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ouvrage tout neuf, nous ne pouvons l’entendre que de la manière de présenter les faits, et nullement des faits en eux-mêmes. Les faits sont un fonds commun dont nul n’a la propriété, et sur lequel tous ont
un droit d’usage. Ce qui appartient seulement à chacun, c’est l’emploi
particulier qu’il a fait de ce qu’il en a tiré par son propre travail. « Personne jusqu’ici, dit Bayle, n’a poussé l’extravagance jusques à traiter de plagiaires ceux qui rapportent les événements qu’un autre avait rapportés, mais qui les vont prendre a la source, et qui n’emploient ni le tour, ni l’ordre, ni les expressions d’un autre. Il n’y a point d’apparence qu’a l’avenir personne s’avise de définir si follement le plagiat (Bayle, Préface du ’’Diction. Hist.’’ ) ». Nous verrons si Bayle n’a pas trop présumé de la raison de ceux qui devaient venir après lui.
 
Sans vouloir exagérer l’importance d une ’’Biographie universelle’’ y on peut assurer que nul autre ouvrage ne comprend autant d’objets divers, ou plutôt qu’il n’est point d’objet qu’elle ne doive comprendre. Tout ce qui a existé, tout ce qui existe en grands événements politiques, militaires, civils et religieux, en utiles travaux des sciences, en nobles productions des lettres et en précieux monuments des arts ; toutes ces choses, ouvrages d’hommes qui se sont illustrés par elles, doivent être nécessairement indiquées et même jugées dans une Histoire de tous les hommes célèbres de l’univers. Si cette proposition est vraie, nous ne saurions, à moins de supposer une compilation incomplète et indigeste, faite sans exactitude et sans discernement, imaginer qu’une telle entreprise puisse être exécutée par un ou deux hommes seulement, de quelques secours qu’ils soient environnés. Il lions semble les voir arrachant des lambeaux de mille ouvrages qu’au moins ils auront ouverts une fois, s’en rapportant même pour ce travail a des mains plus inhabiles encore qu’ils ne sauraient diriger, rassemblant à la hâte ces matériaux pris au hasard, entassant les erreurs et les vérités, les traits d’esprit et les sottises, et, pour ainsi dire, recrépissant le tout d’un style de mauvais goût, où brillent par intervalles quelques phrases d’emprunt, honteuses d’un si ridicule enchâssement. Le vrai moyen sans doute de parvenir à un résultat satisfaisant était de diviser l’ensemble des connaissances humaines en un grand nombre de parties distinctes, et de confier chacune d’elles à un écrivain qui en eût fait l’objet spécial de ses études. Telle a été la première pensée, tel a été le premier soin des éditeurs de la ’’Biographie universelle’’. Paris, plus que jamais la capitale des sciences, des lettres et des arts, Paris seul pouvait leur offrir une réunion semblable de collaborateurs, et c’est à Paris seulement que ceux-ci pouvaient remplir parfaitement une tâche pour laquelle le jugement, l’esprit et le savoir sont des moyens insuffisants. Dans quelle autre ville de la France <!--page XIII
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trouver ces milliers d’ouvrages manuscrits et imprimés, anciens et modernes, nationaux et étrangers ; ces communications verbales, et cette tradition d’anecdotes de tout genre qui fournissent à la science des faits ses plus précieux matériaux ?
 
L’annonce d’un ouvrage ’’par une société de savants et de gens de lettres’’ est devenue une des plus ridicules et des plus impuissantes amorces qu’il soit possible maintenant de présenter a la crédulité du public. Souvent ces ’’savants’’ et ces ’’gens de lettres’’ anonymes ignorent tout et ne savent point écrire. Quelquefois aussi des noms justement honorés, arrachés par l’importunité ou même pris sans consentement, décorent gratuitement des ’’Prospectus’’ trompeurs, et sont ainsi plus ou moins innocemment complices de la fraude. Mais ici les écrivains sont nommés ; tous sont connus ; plusieurs ont de la célébrité ; les autres y aspirent, ou du moins prétendent à cette considération qui est le prix des travaux utiles. Tous leurs articles sont signés de leur nom ; et ce nom, quel qu’il soit, ils n’ont pas voulu le compromettre, en l’attachant à des choses qui ne fussent pas dignes de leurs travaux passés, ou qui formassent un préjugé fâcheux contre leurs travaux futurs.
 
Quelques personnes pourraient craindre que, d’un si grand nombre de collaborateurs, et de la diversité inévitable de leurs opinions sur plusieurs points, il ne résultât un défaut d’accord trop sensible, non pas dans le ton et le style, mais dans ce qu’on pourrait appeler l’esprit de l’ouvrage. Cette crainte serait chimérique. C’est aux faits principalement que les rédacteurs ont dû s’attacher ; or les faits sont d’une nature fixe et positive ; ils sont ou ils ne sont pas ; pour les admettre ou les rejeter, la critique offre des règles sûres que le raisonnement est loin de fournir lorsqu’il s’agit d’opinions. Quant aux jugements à porter sur les personnages et sur leurs actions ou leurs travaux, il est, en matière de morale et de goût, des principes certains, sur lesquels tous les hommes d’honneur et de sens sont d accord, et qu’ils se font surtout une loi de professer dans ces ouvrages faits en société, et destinés a la masse entière du public, puisque là de brillants paradoxes, qui seraient à peu près sans gloire pour celui qui les aurait avancés, ne seraient peut-être pas sans danger pour l'entreprise commune. Enfin, les importantes divisions de cette espèce d'Encyclopédie historique ayant été partagées entre autant d'écrivains à qui elles étaient familières, on est sûr du moins de trouver, dans chacune d'elles, unité de principes et de vues. C'est véritablement dans un Dictionnaire historique fait par deux personnes, et encore plus par une seule, qu'il doit exister beaucoup de discordance et de disparate ; car, dans l'impossibilité d'avoir des idées propres sur les innombrables objets dont ils ont à s'occuper, ils sont forcés de prendre <!--page XIV
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aveuglément celles de tous les auteurs qu'ils mettent à contribution, et ainsi leur compilation devient en effet l'ouvrage d'un millier d'esprits différents.
 
Il est un point sur lequel tous les auteurs de la Biographie se sont entendus sans avoir été obligés d'en convenir entre eux, c'est la précision dans les choses et la concision dans le style. L'espace était bien précieux dans un ouvrage qui aurait pu, sans diffusion et sans inutilités, être porté au double de son étendue, et où l’on n'a cependant pas voulu renfermer moins de choses, que s'il était en effet deux fois aussi volumineux. Pour résoudre ce problème, on a dû respecter les faits, mais se commander des sacrifices sur la manière de les exprimer, de même que sur le nombre et la forme des réflexions. Il a fallu s'interdire ce luxe modéré de paroles qui donne au style du jeu, de la souplesse et de la grâce. Il a fallu se défendre souvent ces observations et ces résumés qui seuls impriment aux écrits un caractère philosophique ; et (les éditeurs peuvent le dire sans ridicule) il est des collaborateurs a qui il en a dû coûter beaucoup pour renoncer ainsi aux plus heureuses habitudes de leur talent. Mais ils les ont remplacées par d'autres qualités qui ne sont ni sans mérite, ni sans gloire : la nette et rapide exposition des faits, l'adroite disposition qui les groupe et les place sous le point de vue convenable, enfin cet art ingénieux des rapprochements qui supplée a l'expression des pensées, puisqu'il les fait naître dans l'esprit du lecteur.
 
Un défaut attaché presque inévitablement à la partie moderne de toute ''Biographie'' dite ''universelle'' y c'est d'abonder en noms nationaux et d'être pauvre en noms étrangers. Il serait peut-être a souhaiter que l'on fît une Biographie européenne, où les personnages historiques de chaque nation fussent admis dans une proportion que déterminerait seule la raison du nombre et de l'excellence. Cependant, une Biographie écrite en français, par exemple, est particulièrement destinée aux habitants de la France ; et ceux-ci, pour qui l'histoire de leurs compatriotes a plus de charme et d'utilité a la fois, accorderont toujours à des Français, moins connus et moins dignes de l'être, une importance, ou, si l'on veut, un intérêt qu'ils refuseront à des étrangers d'une plus grande et plus juste renommée. Au reste, nous avons donné place aux personnages de tous les pays, quand leurs actions et leurs travaux en ont franchi l'enceinte, et sont parvenus jusqu'aux hommes éclairés des autres nations. Des écrivains que l'on distinguera sans peine sur notre liste, profondément versés dans la science de l'histoire et de la littérature anglaise, italienne, allemande, espagnole et portugaise, en ont tiré tout ce qui pouvait être d'un intérêt vraiment universel ; et c'est a cela en grande partie qu'il faut attribuer le développement assez considérable qu'a pris notre ouvrage. Pour faire place à ces richesses nouvelles, nous avons écarté les êtres collectifs, tels que sectes, ordres <!--page XV
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religieux, etc., qui ne peuvent appartenir à la Biographie, et les personnages fabuleux, dont la bizarre association aux personnages réels implique étrangement contradiction, dans un Dictionnaire ''historique'' ou ''biographique des hommes célèbres'', puisque ce ne sont point des ''hommes'', puisqu'ils n'ont point ''vécu'', puisqu'ils n'appartiennent point à l’''histoire''. Si d'ailleurs les êtres fantastiques, éclos du cerveau des poètes anciens, ont dû entrer dans une Biographie, de quel droit en a-t-on exclu les êtres chimériques, enfantés par l'imagination des poètes, des chroniqueurs et des romanciers du moyen âge ? Nous avons laissé les uns et les autres dans les Dictionnaires mythologiques, rédigés par deux de nos collaborateurs, MM. Noël et Millin, et nous nous sommes fait une loi de n'admettre aucun des noms qui se trouvent dans ces deux ouvrages.
 
« Sans l'Histoire littéraire, a dit Bacon, l'Histoire de l'univers ressemblerait à la statue de Polyphème dont on aurait arraché l'œil : il manquerait a l'image la partie où se peignent à mieux l'esprit et le caractère de la personne (1)<ref>(1) ''« Historia mundi, si hac parte'' (Historia litterarum) ''fuerit destituta, non absimilis censeri possit'' statuae Polyphemi, '''eruto oculo ; cum ea pars imaginis desit, quae ingenium et indolem personae maxime referat''. » Bacon, ''de Augmentis Scientiarum'', lib. 2, cap. 4.</ref>. » Nous nous sommes beaucoup occupés de la partie politique, défigurée et tronquée dans les autres Dictionnaires ; mais nous avons donné en même temps les plus grands soins a l'histoire littéraire, et par-là nous entendons l'histoire des sciences, des lettres et des arts. La vie de ceux qui s'y sont illustrés est presque toute entière dans leurs travaux : serait-ce écrire la vie de Newton, de Racine et de Raphaël, que de marquer seulement l'époque et le lieu de leur naissance et de leur mort, et de raconter quelques incidents d'une vie sédentaire, que surpasseront toujours en nombre, en éclat et en intérêt les aventures du moindre personnage qui aura suppléé à l'activité de l'esprit par celle du corps ? Connaîtrait-on ces grands hommes, si l'on ne connaissait les ouvrages qui les ont immortalisés ? Loin de nous cependant la ridicule pensée que, dans les bornes étroites où le plus grand personnage devait être resserré, nous ayons réussi à renfermer une analyse ou une description complète de ces chefs-d'œuvre du génie. Mais du moins nous croyons pouvoir nous rendre cette justice, que nous en avons donné un aperçu exact, et que nous en avons porté des jugements réfléchis, exprimés en traits précis et caractéristiques. Nous avons abandonné les phrases vagues et banales à ceux qui, ne connaissant point les objets, ont l'étrange audace d'en parler. Ce sont là des avantages que nous devons à ce <!--
 
(1) « ''Historia mundi, si hac parte'' (Historia litterarum) ''fuerit destituta, non absimilis censeri possit'' statuae Polyphemi, '''eruto oculo ; cum ea pars imaginis desit, quae ingenium et indolem personae maxime referat''. » Bacon, ''de Augmentis Scientiarum'', lib. 2, cap. 4.
 
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partage de matières dont il a été question plus haut, et c'est en particulier dans les objets qui sortent de la sphère des connaissances communes, tels que les sciences et les arts libéraux, que ces avantages se feront sentir, surtout si l’on nous fait la faveur de nous juger un peu par comparaison.
 
La ''Bibliographie'', cette partie si essentielle de la science littéraire, a été l'objet d'une attention toute particulière. Les articles, déjà faits soigneusement sous ce rapport, ont été revisés par plusieurs personnes, remplies de zèle et d'instruction, qui se sont livrées à des recherches pénibles et sans nombre, afin de parvenir a indiquer exactement tous les ouvrages dignes de mention, ainsi que les meilleures éditions de ces ouvrages.
 
L’''Histoire politique'', qui se trouve nécessairement liée à la vie des monarques, des hommes d'état et des guerriers, et qui compose ce qu'on pourrait nommer la partie publique de leur biographie ; l’''Histoire politique'' a été rédigée de manière à former un corps complet, dont toutes les parties pussent au besoin se répondre et se rattacher entre elles. Des renvois signalent le rapport que l'identité des événements établit entre les divers articles ; et ainsi l’enchaînement de ces renvois met le lecteur à même de parcourir, de suite et sans beaucoup de peine, toute l'histoire d'une époque ou d'une période intéressante. Quelquefois un renvoi forme à lui seul l'article entier d'un personnage secondaire, lorsque l'existence historique de celui-ci se compose uniquement de la part plus ou moins grande qu'il a prise a quelque événement raconté dans la vie d'un autre personnage de première ligne. Par ce moyen, nous avons évité les redites, et ménagé, au profit de l'ensemble, un espace que tant de matières se disputaient.
 
Il est souvent arrivé qu'un même personnage ait appartenu a la fois a l'histoire politique et à l'histoire littéraire, ou a quelques branches distinctes de l’une ou de l'autre. Confié à un collaborateur unique, son article eût peut-être été imparfait dans quelqu'une de ses parties. Il a successivement passé dans les mains d'autant de rédacteurs qu'il pouvait comprendre d'éléments divers, ou du moins des notes ont été fournies à un seul par tous les autres, de manière que chaque objet portât l'empreinte d'une étude positive et approfondie. Ainsi l'histoire des animaux d'Aristote, par exemple, n'a pas été jugée par un helléniste, ni sa poétique, par un zoologiste.
 
Un reproche que l'on fait a tous les Dictionnaires qui ne sont pas de simples lexiques de mots, mais qu'il leur est absolument impossible d'éviter, a moins de cesser d'être des Dictionnaires, c'est le défaut de liaison des matières, et la distance que met entre les objets contigus, le hasard, nous dirions presque le caprice de l'ordre alphabétique. Il suffirait peut-être d'observer que les Dictionnaires sont <!--pageXVIII
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des livres, non de lecture suivie, mais de recherche et de consultation, et que l'on blâme précisément en eux ce qui les rend propres a cette destination. Il nous semble qu'il n’y aurait pas beaucoup plus d'injustice a se plaindre de la continuité qui règne dans les autres ouvrages, en ce qu'elle empêche de trouver facilement, et au besoin, les choses dont elle est composée et comme tissue. Chaque forme est déterminée par un motif particulier d'utilité ou d'agrément, et l’on n'a pas le droit d'exiger d'elle les avantages d'une autre forme. Toutefois, portant le désir de plaire au public jusqu'à vouloir obvier, autant du moins qu'il est possible, à un inconvénient dont nous sommes peu frappés, nous avons résolu de placer à la fin du Dictionnaire une suite de Tables méthodiques, dont chacune comprend les noms des personnages qui se sont rendus célèbres dans l'histoire d'une nation, ou d'une science, ou d'un art. Par exemple, la série des princes et des hommes d'état et de guerre de la France, formera une sorte de tableau synoptique de notre histoire ; et la liste des peintres mettra, en quelque manière, sous les yeux, l'ensemble de l’histoire de la peinture dans tous les pays et dans tous les siècles. Il en sera de même pour toutes les branches de la littérature, des arts et de l'histoire politique.
 
Le fil chronologique doit lier aussi, mais d’autre manière, les parties de la ''Biographie universelle''. Il est nécessaire qu'elles soient toutes assujéties à une supputation uniforme. La chronologie ancienne est hérissée de difficultés. Scaliger, Petau, Usserius, Dodwel et beaucoup d'autres savants moins connus ont publié des systèmes différents, très difficiles à concilier. Nous nous sommes conformés de préférence a celui d'Alphonse de Vignoles, qui du moins a eu la sagesse de ne pas vouloir asservir la chronologie dune nation à celle d'une autre, dans un temps où ces deux nations n'avaient entr'elles aucun rapport conim. Nous avons donc donné la chronologie Egyptienne, telle que la donnaient les Egyptiens ; celle des Chinois, telle qu'on la donne encore à la Chine ; et ainsi des autres. Du reste, nous comptons toujours par année avant et après Jésus-Christ. Quelquefois, cependant, nous employons le mode de supputation usité dans le siècle et dans le pays du personnage, objet de l'article : ainsi, à l'article d'Anacréon, nous avons dû dater par l'ère olympiadique ; à celui d'Appius, par l’année de la fondation de Rome ; à celui d'Abderame, par l'année lunaire de l'hégire. Mais nous avons toujours soin de placer, a côté de chacune de ces dates, l'année correspondante avant ou après l'ère chrétienne,
 
Nous venons de dire quel but nous nous sommes proposé, quels défauts nous avons voulu éviter, quels moyens nous avons mis en usage, quels efforts nous avons employés, c'est maintenant au public à juger si nous avons réussi.
 
A—G—R.
 
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