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=== VII. Une controverse ===
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Or, l’ânesse de Balaam se mit à parler soudain, et sur un thème bizarre. Le matin, Grigori, se trouvant dans la boutique du marchand Loukianov, l’avait entendu raconter ceci : un soldat russe fut fait prisonnier dans une région éloignée par des Asiatiques qui le sommèrent, sous la menace de la torture et de la mort, d’abjurer le christianisme et de se convertir à l’Islam. Ayant refusé de trahir sa foi, il subit le martyre, se laissa écorcher, mourut en glorifiant le Christ. Cette fin héroïque était relatée dans le journal reçu le matin même. Grigori en parla à table. Fiodor Pavlovitch avait toujours aimé, au dessert, plaisanter et bavarder, même avec Grigori. Il était cette fois d’humeur enjouée, éprouvant une détente agréable. Après avoir écouté la nouvelle en sirotant son cognac, il insinua qu’on aurait dû canoniser ce soldat et transférer sa peau dans un monastère. « Le peuple la couvrirait d’argent. » Grigori se renfrogna, en voyant que, loin de s’amender, Fiodor Pavlovitch continuait à railler les choses saintes. À ce moment, Smerdiakov, qui se tenait près de la porte, sourit. Déjà, auparavant, il était souvent admis dans la salle à manger, vers la fin du repas ; mais depuis l’arrivée d’Ivan Fiodorovitch, il y venait presque tous les jours.
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— Oui, mais un péché véniel, jugez-en vous-même, Grigori Vassiliévitch. Si j’avais alors cru à la vérité comme il importe d’y croire, c’eût été vraiment un péché de ne pas subir le martyre et de me convertir à la maudite religion de Mahomet. Mais je n’aurais pas subi le martyre, car il me suffisait de dire à cette montagne : marche et écrase le bourreau, pour qu’elle se mît aussitôt en mouvement et l’écrasât comme un cafard, et je m’en serais allé comme si de rien n’était, glorifiant et louant Dieu. Mais si à ce moment je l’avais déjà tenté et que j’eusse crié à la montagne : écrase les bourreaux, sans qu’elle le fît, comment alors, dites-moi, n’eussé-je pas douté à cette heure redoutable de frayeur mortelle ? Comment ! je sais déjà que je n’obtiendrai pas entièrement le royaume des cieux, car si la montagne ne s’est pas ébranlée à ma voix, c’est que ma foi n’est guère en crédit là-haut, et que la récompense qui m’attend dans l’autre monde n’est pas fort élevée ! Et vous voulez que par-dessus le marché, je me laisse écorcher en pure perte ! Car, même écorché jusqu’au milieu du dos, mes paroles ou mes cris ne déplaceront pas cette montagne. À pareille minute, non seulement le doute peut vous envahir, mais la frayeur peut vous ôter la raison. Par conséquent, suis-je bien coupable, si, ne voyant nulle part ni profit ni récompense, je sauve tout au moins ma peau ? Voilà pourquoi, confiant en la miséricorde divine, j’espère être entièrement pardonné… »
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