« Napoléon le Petit/5/IV » : différence entre les versions

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{{chapitre|[[Napoléon le Petit]]|[[Auteur:Victor Hugo|Victor Hugo]]|Livre cinquième - Le Parlementarisme|Les Orateurs}}
 
 
==__MATCH__:[[Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Histoire, tome I.djvu/129]]==
 
{{c|Livre cinquième - Le Parlementarisme
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Ce jour-là fut un jour menaçant. Mais le peuple ne renverse pas les tribunes. Les tribunes sont à lui, et il le sait. Placez une tribune au Centre du monde, et avant peu, aux quatre coins de la terre, la République se lèvera. La tribune rayonne pour le peuple, il ne l’ignore pas. Quelquefois la tribune le courrouce et le fait écumer ; il la bat de son flot, il la couvre même ainsi qu’au 15 mai, puis il se retire majestueusement comme l’océan et la laisse debout comme le phare. Renverser les tribunes, quand on est le peuple, c’est une sottise ; ce n’est une bonne besogne que pour les tyrans.
==[[Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Histoire, tome I.djvu/130]]==
 
Le peuple se soulevait, s’irritait, s’indignait ; quelque erreur généreuse l’avait saisi, quelque illusion l’égarait ; il se méprenait sur un fait, sur un acte, sur une mesure, sur une loi ; il entrait en colère, il sortait de ce superbe calme où se repose sa force, il accourait sur les places publiques avec des grondements sourds et des bonds formidables ; c’était une émeute, une insurrection, la guerre civile, une révolution peut-être. La tribune était là. Une voix aimée s’élevait et disait au peuple : arrête, regarde, écoute, juge ! Si forte virum quem conspexêre, silent ; ceci était vrai dans Rome et vrai à Paris ; le peuple s’arrêtait. O tribune ! piédestal des hommes torts ! de là sortaient l’éloquence, la loi, l’autorité, le patriotisme, le dévouement, et les grandes pensées, freins des peuples, muselières de lions.
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En soixante ans toutes les natures d’esprit, toutes les sortes d’intelligence, toutes les espèces de génie ont successivement pris la parole dans ce lieu le plus sonore du monde. Depuis la première Constituante jusqu’à la dernière, depuis la première Législative jusqu’à la dernière, à travers la Convention, les conseils et les chambres, comptez les hommes, si vous pouvez ! C’est un dénombrement d’Homère. Suivez la série. Que de figures qui contrastent, depuis Danton jusqu’à Thiers ! Que de figures qui se ressemblent, depuis Barrère jusqu’à Baroche, depuis Lafayette jusqu’à Cavaignac ! Aux noms que nous avons déjà nommés, Mirabeau, Vergniaud, Danton, Saint-Just, Robespierre, Camille Desmoulins, Manuel, Foy, Royer-Collard, Chateaubriand, Thiers, Guizot, Ledru-Rollin, Berryer, Lamartine, ajoutez ces autres noms, divers, parfois ennemis, savants, artistes, hommes d’État, hommes de guerre, hommes de loi, démocrates, monarchistes, libéraux, socialistes, républicains, tous fameux, quelques-uns illustres, ayant chacun l’auréole qui lui est propre : Barnave, Cazalès, Maury, Mounier, Thouret, Chapelier, Pétion, Buzot, Brissot, Siéyès, Condorcet, Chénier, Carnot, Lanjuinais, Pontécoulant, Cambacérès, Talleyrand, Fontanes, Benjamin Constant, Casimir Périer, Chauvelin, Voyer d’Argenson, Laffitte, Dupont (de l’Eure), Camille Jordan, Lainé, Fitz-James, Bonald, Villèle, Martignac, Cuvier, Villemain, les deux Lameth, les deux David, le peintre en 93, le sculpteur en 48, Lamarque, Mauguin, Odilon Barrot, Arago, Garnier-Pagès, Louis Blanc, Marc Dufraisse, Lamennais, Emile de Girardin, Lamoricière, Dufaure, Crémieux, Michel (de Bourges), Jules Favre… Que de talents, que d’aptitudes variées ! que de services rendus ! quelle lutte de toutes les réalités contre toutes les erreurs ! que de cerveaux en travail ! quelle dépense, au profit du progrès, de savoir, de philosophie, de passion, de conviction, d’expérience, de sympathie, d’éloquence ! que de chaleur fécondante répandue ! quelle immense tramée de lumière !
 
Et nous ne les nommons pas tous. Pour nous servir d’une expression qu’onqu’
==[[Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Histoire, tome I.djvu/131]]==
on emprunte quelquefois à l’auteur de ce livre, « nous en passons et des meilleurs ». Nous n’avons même pas signalé cette vaillante légion de jeunes orateurs qui surgissait à gauche dans ces dernières années, Arnaud (de l’Ariège), Bancel, Chauffour, Pascal Duprat, Esquiros, de Flotte, Farconnet, Victor Hennequin, Madier de Montjau, Morellet, Noël Parfait, Pelletier, Sain, Versigny.
 
Insistons-y, à partir de Mirabeau, il y a eu dans le monde, dans la sociabilité humaine, dans la civilisation, un point culminant, un lieu central, un foyer, un sommet. Ce sommet, ce fut la tribune de France ; admirable point de repère pour les générations en marche, cime éblouissante dans les temps paisibles, fanal dans l’obscurité des catastrophes. Des extrémités de l’univers intelligent, les peuples fixaient leur regard sur ce faîte où rayonnait l’esprit humain ; quand quelque brusque nuit les enveloppait, ils entendaient venir de là une grande voix qui leur parlait dans l’ombre. Admonet et magnâ testatur voce per umbras. Voix qui tout à coup, quand l’heure était venue, chant du coq annonçant l’aube, cri de l’aigle appelant le soleil, sonnait comme un clairon de guerre ou comme une trompette de jugement, et faisait dresser debout, terribles, agitant leurs linceuls, cherchant des glaives dans leurs sépulcres, toutes ces héroïques nations mortes, la Pologne, la Hongrie, l’Italie ! Alors, à cette voix de la France, le ciel splendide de l’avenir s’entr’ouvrait, les vieux despotismes aveuglés et épouvantés courbaient le front dans les ténèbres d’en bas, et l’on voyait, les pieds sur la nuée, le front dans les étoiles, l’épée flamboyante à la main, apparaître, ses grandes ailes ouvertes dans l’azur, la Liberté, l’Archange des Peuples !