« Napoléon le Petit/7/IV » : différence entre les versions

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{{chapitre|[[Napoléon le Petit]]|[[Auteur:Victor Hugo|Victor Hugo]]|Livre septième - L’Absolution - Le serment|Curiosités de la chose}}
 
==__MATCH__:[[Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Histoire, tome I.djvu/169]]==
Toute morale est niée par un tel serment, toute honte bue, toute pudeur affrontée. Aucune raison pour qu’on ne voie pas des choses inouïes ; on les voit. Dans telle ville, à Evreux, par exemple, les juges qui ont prêté le serment jugent les juges qui l’ont refusé ; l’ignominie assise sur le tribunal fait asseoir l’honneur sur la sellette ; la conscience vendue « blâme » la conscience honnête ; la fille publique fouette la vierge.
Avec ce serment-là on marche de surprise en surprise. Nicolet n’est qu’un maroufle près de M. Bonaparte. Quand M. Bonaparte a eu fait le tour de ses valets, de ses complices et de ses victimes, et empoché le serment de chacun, il s’est écrié : Tiens ! j’ai oublié quelque chose ! alors il s’est tourné avec bonhomie vers les vaillants chefs de l’armée d’Afrique et leur a « tenu à peu près ce langage » : – A propos, vous savez, je vous ai fait arrêter la nuit dans vos lits par mes gens ; mes mouchards sont entrés chez vous l’épée haute ; je les ai même décorés depuis pour ce fait d’armes ; je vous ai fait menacer du bâillon, si vous jetiez un cri ; je vous ai fait prendre au collet par mes argousins ; je vous ai fait mettre à Mazas dans la cellule des voleurs et à Ham dans ma cellule à moi ; vous avez encore aux poignets les marques de la corde dont je vous ai liés ; bonjour, messieurs, Dieu vous ait en sa sainte garde, jurez-moi fidélité. – Changarnier l’a regardé fixement et lui a répondu : Non, traître ! Bedeau lui a répondu : Non, faussaire ! Lamoricière lui a répondu : Non, parjure ! Le Flô lui a répondu : Non, bandit ! Charras lui a donné un soufflet.
A l’heure qu’il est, la face de M. Bonaparte est rouge, non de la honte, mais du soufflet.
Autre variété du serment : dans les casemates, dans les bastilles, dans les pontons, dans les présides d’Afrique, il y a des prisonniers par milliers. Qui sont ces prisonniers ? Nous l’avons dit, des républicains, des patriotes, des soldats de la loi, des innocents, des martyrs. Ce qu’ils souffrent, des voix généreuses l’ont déjà dénoncé, on l’entrevoit ; nous-même, dans le livre spécial sur le 2 décembre, nous achèverons de déchirer ce voile. Eh bien, veut-on savoir ce qui arrive ?
Quelquefois, à bout de souffrances, épuisés de forces, ployant sous tant de misères, sans chaussures, sans pain, sans vêtements, sans chemise, brûlés de fièvre, rongés de vermine, pauvres ouvriers arrachés à leurs ateliers, pauvres paysans arrachés à leur charrue, pleurant une femme, une mère, des enfants, une famille veuve ou orpheline sans pain de son côté et peut-être sans asile, accablés, malades, mourants, désespérés, quelques-uns de ces malheureux faiblissent et consentent à « demander grâce ». Alors on leur apporte à signer une lettre toute faite et adressée à « monseigneur le prince-président ». Cette lettre, nous la publions telle que le sieur Quentin-Bauchart l’avoue :
« Je, soussigné, déclare sur l’honneur accepter avec reconnaissance la grâce qui m’est faite par le prince Louis-Napoléon, et m’engage à ne plus faire partie des sociétés secrètes, à respecter les lois, et à être fidèle au gouvernement que le pays s’est donné par le vote des 20 et 21 décembre 1851. »
Qu’on ne se méprenne pas sur le sens de ce fait grave. Ceci n’est pas de la clémence octroyée, c’est de la clémence implorée. Cette formule : demandez-nous votre grâce, signifie : accordez-nous notre grâce. L’assassin, penché sur l’assassiné et le couteau levé, lui crie : Je t’ai arrêté, saisi, terrassé, dépouillé, volé, percé de coups, te voilà sous mes pieds, ton sang coule par vingt plaies ; dis-moi que tu TE REPENS, et je n’achèverai pas de te tuer. Ce repentir des innocents, exigé par le criminel, n’est autre chose que la forme que prend au dehors son remords intérieur. Il s’imagine être de cette façon rassuré contre son propre crime. A quelques expédients qu’il ait recours pour s’étourdir, quoiqu’il fasse sonner perpétuellement à ses oreilles les sept millions cinq cent mille grelots de son « plébiscite », l’homme du coup d’État songe par instants ; il entrevoit vaguement un lendemain et se débat contre l’avenir inévitable. Il lui faut purge légale, décharge, mainlevée, quittance. Il la demande aux vaincus et au besoin il les met à la torture pour l’obtenir. Au fond de la conscience de chaque prisonnier, de chaque déporté, de chaque proscrit, Louis Bonaparte sent qu’il y a un tribunal et que ce tribunal instruit son procès ; il tremble, le bourreau a une secrète peur de la victime, et, sous figure d’une grâce accordée par lui à cette victime, il fait signer par ce juge son acquittement.
Il espère ainsi donner le change à la France qui, elle aussi, est une conscience vivante et un tribunal attentif, et que, le jour de la sentence venu, le voyant absous par ses victimes, elle lui fera grâce. Il se trompe. Qu’il perce le mur d’un autre côté, ce n’est pas par là qu’il échappera.
 
{{c|Livre septième - L’Absolution - Le serment
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Le président du tribunal de commerce à Evreux refuse le serment. Laissons parler le Moniteur :
 
Curiosités de la chose}}
 
Toute morale est niée par un tel serment, toute honte bue, toute pudeur affrontée. Aucune raison pour qu’on ne voie pas des choses inouïes ; on les voit. Dans telle ville, à Evreux<ref>Le président du tribunal de commerce à Evreux refuse le serment. Laissons parler le Moniteur :
« M. Verney, ancien président du tribunal de commerce d’Evreux, était cité à comparaître jeudi dernier devant MM. les juges correctionnels d’Evreux, en raison des faits qui ont dû se passer, le 29 avril dernier, dans l’enceinte de l’audience consulaire.
 
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La cour d’appel de Rouen a pour premier président M. Franck-Carré, ancien procureur général près la cour des pairs dans le procès de Boulogne, le même qui adressait à M. Louis Bonaparte ces paroles : « Vous avez fait pratiquer l’embauchage et distribuer l’argent pour acheter la trahison. »
Toute morale est niée par un tel serment, toute honte bue, toute pudeur affrontée. Aucune raison pour qu’on ne voie pas des choses inouïes ; on les voit. Dans telle ville, à Evreux</ref>, par exemple, les juges qui ont prêté le serment jugent les juges qui l’ont refusé ; l’ignominie assise sur le tribunal fait asseoir l’honneur sur la sellette ; la conscience vendue « blâme » la conscience honnête ; la fille publique fouette la vierge.
Avec ce serment-là on marche de surprise en surprise. Nicolet n’est qu’un maroufle près de M. Bonaparte. Quand M. Bonaparte a eu fait le tour de ses valets, de ses complices et de ses victimes, et empoché le serment de chacun, il s’est écrié : Tiens ! j’ai oublié quelque chose ! alors il s’est tourné avec bonhomie vers les vaillants chefs de l’armée d’Afrique et leur a « tenu à peu près ce langage » : – A propos, vous savez, je vous ai fait arrêter la nuit dans vos lits par mes gens ; mes mouchards sont entrés chez vous l’épée haute ; je les ai même décorés depuis pour ce fait d’armes ; je vous ai fait menacer du bâillon, si vous jetiez un cri ; je vous ai fait prendre au collet par mes argousins ; je vous ai fait mettre à Mazas dans la cellule des voleurs et à Ham dans ma cellule à moi ; vous avez encore aux poignets les marques de la corde dont je vous ai liés ; bonjour, messieurs, Dieu vous ait en sa sainte garde, jurez-moi fidélité. – Changarnier l’a regardé fixement et lui a répondu : Non, traître ! Bedeau lui a répondu : Non, faussaire ! Lamoricière lui a répondu : Non, parjure ! Le Flô lui a répondu : Non, bandit ! Charras lui a donné un soufflet.
A l’heure qu’il est, la face de M. Bonaparte est rouge, non de la honte, mais du soufflet.
Autre variété du serment : dans les casemates, dans les bastilles, dans les pontons, dans les présides d’Afrique, il y a des prisonniers par milliers. Qui sont ces prisonniers ? Nous l’avons dit, des républicains, des patriotes, des soldats de la loi, des innocents, des martyrs. Ce qu’ils souffrent, des voix généreuses l’ont déjà dénoncé, on l’entrevoit ; nous-même, dans le livre spécial sur le 2 décembre, nous achèverons de déchirer ce voile. Eh bien, veut-on savoir ce qui arrive ?
Quelquefois, à bout de souffrances, épuisés de forces, ployant sous tant de misères, sans chaussures, sans pain, sans vêtements, sans chemise, brûlés de fièvre, rongés de vermine, pauvres ouvriers arrachés à leurs ateliers, pauvres paysans arrachés à leur charrue, pleurant une femme, une mère, des enfants, une famille veuve ou orpheline sans pain de son côté et peut-être sans asile, accablés, malades, mourants, désespérés, quelques-uns de ces malheureux faiblissent et consentent à « demander grâce ». Alors on leur apporte à signer une lettre toute faite et adressée à « monseigneur le prince-président ». Cette lettre, nous la publions telle que le sieur Quentin-Bauchart l’avoue :
« Je, soussigné, déclare sur l’honneur accepter avec reconnaissance la grâce qui m’est faite par le prince Louis-Napoléon, et m’engage à ne plus faire partie des sociétés secrètes, à respecter les lois, et à être fidèle au gouvernement que le pays s’est donné par le vote des 20 et 21 décembre 1851. »
Qu’on ne se méprenne pas sur le sens de ce fait grave. Ceci n’est pas de la clémence octroyée, c’est de la clémence implorée. Cette formule : demandez-nous votre grâce, signifie : accordez-nous notre grâce. L’assassin, penché sur l’assassiné et le couteau levé, lui crie : Je t’ai arrêté, saisi, terrassé, dépouillé, volé, percé de coups, te voilà sous mes pieds, ton sang coule par vingt plaies ; dis-moi que tu TE REPENS, et je n’achèverai pas de te tuer. Ce repentir des innocents, exigé par le criminel, n’est autre chose que la forme que prend au dehors son remords intérieur. Il s’imagine être de cette façon rassuré contre son propre crime. A quelques expédients qu’il ait recours pour s’étourdir, quoiqu’il fasse sonner perpétuellement à ses oreilles les sept millions cinq cent mille grelots de son « plébiscite », l’homme du coup d’État songe par instants ; il entrevoit vaguement un lendemain et se débat contre l’avenir inévitable. Il lui faut purge légale, décharge, mainlevée, quittance. Il la demande aux vaincus et au besoin il les met à la torture pour l’obtenir. Au fond de la conscience de chaque prisonnier, de chaque déporté, de chaque proscrit, Louis Bonaparte sent qu’il y a un tribunal et que ce tribunal instruit son procès ; il tremble, le bourreau a une secrète peur de la victime, et, sous figure d’une grâce accordée par lui à cette victime, il fait signer par ce juge son acquittement.
 
Il espère ainsi donner le change à la France qui, elle aussi, est une conscience vivante et un tribunal attentif, et que, le jour de la sentence venu, le voyant absous par ses victimes, elle lui fera grâce. Il se trompe. Qu’il perce le mur d’un autre côté, ce n’est pas par là qu’il échappera.