« L’Étoile du sud/X » : différence entre les versions

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En quittant la ferme, Cyprien, le cœur brisé, mais résolu à faire ce qu’il considérait comme un devoir professionnel, se rendit de nouveau chez Jacobus Vandergaart. Il le trouva seul. Le courtier Nathan avait eu hâte de le quitter pour être le premier à répandre dans le camp une nouvelle qui intéressait si directement les mineurs.
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« Mon cher Jacobus, dit-il en prenant place auprès de lui, ayez donc l’obligeance de me tailler une facette sur cette bosse-là, afin que nous puissions voir un peu ce qui se cache sous la gangue.
 
– Rien de plus aisé, dit le vieux lapidaire, en prenant le caillou des mains
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de son jeune ami. Vous avez, ma foi, fort bien choisi l’endroit ! ajouta-t-il en constatant la présence d’un léger renflement sur l’un des côtés de la gemme, qui, à part ce défaut, était d’un ovale presque parfait. Nous ne risquons pas, en taillant de ce côté, d’engager l’avenir ! »
 
Sans plus tarder, Jacobus Vandergaart se mit à l’ouvrage, et, après avoir choisi dans sa sébile une pierre brute de quatre à cinq carats, qu’il fixa fortement au bout d’une sorte de manette, il se mit à user l’une contre l’autre les deux pellicules extérieures.
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– Oui, certes, mon cher enfant ! Ce serait l’honneur et le couronnement de ma longue carrière !… Mais peut-être feriez-vous mieux de choisir une main plus jeune et plus ferme que la mienne ?
 
– Non ! répondit affectueusement Cyprien. Personne, j’en suis sûr, ne mettra à l’œuvre plus de soin et plus d’habileté que vous ! Gardez ce diamant, mon cher Jacobus, et taillez-le à votre loisir. Vous en ferez un chef-d’œuvre ! C’est une affaire entendue. »
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Le vieillard tournait et retournait la pierre dans ses doigts et semblait hésiter à formuler sa pensée.
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« Un tel coup de fortune lui aurait-il fait perdre la raison ? » se demandait-il.
 
Cyprien comprit sa pensée et se mit à sourire. Il lui expliqua donc d’où
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provenait le diamant et comment il pouvait désormais en fabriquer d’autres autant qu’il le voudrait. Mais, soit que le vieux lapidaire n’ajoutât qu’une foi médiocre à ce récit, soit qu’il eût un motif personnel de ne pas vouloir rester seul dans cette case isolée, en tête-à-tête avec une pierre de cinquante millions, il insista pour partir sur l’heure.
 
C’est pourquoi, après avoir rassemblé, dans un vieux sac de cuir, ses outils et ses hardes, Jacobus Vandergaart attacha à sa porte une ardoise sur laquelle il écrivit : ''Absent'' ''pour'' ''affaires'', fourra la clef dans sa poche, mit le diamant dans son gilet et partit.
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En effet, Cyprien n’hésitait pas à attribuer cet effet si curieux au soin qu’il avait pris de tapisser son récipient d’un enduit de terre, choisi avec soin dans le Vandergaart-Kopje. La façon dont une partie de cette terre s’était détachée de la paroi pour former autour du cristal une véritable coque, n’était pas aisée à expliquer, et c’est un point que les expériences ultérieures élucideraient sans doute. On pouvait peut-être imaginer qu’il y avait eu là un phénomène entièrement nouveau d’affinité chimique, et l’auteur se proposait d’en faire l’objet d’une étude approfondie. Il n’avait pas la prétention de donner du premier coup la théorie complète et définitive de sa découverte. Ce qu’il voulait, c’était tout d’abord la communiquer sans retard au monde savant, prendre date pour la France, appeler enfin la discussion et la lumière sur des faits encore inexpliqués et obscurs pour lui-même.
 
Ce mémoire commencé, sa comptabilité scientifique ainsi mise à jour, en attendant qu’il pût la compléter par de nouvelles observations, avant de
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l’adresser à qui de droit, le jeune ingénieur soupa quelque peu et alla se coucher.
 
Le lendemain matin, Cyprien quittait sa demeure et se promenait, tout pensif, sur les divers terrains de mines. Certains regards, rien moins que sympathiques, l’accueillaient visiblement à son passage. S’il ne s’en apercevait pas, c’est qu’il avait oublié toutes les conséquences de sa grande découverte, si durement établies la veille par John Watkins, c’est-à-dire la ruine, en un délai plus ou moins long, des concessionnaires et des concessions du Griqualand. Cela, cependant, était bien fait pour inquiéter au milieu d’un pays à demi sauvage, où l’on n’hésite pas à se faire justice de ses propres mains, où la garantie du travail, et par conséquent du commerce qui en découle, est la foi suprême. Que la fabrication du diamant artificiel devînt une industrie pratique, et tous les millions enfouis dans les mines du Brésil comme dans celles de l’Afrique australe, sans parler des milliers d’existences déjà sacrifiées, étaient irrémédiablement perdus. Sans doute, le jeune ingénieur pouvait garder le secret de son expérience ; mais, à ce sujet, sa déclaration avait été très nette : il était décidé à ne pas le faire.
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D’autre part, pendant la nuit, – une nuit de torpeur durant laquelle John Watkins ne rêva que de diamants invraisemblables, d’une valeur de plusieurs milliards, – le père d’Alice avait pu méditer et réfléchir à ceci. Qu’Annibal Pantalacci et autres mineurs vissent avec inquiétude et colère la révolution que la découverte de Cyprien allait apporter dans l’exploitation des terrains diamantifères, rien de plus naturel, puisqu’ils les exploitaient pour leur propre compte. Mais lui, simple propriétaire de la ferme Watkins, sa situation n’était pas la même. Sans doute, si les claims étaient abandonnés par suite de la baisse des gemmes, si toute cette population de mineurs finissait par abandonner les champs du Griqualand, la valeur de sa ferme s’amoindrirait dans une proportion notable, ses produits n’auraient plus un écoulement facile, ses maisons ou ses cases ne se loueraient plus, faute de locataires, et peut-être serait-il un jour dans l’obligation d’abondonner un pays devenu improductif.
 
« Bon ! se disait John Watkins, avant d’en venir là, plusieurs années se passeront encore ! La fabrication des diamants artificiels n’en est point arrivée à l’état pratique, même avec les procédés de monsieur Méré ! Peut-être y a-t-il eu beaucoup de hasard dans son affaire ! Mais en attendant, hasard ou non, il n’en a pas moins fait une pierre d’une valeur énorme, et si, dans les conditions d’un diamant naturel, elle vaut une cinquantaine de millions, elle
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en vaudra plusieurs encore, bien qu’ayant été produite artificiellement ! Oui ! il faut retenir ce jeune homme, à tout prix ! Il faut, au moins pendant quelque temps, l’empêcher d’aller crier sur les toits son immense découverte ! Il faut que cette pierre entre définitivement dans la famille Watkins et n’en sorte plus que contre un nombre respectable de millions ! Quant à retenir celui qui l’a fabriquée, cela n’est vraiment que trop facile, – même sans s’engager d’une façon définitive ! Alice est là, et, avec Alice, je saurai bien retarder son départ pour l’Europe !… Oui !… dussé-je la lui promettre en mariage !… dussé-je même la lui donner ! »
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À coup sûr, John Watkins, sous la pression d’une cupidité dévorante, aurait été jusque-là ! Dans toute cette affaire, il ne voyait que lui, il ne songeait qu’à lui ! Et bientôt, si le vieil égoïste pensa à sa fille, ce fut uniquement pour se dire :
 
« Mais après tout, Alice n’aura point à se plaindre ! Ce jeune fou de savant est fort bien ! Il l’aime, et j’imagine qu’elle n’est point restée insensible à son amour ! Or, qu’y a-t-il de mieux que d’unir deux cœurs faits l’un pour l’autre… ou tout au moins, de leur faire espérer cette union, jusqu’au moment où toute cette affaire sera bien éclaircie !… Ah ! par saint John, mon patron, au diable
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Annibal Pantalacci et ses camarades, et chacun pour soi, même au pays du Griqualand ! »
 
Ainsi raisonnait John Watkins, en manœuvrant cette balance idéale, dans laquelle il venait de faire équilibre à l’avenir de sa fille avec un simple morceau de carbone cristallisé, et il était tout heureux de penser que les plateaux se tenaient sur la même ligne horizontale.
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– Je vous répète, répondit Cyprien, que je ne puis cacher un secret scientifique de cette importance !
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– Oui… oui !… Je sais ! reprit John Watkins, en faisant signe au jeune homme de se taire, comme s’il eût pu être entendu du dehors. Oui !… oui !… Nous recauserons de cela !… Mais ne vous préoccupez pas de Pantalacci et des autres !… Ils ne diront rien de votre découverte, puisque leur intérêt est de ne rien dire !… Croyez moi… Attendez !… et surtout pensez que ma fille et moi, nous sommes bien heureux de votre succès !… Oui !… bien heureux !… Mais, ne pourrais-je revoir ce fameux diamant ?… C’est à peine si, hier, j’ai eu le temps de l’examiner !… Voudriez-vous me permettre…
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Il va sans dire que, les jours suivants, ses commensaux habituels, Annibal Pantalacci, herr Friedel, le juif Nathan, ne se firent point faute de dauber l’honnête lapidaire. Souvent ils en parlaient en l’absence de Cyprien, et toujours pour faire observer à John Watkins que le temps s’écoulait et que Jacobus Vandergaart ne reparaissait pas.
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« Et pourquoi reviendrait-il en Griqualand, disait Friedel, puisqu’il lui est si facile de garder ce diamant, d’une si énorme valeur, dont rien encore ne trahit l’origine artificielle ?
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Sur un lit de coton blanc, un énorme cristal noir, en forme de rhomboïde dodécaèdre, jetait des feux prismatiques d’un éclat tel que le laboratoire en semblait illuminé. Cette combinaison, d’une couleur d’encre, d’une transparence adamantine, absolument parfaite, d’un pouvoir réfringent sans égal, produisait l’effet le plus merveilleux et le plus troublant. On se sentait en présence d’un phénomène vraiment unique, d’un jeu de la nature probablement sans précédent. Toute idée de valeur mise à part, la splendeur du joyau éclatait par elle-même.
 
« Ce n’est pas seulement le plus gros diamant, c’est le plus beau qu’il y ait au monde ! dit gravement Jacobus Vandergaart, avec une pointe d’orgueil paternel. Il pèse quatre cent trente-deux carats ! Vous pouvez vous flatter d’avoir
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fait un chef-d’œuvre, mon cher enfant, et votre coup d’essai a été un coup de maître ! »
 
Cyprien n’avait rien répondu aux compliments du vieux lapidaire. Pour lui, il n’était que l’auteur d’une découverte curieuse, – rien de plus. Beaucoup d’autres s’y étaient acharnés sans réussir, là où il venait de vaincre, sans doute, sur ce terrain de la chimie inorganique. Mais quelles conséquences utiles pour l’humanité aurait cette fabrication du diamant artificiel ? Inévitablement, elle ruinerait, dans un temps donné, tous ceux qui vivaient du commerce des pierres précieuses, et, en somme, elle n’enrichirait personne.
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– Le voici. »
 
Le fermier avait pris l’écrin, il l’avait ouvert, et ses deux gros yeux scintillaient presque autant que ce diamant qu’il regardait avec l’hébétement admiratif d’un extatique ! Puis, quand il lui fut donné de tenir dans ses doigts, sous cette forme légère et portative, matérielle et éclatante à la fois, la valeur
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colossale que représentait la gemme, son ravissement pris des accents si emphatiques qu’ils en étaient risibles.
 
Mr. Watkins avait des larmes dans la voix et parlait au diamant comme à un être animé :
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« Une étoile sertie en or ! dit galamment Cyprien, en se laissant aller, contre son habitude, à faire un madrigal.
 
– C’est vrai !… On dirait une étoile ! s’écria Alice en battant joyeusement
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des mains. Eh bien, il faut lui laisser ce nom ! Baptisons-la l’''Étoile'' ''du'' ''Sud'' !… Le voulez-vous, monsieur Cyprien ? N’est-elle pas noire comme les beautés indigènes de ce pays et brillante comme les constellations de notre ciel austral ?
 
– Va pour l’''Étoile'' ''du'' ''Sud'' ! dit John Watkins, qui n’attachait au nom qu’une importance médiocre. Mais, prends garde de la laisser tomber ! reprit-il avec épouvante, sur un brusque mouvement de la jeune fille. Elle se briserait comme verre !