« Le Livre de la jungle (trad. Fabulet et Humières, ill. Becque)/La Chasse de Kaa » : différence entre les versions

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Alors commença leur fuite, et la fuite du Peuple Singe au travers de la patrie des arbres est une chose que personne ne décrira jamais. Ils y ont leurs routes régulières et leurs chemins de traverse, des côtes et des descentes,
 
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tous tracés à cinquante, soixante et cent pieds au-dessus du sol, et par lesquels ils voyagent, même la nuit, s’il le faut. Deux des singes les plus forts avaient empoigné Mowgli sous les bras et volaient à travers les cimes des arbres par bonds de vingt pieds à la fois. Seuls, ils auraient avancé deux fois plus vite, mais le poids de l’enfant les retardait. Tout mal à l’aise et pris de vertige qu’il se sentît, Mowgli ne pouvait s’empêcher de jouir de cette course furieuse ; mais il frissonna d’apercevoir par éclairs le sol si loin au-dessous de lui ; et les chocs et les secousses terribles, au bout de chaque saut qui le balançait à travers le vide, lui mettaient le cœur entre les dents. Son escorte s’élançait avec lui vers le sommet d’un arbre jusqu’à ce qu’il sentît les extrêmes petites branches craquer et plier sous leur poids ; puis, avec un han guttural, ils se jetaient, décrivaient dans l’air une courbe descendante et se recevaient suspendus par les mains et par les pieds, aux branches basses de l’arbre voisin.
 
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Ainsi, à grand renfort de bonds, de fracas, d’ahans, de hurlements, la tribu tout entière des Bandar-log filait à travers les routes des arbres avec Mowgli leur prisonnier.
 
D’abord, il eut peur qu’on ne le laissât tomber ; puis, il sentit monter la colère. Mais il savait l’inutilité de la lutte, et
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il se mit à réfléchir. La première chose à faire était d’avertir Baloo et Bagheera, car, au train dont allaient les singes, il savait que ses amis seraient vite distancés. Regarder en bas, cela n’eût servi de rien, car il ne pouvait voir que le dessus des branches ; aussi dirigea-t-il ses yeux en l’air et vit-il, loin dans le bleu, Chil le Vautour en train de flâner et de tournoyer au-dessus de la Jungle qu’il surveillait dans l’attente de choses à mourir. Chil s’aperçut que les singes portaient il ne savait quoi, et se laissa choir de quelques centaines de pieds pour voir si leur fardeau était bon à manger. Il siffla de surprise quand il vit Mowgli remorqué à la cime d’un arbre et l’entendit lancer l’appel du vautour :
 
— Nous sommes du même sang, toi et moi.
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— De Mowgli, la Grenouille… le Petit d’Homme… ils m’appellent !… Relève ma tra… ace
!
Les derniers mots furent criés à tue-tête, tandis qu’on le balançait dans l’air ; mais Chil fit un signe d’assentiment et s’éleva en ligne perpendiculaire jusqu’à ce qu’il ne parût pas plus gros qu’un grain de sable ; alors, il resta suspendu, suivant
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du télescope de ses yeux le sillage dans les cimes, tandis que l’escorte de Mowgli y passait en tourbillon.
 
— Ils ne vont jamais loin, dit-il avec un petit rire, ils ne font jamais ce qu’ils ont projeté de faire. Toujours prêts, les Bandar-log, à donner du bec dans les nouveautés. Cette fois, si j’ai bon œil, ils ont mis le bec dans quelque chose qui leur donnera de la besogne, car Baloo n’est pas un poussin, et Bagheera peut, je le sais, tuer mieux que des chèvres.
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— À ce pas !… Il ne forcerait pas une vache blessée. Docteur de la Loi… frappeur d’enfants… un mille à rouler et tanguer de la sorte, et tu éclaterais. Assieds-toi tranquille et réfléchis ! Fais un plan ; ce n’est pas le moment de leur donner la chasse. Ils pourraient le laisser tomber, si nous les serrions de trop près…
 
— ''Arrula ! Whoo !…''
— ''Arrula ! Whoo !…'' Ils l’ont peut-être laissé tomber déjà, fatigués de le porter. Qui peut se fier aux Bandar-log ?… Qu’on me mette des chauves-souris mortes sur la tête !… Qu’on me donne des os noirs à ronger !… Qu’on me roule dans les ruches des abeilles sauvages pour que j’y sois piqué à mort, et qu’on m’enterre avec l’hyène, car je suis le plus misérable des ours !… ''Arrulala ! Wahooa !…'' Ô Mowgli, Mowgli ! Pourquoi ne t’ai-je pas prémuni contre le Peuple Singe au lieu de te cogner la tête ? Qui sait maintenant si mes coups n’ont pas fait envoler de sa mémoire la leçon du jour, et s’il ne se trouvera pas seul dans la Jungle sans les Maîtres Mots ?
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— ''Arrula ! Whoo !…'' Ils l’ont peut-être laissé tomber déjà, fatigués de le porter. Qui peut se fier aux Bandar-log ?… Qu’on me mette des chauves-souris mortes sur la tête !… Qu’on me donne des os noirs à ronger !… Qu’on me roule dans les ruches des abeilles sauvages pour que j’y sois piqué à mort, et qu’on m’enterre avec l’hyène, car je suis le plus misérable des ours !… ''Arrulala ! Wahooa !…'' Ô Mowgli, Mowgli ! Pourquoi ne t’ai-je pas prémuni contre le Peuple Singe au lieu de te cogner la tête ? Qui sait maintenant si mes coups n’ont pas fait envoler de sa mémoire la leçon du jour, et s’il ne se trouvera pas seul dans la Jungle sans les Maîtres Mots ?
 
Baloo se prit la tête entre les pattes, et se mit à rouler de droite et de gauche en gémissant.
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— Je me moque bien de ce que pense la Jungle ! Il est peut-être mort à l’heure qu’il est.
 
— À moins qu’ils ne l’aient laissé tomber des branches en manière de passe-temps, qu’ils l’aient tué par paresse de le porter plus loin, ou jusqu’à ce qu’ils le fassent, je n’ai pas peur pour le Petit d’Homme. Il est sage, il sait des choses, et, par-dessus tout, il a ces yeux que craint le Peuple de la Jungle. Mais, et c’est un grand malheur, il est au pouvoir des Bandar-log ; et parce qu’ils vivent dans les arbres, ils ne redoutent personne parmi nous.
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les arbres, ils ne redoutent personne parmi nous.
 
Bagheera lécha une de ses pattes de devant pensivement.
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Là-dessus, Baloo frotta le pelage roussi de sa brune épaule contre la Panthère, et ils partirent ensemble à la recherche de Kaa, le Python de Rocher.
 
Ils le trouvèrent étendu sur une saillie de roc que chauffait le soleil de midi, en train d’admirer la magnificence de son habit neuf, car il venait de consacrer dix jours de retraite à
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changer de peau, et maintenant, il apparaissait dans toute sa splendeur : sa grosse tête camuse dardée au ras du sol, les trente pieds de long de son corps tordus en nœuds et en courbes capricieuses, et se léchant les lèvres à la pensée du repas à venir.
 
— Il n’a pas mangé, — dit Baloo, en grognant de soulagement à la vue du somptueux habit marbré de brun et de jaune. — Fais attention, Bagheera ! Il est toujours un peu myope après avoir changé de peau, et très prompt à l’attaque.
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Il savait qu’il ne faut pas presser Kaa. Il est trop gros.
 
— Permettez-moi de me joindre à vous, dit Kaa. Un coup de patte de plus ou de moins n’est rien pour toi, Bagheera,
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ni pour toi, Baloo ; alors que moi… moi, il me faut attendre et attendre des jours dans un sentier, et grimper la moitié d’une nuit pour le maigre hasard d’un jeune singe. ''Psshaw ! ''Les arbres ne sont plus ce qu’ils étaient dans ma jeunesse. Tous rameaux pourris et branches sèches.
 
— Il se peut que ton grand poids y soit pour quelque chose, répliqua Baloo.
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Or, un serpent, et surtout un vieux python circonspect de l’espèce de Kaa, montre rarement qu’il est en colère, mais Baloo et Bagheera purent voir les gros muscles engloutisseurs onduler et se gonfler des deux côtés de sa gorge.
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— Les Bandar-log ont changé de terrain, dit-il tranquillement. Quand je suis monté ici au soleil, aujourd’hui, j’ai entendu leurs huées parmi les cimes des arbres.
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— J’ai entendu raconter par Sahi (ses piquants le rendent présomptueux) qu’une sorte d’homme était entré dans un clan de loups, mais je ne l’ai pas cru. Sahi est plein d’histoires à moitié entendues et très mal répétées.
 
— Eh bien ! c’est vrai. Il s’agit d’un petit d’homme comme on n’en a jamais vu, dit Baloo. Le meilleur, le plus sage, et le plus hardi des petits d’homme… mon propre élève, qui rendra fameux le nom de Baloo à travers toutes les jungles ; et, de plus, je… nous… l’aimons, Kaa.
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les jungles ; et, de plus, je… nous… l’aimons, Kaa.
 
— ''Ts ! Ts !'' dit Kaa, en balançant sa tête d’un mouvement de navette. Moi aussi, j’ai su ce que c’est que d’aimer. Il y a des histoires que je pourrais dire…
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— La Jungle seule le sait. Vers le soleil couchant, je crois, dit Baloo. Nous avions pensé que tu saurais, Kaa.
 
— Moi ? Comment ?… Je les prends quand ils tombent sur
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ma route, mais je ne chasse pas les Bandar-log, pas plus que les grenouilles, ni que l’écume verte sur les trous d’eau… quant à cela. ''Hsss !''
 
— Ici, en haut ! En haut, en haut ! ''Hillo ! Illo ! Illo,'' regardez en l’air, Baloo du Clan des Loups de Seeonee.
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— On le lui avait enfoncé assez ferme dans la tête, dit Bagheera. Mais nous sommes contents de lui… Et maintenant, il nous faut aller aux Grottes Froides.
 
Ils savaient tous où se trouvait l’endroit, mais peu l’avaient jamais visité parmi le Peuple de la Jungle. Ce qu’ils appelaient, en effet, les Grottes Froides était une vieille ville abandonnée, perdue, et enfouie dans la Jungle ; et les bêtes fréquentent rarement un endroit que les hommes ont déjà fréquenté.
=== no match ===
Il arrive bien au sanglier de le faire, mais jamais aux tribus qui chassent. En outre, les singes y habitaient, autant qu’ils peuvent passer pour habiter quelque part, et nul animal qui se respecte n’en eût approché à portée du regard, sauf en temps de sécheresse, quand les citernes et les réservoirs à demi ruinés contenaient encore un peu d’eau.
 
— C’est un voyage d’une demi-nuit… à toute allure, dit Bagheera.