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croire à la grande nouveauté de son invention, que
croire à la grande nouveauté de son invention, que la pitié – cette pitié qu’il observe si imparfaitement et qu’il décrit si mal — est la source de toute action morale présente et future – et justement à cause des attributions qu’il a dû commencer par inventer pour elle. – Qu’est-ce qui distingue, en fin de compte, les hommes sans pitié des hommes compatissants ? Avant tout – pour ne donner encore qu’une esquisse à gros traits, – ils n’ont pas l’imagination irritable de la crainte, la subtile faculté de pressentir le danger ; aussi leur vanité est-elle blessée moins vite s’il arrive quelque chose qu’ils auraient pu éviter (la précaution de leur fierté leur ordonne de ne pas se mêler inutilement des affaires des autres, ils aiment même, puisqu’ils agissent ainsi, que chacun s’aide soi-même et joue ses propres cartes). De plus, ils sont généralement plus habitués à supporter les douleurs que les hommes compatissants, et il ne leur semble pas injuste que d’autres souffrent puisqu’ils ont souffert eux-mêmes. Enfin l’aspect des cœurs sensibles leur fait de la peine, comme l’aspect de la stoïque impassibilité aux hommes compatissants ; ils n’ont, pour les cœurs sensibles, que des paroles dédaigneuses et craignent que leur esprit viril et leur froide bravoure ne soient en danger, ils cachent leurs larmes devant les autres et les essuient, irrités contre eux-mêmes. Ils font partie d’une autre espèce d’égoïstes que les compatissants ; – mais les appeler mauvais dans un sens distinctif, et, bons les hommes compatissants, ce n’est là qu’une mode morale qui a son temps : tout comme la mode contraire a eu son temps, un temps très long.
la pitié — cette pitié qu’il observe si imparfaitement
et qu’il décrit si mal — est la source de toute action
morale présente et future — justement à cause des
attributions qu’il a dû commencer par ''inventer'' pour
elle. — Qu’est-ce qui distingue, en fin de compte, les
hommes sans pitié des hommes compatissants ?
Avant tout, pour ne donner encore qu’une esquisse
à gros traits, ils n’ont pas l’imagination irritable
de la crainte, la subtile faculté de pressentir le
danger ; aussi leur vanité est-elle blessée moins vite
s’il arrive quelque chose qu’ils auraient pu éviter (la
précaution de leur fierté leur ordonne de ne pas se
mêler inutilement des affaires des autres, ils aiment
même, puisqu’ils agissent ainsi, que chacun s’aide
soi-même et joue ses propres cartes). De plus,
ils sont généralement plus habitués à supporter les
douleurs que les hommes compatissants, et il ne leur
semble pas injuste que d’autres souffrent puisqu’ils
ont souffert eux-mêmes. Enfin l’aspect des cœurs
sensibles leur fait de la peine, comme l’aspect de
la stoïque impassibilité aux hommes compatissants ;
ils n’ont, pour les cœurs sensibles, que des paroles
dédaigneuses et craignent que leur esprit viril et
leur froide bravoure ne soient en danger, ils cachent
leurs larmes devant les autres et les essuient,
irrités contre eux-mêmes. Ils font partie d’une
''autre'' espèce d’égoïstes que les compatissants ; — mais
les appeler ''méchants'' dans un sens distinctif, et,
appeler les hommes compatissants ''bons'', ce n’est là
qu’une mode morale qui a son temps : tout comme la
mode contraire a eu son temps, un temps très long.