« Les Œuvres et les Hommes/Les Philosophes et les Écrivains religieux (1860)/Le P. Enfantin » : différence entre les versions

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{{c|P. ENFANTIN<smallref>''Réponse'' ''au'' ''R''. ''P''. ''Félix'', ''sur'' ''les'' ''quatrième'', ''cinquième'' ''et'' ''sixième'' ''conférences'' ''de'' ''Notre''-''Dame'', par P. Enfantin.</smallref>}}
 
 
 
 
 
<small>''Réponse'' ''au'' ''R''. ''P''. ''Félix'', ''sur'' ''les'' ''quatrième'', ''cinquième'' ''et'' ''sixième'' ''conférences'' ''de'' ''Notre''-''Dame'', par P. Enfantin.</small>
 
 
 
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Après les malheurs de Ménilmontant, les prêtres de Saint-Simon étaient, comme on le sait, devenus laïques, et ils avaient même grimpé en quelques années, avec beaucoup d’agilité, à des positions qui ne manquaient ni d’élévation ni d’influence. Ils ne disaient mot de la doctrine, du moins devant le public, mais on remarquait qu’ils se tenaient comme des crustacés et s’appuyaient les uns les autres. Ils n’avaient pas pour rien ''communié'' à la salle de la rue Taitbout, mais cela se comprend et cela touche presque… Ce qui unit peut-être le mieux les hommes pour les jours de maturité et de sagesse, ce sont les sottises faites en commun dans la jeunesse ; ce sont les bêtises de leur printemps !
 
Mais on se trompait. Ils n’étaient pas finis. Le manifeste, car c’est un manifeste que M. Enfantin vient de publier sous ce titre singulier, mais modeste : ''Réponse'' ''au'' ''R''. ''P''. ''Félix'', ''sur'' ''les'' ''quatrième'', ''cinquième'' ''et'' ''sixième'' ''Conférences'' ''de'' ''Notre''-''Dame'', prouve, par sa teneur, ses termes exprès, le ton qui l’anime, que le saint-simonisme n’est pas mort ou que ce qui en survit n’est pas simplement une opinion individuelle. Il prouve, ce manifeste ironique ou patelin (et peut-être tous les deux), que le saint-simonisme a gardé la prétention d’être une Église, une Église cachée et qui se croit persécutée sans doute, car le mépris d’un temps, qui a encore à sa disposition les lucidités du ridicule et l’éclat de rire, peut paraître, à certaines gens sensibles, une persécution.
 
Le manifeste dit ''nous'', comme si M. Enfantin parlait au nom de quelque chose de constitué, de collectif et d’officiel, avec quoi non-seulement l’avenir, mais le présent, fût obligé à compter. Quoique le paletot soit boutonné par-dessus la tunique, l’incognito laïque de M. Enfantin ne veut pas être gardé… Il y a dans cette mise en scène de jolies finesses. La signature de la brochure (P. Enfantin), veut aussi bien dire Père Enfantin que Pierre ou Paul Enfantin. Un bout du prêtre passe, comme un bout de décoration !
 
Écoutez ces solennelles paroles : « En parlant de nos travaux productifs, dit M. Enfantin (page 44 de sa brochure), je peux les comparer aux tentes que saint Paul tissait et vendait pour vivre, pour avoir la force de semer partout sa parole de vie… Alors pour lui, comme aujourd’hui pour nous, la foi ne donnait pas de quoi vivre. Ce fut longtemps après saint Paul que l’on put dire : le ''prêtre'' ''vit'' ''de'' ''l’autel''… Êtes-vous bien certain que nous n’employons pas le produit de nos tentes, d’une part à protéger notre ''foi'' ''qui'' ''n’est'' ''pas'' ''salariée'', comme le sont ''plusieurs'' ''et'' ''spécialement'' ''la'' ''vôtre'', de l’autre à guérir, à soutenir, à relever nos pauvres, à qui nous n’infligeons pas la discipline et à qui nous ne conseillons pas de se l’infliger à eux-mêmes ?… »
 
C’est ainsi que M. Enfantin, l’ex-pape saint-simonien, se pose à nouveau, non pas en saint Pierre de cette fois, mais en saint Paul de l’Église future qui doit prochainement succéder à la vieille Église chrétienne, et déclare aujourd’hui avoir — comme prêtre ! — non pas charge d’âmes (le mot serait trop chrétien), mais charge de corps, charge de chair souffrante. Oui, à en croire cette déclaration, onctueusement superbe, où le Père suprême, qui n’est plus vêtu de bleu, mais de noir, parle doux, comme l’huissier de Molière :
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En effet, malgré les précautions diplomatiques et séniles de M. Enfantin pour cacher et faire accepter à la pudeur publique, qu’elle outrage, une doctrine qui se trouvait plus religieuse d’aller toute nue, quand elle était plus jeune, il ne faut pas perdre de vue qu’il s’agit ici, comme au temps où le saint-simonisme cherchait la femme, de la réhabilitation de la chair. Réhabiliter la chair — l’expression est maintenant consacrée — l’élever au niveau de l’âme, qui ne doit plus lui commander, cette idée anarchique et grossière, chère à tant d’hérésies, qui, en l’infectant, en ont épouvanté le monde, voilà le premier et le dernier mot de Saint-Simon et de son évangéliste Enfantin. Campée audacieusement à la tête d’une théorie comme l’aurait lancée Saint-Simon tout seul, ce gentilhomme impertinent et dépravé, qui se croyait sorti de la cuisse de Charlemagne, dont il descendait peut-être par Eginhart, cette idée dans sa crudité eût probablement révolté jusqu’aux vices d’un temps aussi admirablement couard que le nôtre, sans le travail rie haute confusion et d’immense hypocrisie que vient de lui faire subir M. Enfantin. Le croirez-vous ? dans cette réponse, dont les conférences du P. Félix ne sont que le prétexte, M. Enfantin assimile, avec une perversion du sens intellectuel qui pourrait bien être une perversité, sa pensée à la pensée chrétienne.
 
Le Verbe a été fait chair, dit saint Jean, et il a habité parmi nous. Or, c’est en tordant ce texte sous une interprétation qui ment à nous ou à elle-même que le théologien du saint-simonisme essaie de nous faire accepter la divinité de la chair. « Cette divinité n’est plus dans l’hostie, — dit-il en commençant par un blasphème, — symbole, figure, mysticité ! Non, elle est sur les champs de bataille, couverts de ''frères'' ''blessés'' qui se sont égorgés entre eux… Elle est dans des bouges infects où l’homme meurt de douleur, de honte et de misère… elle est sur ces calvaires impies où l’homme condamne à ''mort'' ''son'' ''frère''…. Elle est dans les ateliers où l’on travaille… dans les ''lupanars'' où la ''fille'' ''du'' ''peuple'' vend ''sa'' ''chair'' (bien portante) jusqu’à ce qu’on la jette ''pourrie'' à l’hôpital. Elle est en ''moi'' et dans l’homme du peuple, qui ''est'' ''l’Homme''-''Dieu'' ''du'' ''Golgotha''… » Telle est l’énumération par laquelle M. Enfantin ouvre son livre ; et ces huit premiers paragraphes, dont nous abrégeons le contenu, tout en en signalant l’idée, contiennent l’essence de sa brochure.
 
La chair de l’homme dont la substance est dévorée par les maladies qui la mènent à la mort et la chair du Verbe prise par lui, le Verbe, dans des entrailles immaculées et dont la substance immortelle doit braver la mort et donner ici-bas un témoignage de puissance et de toute-puissance, par le fait éclatant de la résurrection, ces deux contraires, du tout au tout, sont mêlés par M. Enfantin dans les plateaux d’une seule balance et il en ''constate'' l’égalité. Il en fait de même de son esprit, à lui, Enfantin ! et de l’esprit de Jésus-Christ, et il croit évidemment que nous admettrons de telles choses !! Il semble avoir un œil qui grossit l’infiniment presque rien et un œil qui réduit à presque rien l’infiniment grand. Son procédé, s’il est de bonne foi, ce dont il est d’ailleurs permis de douter, pour l’honneur de son intelligence, consiste à renverser la pyramide, mais en élargissant la pointe qui formait le haut et en en diminuant la base. C’est donc, tout en parlant avec componction des idées chrétiennes, le renversement, bout pour bout, de ces idées et la ruine de la civilisation qu’elles ont faite.
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Nous eussions sonné volontiers la trompette de ce tournoi, — mais, hélas ! les saint-simoniens aiment la paix et la veulent… universelle !
 
 
 
 
 
 
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