« Les Frères Karamazov (trad. Henri Mongault)/II/07 » : différence entre les versions

Contenu supprimé Contenu ajouté
Ligne 1 :
{{TextQuality|50%}}
=== VII. Un séminariste ambitieux ===
<div class="text">
{{ChapitreNav|[[Auteur:Fédor Dostoïevski|Dostoïevski]], traduit par [[Auteur:Henri Mongault|H. Mongault]]|[[Les Frères Karamazov (trad. Henri Mongault)|Les Frères Karamazov]], 1923|Livre II : Une réunion déplacée|[[../06|Chap. VI]]| |[[../08|Chap. VIII]]}}
 
=== VII. {{t2mp|Un séminariste ambitieux ===|VII}}
 
Aliocha conduisit le starets dans sa chambre à coucher et le fit asseoir sur le lit. C’était une très petite pièce, avec le mobilier indispensable ; le lit de fer étroit n’avait qu’une couche de feutre en guise de matelas. Dans un coin, sur un lutrin, près des icônes, reposaient la croix et l’Évangile. Le starets se laissa choir à bout de forces ; ses yeux brillaient, il haletait. Une fois assis, il regarda fixement Aliocha, comme s’il méditait quelque chose.
Ligne 35 ⟶ 39 :
— Ah ! Je me suis exprimé irrévérencieusement ! Ça ne fait rien. Eh bien, que signifie ce songe ?
 
— Je l’ignore, Micha40Micha.
 
— J’étais sûr qu’il ne te l’expliquerait pas. Ça n’a rien d’étonnant, ce sont toujours les mêmes saintes balivernes. Mais le tour était joué à dessein. Maintenant les bigots vont en parler dans la ville et le colporter dans la province : « Que signifie ce songe ? » À mon avis, le vieillard est perspicace ; il a flairé un crime. Cela empeste, chez vous.
Ligne 71 ⟶ 75 :
— Tu te trompes au sujet de cette femme. Dmitri la… méprise, proféra Aliocha frémissant.
 
Grouchegnka41Grouchegnka ? Non, mon cher, il ne la méprise pas. Puisqu’il a abandonné publiquement sa fiancée pour elle, c’est donc qu’il ne la méprise pas. Il y a là, mon cher, quelque chose que tu ne comprends pas encore. Qu’un homme s’éprenne du corps d’une femme, même seulement d’une partie de ce corps (un voluptueux me comprendrait tout de suite), il livrera pour elle ses propres enfants, il vendra son père, sa mère et sa patrie ; honnête, il ira voler ; doux, il assassinera ; fidèle, il trahira. Le chantre des pieds féminins, Pouchkine, les a célébrés en vers ; d’autres ne les chantent pas, mais ne peuvent les regarder de sang-froid. Mais il n’y a pas que les pieds… En pareil cas, le mépris est impuissant. Ton frère méprise Grouchegnka, mais il ne peut s’en détacher.
 
— Je comprends cela, lança soudain Aliocha.
Ligne 79 ⟶ 83 :
— Tu lui diras que je n’irai pas, jure-le-moi, dit Aliocha avec un sourire contraint. Achève ton propos, Micha, je te dirai ensuite mon idée.
 
— À quoi bon achever, c’est bien clair ! Vieille chanson que tout cela, mon cher ; si tu as un tempérament sensuel, que sera-ce de ton frère Ivan, fils de la même mère ? Car lui aussi est un Karamazov. Or, tous les Karamazov sont de nature sensuels, âpres au gain et déments ! Ton frère Ivan s’amuse maintenant à écrire des articles de théologie, calcul stupide, puisqu’il est athée, et il avoue cette bassesse. En outre, il est en train de conquérir la fiancée de son frère Mitia et paraît près du but. Comment cela ? Avec le consentement de Mitia lui-même, parce que celui-ci lui cède sa fiancée à seule fin de se débarrasser d’elle pour rejoindre Grouchegnka. Et tout cela, note-le, nonobstant sa noblesse et son désintéressement. Ces individus-là sont les plus fatals. Allez-vous y reconnaître après cela : tout en ayant conscience de sa bassesse, il se conduit bassement ! Mais écoute la suite : un vieillard barre la route à Mitia, son propre père. Car celui-ci est follement épris de Grouchegnka, l’eau lui vient à la bouche rien qu’à la regarder. C’est uniquement à cause d’elle, parce que Mioussov avait osé la traiter de créature dépravée, qu’il vient de faire tout ce scandale. Il est plus amoureux qu’un chat. Auparavant, elle était seulement à son service pour certaines affaires louches ; maintenant, après l’avoir bien examinée, il s’est aperçu qu’elle lui plaisait, il s’acharne après elle et lui fait des propositions, déshonnêtes s’entend. Eh bien, c’est ici que le père et le fils se heurtent. Mais Grouchegnka se réserve, elle hésite encore et taquine les deux, examine lequel est le plus avantageux, car si on peut soutirer beaucoup d’argent au père, en revanche, il n’épousera pas et finira peut-être par fermer sa bourse, tandis que ce gueux de Mitia peut lui offrir sa main. Oui, il en est capable ! Il abandonnera sa fiancée, une beauté incomparable, Catherine Ivanovna riche, noble et fille de colonel, pour se marier avec Grouchegnka, naguère entretenue par Samsonov, un vieux marchand, moujik dépravé et maire de la ville. De tout ceci, il peut vraiment résulter un conflit et un crime. C’est ce qu’attend ton frère Ivan ; il fait ainsi coup double : il prend possession de Catherine Ivanovna, pour laquelle il se consume, et empoche une dot de soixante mille roubles. Pour un pauvre hère comme lui, ce n’est pas à dédaigner. Et remarque bien ! Non seulement, ce faisant, il n’offensera pas Mitia, mais celui-ci lui en saura gré jusqu’à sa mort. Car je sais de bonne source que la semaine dernière Mitia, se trouvant ivre dans un restaurant avec des tziganes, s’est écrié qu’il était indigne de Katineka42Katineka, sa fiancée, mais que son frère Ivan en était digne. Catherine Ivanovna elle-même finira par ne pas repousser un charmeur comme Ivan Fiodorovitch ; elle hésite déjà entre eux. Mais par quoi diantre cet Ivan a-t-il pu vous séduire, pour que vous soyez tous en extase devant lui ? Il se rit de vous. « Je suis aux anges, prétend-il, et je festoie à vos dépens. »
 
— D’où sais-tu tout cela ? Pourquoi parles-tu avec une telle assurance ? demanda soudain Aliocha en fronçant le sourcil.
Ligne 136 ⟶ 140 :
 
Rakitine avait deviné juste : un scandale inouï s’était déroulé comme « par inspiration ».
</div>