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de voir combien l’Occident tient peu de place dans ses préoccupations. Rome, quoiqu’il en parle toujours avec respect, n’est pas véritablement sa patrie. Il ne l’a jamais visitée et n’en exprime nulle part le regret Ammien Marcellin nous dit « qu’il ne parlait le latin que d’une manière suffisante, » tandis qu’en grec il est un des meilleurs écrivains de son temps. La littérature latine semble ne pas exister pour lui. Il n’a. jamais prononcé le nom de Cicéron ou de Virgile; on dirait qu’il ne les connaissait pas. Au contraire, il est familier avec Platon et cite Homère presque à chaque page. Il n’a aucun souci de respecter les vieux préjugés des Romains et soutient sans hésiter « que si Alexandre avait eu Rome à combattre, il lui aurait bien tenu tête, » Mais quand il dit : « Nous autres Grecs » ou qu’il parle de « son Athènes bien-aimée, » on sent qu’il se redresse avec orgueil dans sa petite taille. De ce passé glorieux de la Grèce, il ne veut rien laisser perdre; tous les souvenirs lui en sont chers, sa religion surtout, qui tient tant de place dans son histoire et qui a inspiré ses plus grands écrivains. Il s’y attache d’abord, et avant tout examen, par fierté nationale. Quand il veut montrer qu’elle doit être supérieure à celle des chrétiens, il lui paraît suffisant de rappeler que c’est la religion de la Grèce, et que l’autre est sortie d’un canton obscur de la Palestine; pour indiquer par un seul mot cette différence d’origine qui les sépare et qui les juge, il affecte, dans toute sa polémique, d’appeler les chrétiens « des galiléens, » tandis qu’il donne toujours à l’ancien culte le nom « d’hellénisme. »
de voir combien l’Occident tient peu de place dans ses préoccupations. Rome, quoiqu’il en parle toujours avec respect, n’est pas véritablement sa patrie. Il ne l’a jamais visitée et n’en exprime nulle part le regret Ammien Marcellin nous dit « qu’il ne parlait le latin que d’une manière suffisante, » tandis qu’en grec il est un des meilleurs écrivains de son temps. La littérature latine semble ne pas exister pour lui. Il n’a. jamais prononcé le nom de Cicéron ou de Virgile ; on dirait qu’il ne les connaissait pas. Au contraire, il est familier avec Platon et cite Homère presque à chaque page. Il n’a aucun souci de respecter les vieux préjugés des Romains et soutient sans hésiter « que si Alexandre avait eu Rome à combattre, il lui aurait bien tenu tête, » Mais quand il dit : « Nous autres Grecs » ou qu’il parle de « son Athènes bien-aimée, » on sent qu’il se redresse avec orgueil dans sa petite taille. De ce passé glorieux de la Grèce, il ne veut rien laisser perdre ; tous les souvenirs lui en sont chers, sa religion surtout, qui tient tant de place dans son histoire et qui a inspiré ses plus grands écrivains. Il s’y attache d’abord, et avant tout examen, par fierté nationale. Quand il veut montrer qu’elle doit être supérieure à celle des chrétiens, il lui paraît suffisant de rappeler que c’est la religion de la Grèce, et que l’autre est sortie d’un canton obscur de la Palestine ; pour indiquer par un seul mot cette différence d’origine qui les sépare et qui les juge, il affecte, dans toute sa polémique, d’appeler les chrétiens « des galiléens, » tandis qu’il donne toujours à l’ancien culte le nom « d’hellénisme. »


L’hellénisme, nom glorieux entre tous, que Julien dut être heureux d’inventer et sur lequel il comptait sans doute, comme sur un talisman, pour assurer le succès de son œuvre ! Je crois pourtant qu’il y avait quelque péril à s’en servir. Ce nom désignait la religion du plus illustre de tous les peuples, mais c’était celle d’un seul pays. Julien montrait en s’en servant qu’il n’entendait pas sortir du cercle étroit des religions locales; il laissait aux chrétiens l’avantage de ce Dieu unique et universel qui veille sur toutes les nations sans distinction et sans préférence, qui reconstitue au milieu de la division et de l’éparpillement des peuples la notion de l’humanité; il courait surtout le risque de désintéresser de ses réformes religieuses tous ceux qui n’avaient pas le bonheur d’être Grecs. On le vit bien à l’indifférence singulière avec laquelle l’Occident accueillit la tentative de Julien. Il y avait encore beaucoup de païens en Italie ; le sénat de Rome surtout passait pour une des citadelles de l’ancien culte. Il ne paraît pas pourtant qu’il ait donné aucun encouragement à l’empereur et qu’il se soit associé à son entreprise. Les villes italiennes, quoique païennes en partie, semblent assister froidement à ce dernier effort du paganisme.
L’hellénisme, nom glorieux entre tous, que Julien dut être heureux d’inventer et sur lequel il comptait sans doute, comme sur un talisman, pour assurer le succès de son œuvre ! Je crois pourtant qu’il y avait quelque péril à s’en servir. Ce nom désignait la religion du plus illustre de tous les peuples, mais c’était celle d’un seul pays. Julien montrait en s’en servant qu’il n’entendait pas sortir du cercle étroit des religions locales ; il laissait aux chrétiens l’avantage de ce Dieu unique et universel qui veille sur toutes les nations sans distinction et sans préférence, qui reconstitue au milieu de la division et de l’éparpillement des peuples la notion de l’humanité ; il courait surtout le risque de désintéresser de ses réformes religieuses tous ceux qui n’avaient pas le bonheur d’être Grecs. On le vit bien à l’indifférence singulière avec laquelle l’Occident accueillit la tentative de Julien. Il y avait encore beaucoup de païens en Italie ; le sénat de Rome surtout passait pour une des citadelles de l’ancien culte. Il ne paraît pas pourtant qu’il ait donné aucun encouragement à l’empereur et qu’il se soit associé à son entreprise. Les villes italiennes, quoique païennes en partie, semblent assister froidement à ce dernier effort du paganisme.