
blanc de la jeune fille au col encore plus blanc de
la jeune chatte. Nous trouvons un collier de perles
beaucoup plus convenable au col velouté d’une
jolie chatte qu’autour du cou rouge et pelé d’une
vieille Anglaise.
 
Ceci paraîtra peut-être un hors-d’œuvre à quelques-uns
de nos lecteurs ; nous sommes tout à
==[[Page:Gautier - Œuvres de Théophile Gautier, tome 2.djvu/56]]==
fait
de l’avis de ces lecteurs-là. ― Mais sans les ''hors-d’œuvre''
et les ''épisodes'' comment pourrait-on faire
un roman ou un poème, et ensuite comment pourrait-on les lire ?