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« L’administration allemande, a-t-il dit, a trouvé (en Alsace-Lorraine) un grand nombre de lois d’ancienne date, souvent changées, ''fréquemment en contradiction entre elles'', sans savoir au juste ce qui était tombé en désuétude ni ce qui était pratique. Fréquemment elle s’en est ''tenue à la lettre, — elle ne pouvait faire autrement'', — ignorant que, dans le cours des temps, le gouvernement (français) avait laissé tomber mainte disposition en désuétude sans l’abroger formellement. »
« L’administration allemande, a-t-il dit, a trouvé (en Alsace-Lorraine) un grand nombre de lois d’ancienne date, souvent changées, ''fréquemment en contradiction entre elles'', sans savoir au juste ce qui était tombé en désuétude ni ce qui était pratique. Fréquemment elle s’en est ''tenue à la lettre, — elle ne pouvait faire autrement'', — ignorant que, dans le cours des temps, le gouvernement (français) avait laissé tomber mainte disposition en désuétude sans l’abroger formellement. »


Il serait difficile de mieux mettre en lumière le principe dirigeant de l’administration prussienne et la différence radicale qui en distingue les procédés de ceux de l’administration française, à laquelle elle s’est si brusquement substituée en Alsace-Lorraine. Pour les Français, les règlemens les plus impératifs ne tardent pas, à l’user, à n’être plus qu’une sorte de thèmes musicaux, se prêtant à toutes les variations, fioritures et habiletés de doigté qui paraissent propres à en atténuer, dans l’application, la sécheresse et la dureté par des tempéramens d’équité ; les défaillances mêmes ne perdent jamais leurs droits et concourent à adoucir les rigueurs de la lettre. Le système prussien y met moins de délicatesse, sans doute parce qu’il lui serait difficile d’exiger de ses agens le tact qu’en France on tient, non sans raison, pour être une des qualités premières de l’administrateur. En Prusse, il est de principe que l’état n’a jamais trop de droits, qu’en bonne règle il devrait même être seul à en posséder, (à peu près comme M. de Bismarck voudrait que le trésor de l’empire fût l’unique dispensateur de la fortune publique), et qu’en tout cas son devoir est de toujours prendre et de ne rien abandonner jamais de ce qui peut le fortifier dans ses retranchemens. C’est ainsi qu’à toute la pesanteur du moyen âge, qui plaçait l’autorité partout et la responsabilité nulle part, on est parvenu à joindre l’exactitude et la précision des procédés modernes imaginés dans les bureaux. Le sujet, qui n’était autrefois que taillable et corvéable, est devenu administrable par surcroît; à la crosse épiscopale, sous laquelle jadis il faisait quelquefois bon vivre, on a substitué la crosse de fusil. La machine administrative, telle qu’elle est agencée en Prusse, où il a passé en article de foi qu’un règlement quelconque doit être appliqué avec la même rigueur qu’un tarif d’enregistrement ou de douane, justifie plus qu’aucune autre les multiples métaphores que la langue vulgaire emprunte en pareille matière à l’industrie métallurgique et aux arts mécaniques : ce ne sont partout que rouages, engrenages, laminoirs, filières et grincemens, et des
Il serait difficile de mieux mettre en lumière le principe dirigeant de l’administration prussienne et la différence radicale qui en distingue les procédés de ceux de l’administration française, à laquelle elle s’est si brusquement substituée en Alsace-Lorraine. Pour les Français, les règlemens les plus impératifs ne tardent pas, à l’user, à n’être plus qu’une sorte de thèmes musicaux, se prêtant à toutes les variations, fioritures et habiletés de doigté qui paraissent propres à en atténuer, dans l’application, la sécheresse et la dureté par des tempéramens d’équité ; les défaillances mêmes ne perdent jamais leurs droits et concourent à adoucir les rigueurs de la lettre. Le système prussien y met moins de délicatesse, sans doute parce qu’il lui serait difficile d’exiger de ses agens le tact qu’en France on tient, non sans raison, pour être une des qualités premières de l’administrateur. En Prusse, il est de principe que l’état n’a jamais trop de droits, qu’en bonne règle il devrait même être seul à en posséder, (à peu près comme M. de Bismarck voudrait que le trésor de l’empire fût l’unique dispensateur de la fortune publique), et qu’en tout cas son devoir est de toujours prendre et de ne rien abandonner jamais de ce qui peut le fortifier dans ses retranchemens. C’est ainsi qu’à toute la pesanteur du moyen âge, qui plaçait l’autorité partout et la responsabilité nulle part, on est parvenu à joindre l’exactitude et la précision des procédés modernes imaginés dans les bureaux. Le sujet, qui n’était autrefois que taillable et corvéable, est devenu administrable par surcroît ; à la crosse épiscopale, sous laquelle jadis il faisait quelquefois bon vivre, on a substitué la crosse de fusil. La machine administrative, telle qu’elle est agencée en Prusse, où il a passé en article de foi qu’un règlement quelconque doit être appliqué avec la même rigueur qu’un tarif d’enregistrement ou de douane, justifie plus qu’aucune autre les multiples métaphores que la langue vulgaire emprunte en pareille matière à l’industrie métallurgique et aux arts mécaniques : ce ne sont partout que rouages, engrenages, laminoirs, filières et grincemens, et des