« Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle/Corbeau » : différence entre les versions

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édifices
de l'Auvergne, cependant la tradition des couvertures en charpente
 
[Illustration: Fig. 4.]
 
[Illustration: Fig. 5.]
 
se fait sentir par la présence des corbeaux qui sont conservés sous les
tablettes des corniches jusqu'à la fin du XII<sup>e</sup> siècle. L'église de Notre-Dame-du-Port
à Clermont, celle de Saint-Étienne de Nevers, possèdent
des corniches à corbeaux historiés fort intéressants à observer. La plupart
affectent la forme donnée par la fig. 4. C'est évidemment là une imitation
d'un bout de solive œuvrée. Ces rouleaux qui accompagnent le nerf
principal ne sont autre chose que les copeaux produits par la main du
charpentier pour dégager ce nerf du milieu. Il suffit de savoir comment
l'ouvrier peut, avec la bisaiguë, évider le bout d'une solive de façon
à y réserver un renfort, pour reconnaître que ces rouleaux reproduisent
les copeaux obtenus par le travail du charpentier. Une figure (5)
rendra notre explication intelligible pour tout le monde. Soit une
solive à l'extrémité de laquelle on veut ménager un renfort A. L'ouvrier
enlèvera, des deux côtés de ce renfort, avec sa bisaiguë, une suite de
copeaux minces pour ne pas fendre son bois; puis il les coupera à
leur base, s'il veut complétement dégager le renfort. Voyant que ces
copeaux formaient un ornement, on aura eu l'idée, primitivement, de
ne les point couper, et les solives auront été ainsi posées. Plus tard, cette
décoration, produite par le procédé d'exécution employé par l'ouvrier,
aura été figurée en pierre. C'est ainsi que la plupart des ornements de
l'architecture qui ne sont pas imités du règne végétal ou du règne
animal prennent leur origine dans les moyens d'exécution les plus
naturels.
 
Si l'on veut chercher l'origine des formes d'un art de convention, comme
l'architecture, il faut recourir aux moyens pratiques qui se conservent
les mêmes à travers les siècles et se résoudre à étudier ces moyens pratiques,
sans quoi on peut faire bien des bévues. Peu à peu, à la place de
l'arête centrale renforçant le bout de la solive, et la laissant cependant
dégagée de manière à l'allégir, on a figuré des animaux, des têtes; les
<i>copeaux</i> latéraux perdent de leur importance, mais se retrouvent encore
tracés sur les côtés.
 
C'est ainsi que sont sculptés la plupart des corbeaux de l'église abbatiale de Saint-Sernin de Toulouse, qui datent du XII<sup>e</sup> siècle, et qui sont
d'une singulière énergie de composition. Voici l'un d'eux provenant de la
corniche de la porte du sud (6).
 
[Illustration: Fig. 6.]
 
Les <i>copeaux</i> disparaissent complétement vers le milieu du XII<sup>e</sup> siècle,
ainsi que nous en avons la preuve en examinant la corniche de l'abside
de la petite église du Mas d'Agen (7).
 
[Illustration: Fig. 7.]
 
Les corbeaux persistent sous les tablettes des corniches des édifices du
Poitou, de la Saintonge et du Berri, jusque pendant les premières années
du XIII<sup>e</sup> siècle. La belle arcature qui clôt le bas-côté de la nef de la cathédrale
de Poitiers (1190 à 1210) est surmontée d'une corniche dont la
tablette formant galerie est portée sur de charmants corbeaux ornés de
figures (8).
 
[Illustration: Fig. 8.]
 
Les corbeaux de pierre disparaissent des corniches pendant le XIII<sup>e</sup> siècle, et ne sont plus guère employés que comme supports exceptionnels,
pour soutenir des balcons, des encorbellements, des entraits de charpente
ou des poutres-maîtresses de planchers.
 
[Illustration: Fig. 9.]
 
Voici (9) un riche corbeau découvert près de la cathédrale de Troyes,
qui date du commencement du XIII<sup>e</sup> siècle, et qui paraît avoir été destiné
à supporter une forte saillie, telle que celle d'un balcon, par exemple,
ou la poutre-maîtresse d'un plancher. Souvent alors, dans les édifices
civils ou militaires, on rencontre de puissants corbeaux de pierre composés
de plusieurs assises et remplissant exactement la fonction d'un lien de
charpente sous une poutre-maîtresse. Tels sont les corbeaux encore en
place dans les salles hautes de la porte Narbonnaise à Carcassonne (fin
du XIII<sup>e</sup> siècle), et qui soutenaient les énormes entraits des pavillons des
deux tours (10). Le constructeur a certainement eu ici l'idée de mettre
ce membre de pierre en rapport de formes avec la pièce de bois qu'il
soulageait.
 
[Illustration: Fig. 10.]
 
La salle d'armes de la ville de Gand, en Belgique, a conservé des
corbeaux analogues sous ses poutres-maîtresses (11), mais beaucoup
plus riches et figurant exactement un lien reposant sur un corbeau A
engagé dans le mur, et portant sous la poutre un chapeau B, ainsi que
cela se doit pratiquer dans une œuvre de charpenterie.
 
Au XV<sup>e</sup> siècle, ces formes rigides sont rares, et les corbeaux destinés
à porter des poutres sont riches de sculpture, souvent ornés de figures
et d'armoiries, mais ne conservent plus l'apparence d'une pièce de bois
inclinée ou placée horizontalement et engagée dans la muraille. Tels
sont
les corbeaux des grand'salles des châteaux de Coucy et de Pierrefonds (12),
qui soulageaient les entraits des charpentes.
 
Les mâchicoulis usités dans les ouvrages militaires des XIV<sup>e</sup> et XV<sup>e</sup> siècles
sont supportés par des corbeaux composés de trois ou quatre assises en
encorbellement (voy. MÂCHICOULIS).
 
[Illustration: Fig. 11.]
 
Depuis l'époque romane jusqu'au XVI<sup>e</sup> siècle, les linteaux des portes en
pierre sont habituellement soulagés par des corbeaux saillants sur les
tableaux, de façon à diminuer leur portée et par conséquent les chances
de rupture. Quand les portes ont une grande importance comme place et
comme destination, ces corbeaux sont décorés de sculptures très-riches
et exécutées avec un soin particulier, car elles se trouvent toujours placées
 
[Illustration: 12]
 
près de l'œil. Il existe, sous le linteau de la porte sud de la nef de
l'église de Saint-Sernin à Toulouse, deux corbeaux en marbre blanc.
 
[Illustration: 13]
 
Nous donnons (13) l'un d'eux, qui représente le roi David assis sur deux
lions; on voit encore apparaître ici la trace des <i>copeaux</i> latéraux, sous
forme d'un simple feston. Cette sculpture appartient au commencement
du XII<sup>e</sup> siècle. Les linteaux des portes principales de nos grandes églises
du XIII<sup>e</sup> siècle sont supportés toujours par des corbeaux d'une extrême
recherche de sculpture. Nous citerons ceux des portes de la cathédrale de
Paris, de la porte nord de l'église de Saint-Denis, ceux des cathédrales de
Reims, d'Amiens. Les architectes ont habituellement fait sculpter sur ces
corbeaux de portes des figures qui se rattachent aux sujets placés sur les
pieds-droits ou les linteaux.
 
[Illustration: 14]
 
La Bourgogne, si riche en beaux matériaux, présente une variété
extraordinaire de corbeaux, et ceux-ci affectent des formes qui appartiennent
à cette province. Sans parler des corbeaux fréquemment
employés dans les corniches (voy. CORNICHE), ceux qui soutiennent les
linteaux de porte ont un caractère de puissance très remarquable. Ils sont
renforcés parfois vers leur milieu, afin d'opposer à la pression une plus
grande résistance. Nous donnons (14) un de ces corbeaux de la fin du
XII<sup>e</sup> siècle qui provient de la porte occidentale de l'église de Montréale
(Yonne). Plus tard, leurs profils sont encore plus accentués, ainsi que
le fait voir la fig. 15 (corbeau provenant d'une des portes du
bas-côté
du chœur de la cathédrale d'Auxerre, XIII<sup>e</sup> siècle).
 
[Illustration: Fig. 15.]
 
[Illustration: Fig. 16.]
 
Au XII<sup>e</sup> siècle, les arcs des voûtes sont souvent supportés par des corbeaux.
Pendant cette époque de transition, il arrivait que les constructeurs,
suivant la donnée romane, n'élevaient des colonnes engagées que
pour porter les archivoltes et les arcs doubleaux, et que, voulant bander
des arcs ogives, pour recevoir les triangles des voûtes, ils ne trouvaient
plus, une fois les piles montées, une assiette convenable pour recevoir
les sommiers de ces arcs ogives; alors, au-dessus des chapiteaux des arcs
doubleaux, ils posaient un corbeau qui servait de point de départ aux
arcs diagonaux. C'est ainsi que sont construites les voûtes du collatéral
de la nef de l'église Notre-Dame de Châlons (16) et celles du
bas-côté du
chœur de la cathédrale de Sens. Dans l'église de Montréale que nous
venons de citer, pour ne pas embarrasser le sanctuaire par des piles
engagées portant de fond, l'architecte a porté non-seulement les arcs
ogives, mais encore l'arc doubleau séparant les deux voûtes qui couvrent
l'abside carrée, sur de puissants corbeaux profondément engagés dans la
construction (17). Dans cette figure, on voit, en A, le tirant de bois posé
pour maintenir la poussée des arcs pendant la construction, et coupé au
nu du sommier lorsque cette construction s'est trouvée suffisamment
chargée.
 
[Illustration: Fig. 17.]
 
Au XIII<sup>e</sup> siècle, lorsque les voûtes ne portent pas de fond, elles ne
reposent plus sur des corbeaux, mais sur des culs-de-lampe (voy. ce mot).
Le corbeau de pierre appartient presque exclusivement à l'époque romane,
au XII<sup>e</sup> siècle et au commencement du XIII<sup>e</sup>. Quant au corbeau de bois,
c'est-à-dire aux saillies formées par les poutres ou les solives sur le nu
d'un mur, il se retrouve dans toutes les constructions de bois jusqu'à
l'époque de la renaissance (voy. CHARPENTE, MAISON, PAN-DE-BOIS, SOLIVE).