« Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 40.djvu/111 » : différence entre les versions

Phe-bot (discussion | contributions)
m Zoé: split
 
Phe-bot (discussion | contributions)
m Typographie
Contenu (par transclusion) :Contenu (par transclusion) :
Ligne 1 : Ligne 1 :
femmes. » Ce sont des crimes que nous pardonnerions aujourd’hui très volontiers, mais on les trouvait alors irrémissibles. Souvenons-nous qu’une des raisons qui avaient irrité le plus la populace païenne contre les premiers chrétiens, c’est qu’on ne les voyait jamais au théâtre, et qu’en évitant d’y paraître ils avaient l’air de le condamner. Julien prenait plaisir à vivre autrement que le peuple, et il s’en faisait gloire. « Nous sommes ici, disait-il aux gens d’Antioche, sept étrangers, sept intrus. Joignez-y l’un de vos concitoyens cher à Mercure et à moi-même, habile artisan de paroles (Libanius). Séparés de tout commerce, nous ne suivons qu’une seule route, celle qui mène au temple des dieux. Jamais de théâtre, le spectacle nous paraissant la plus honteuse des occupations, l’emploi le plus blâmable de la vie. » C’est la conduite d’un sage, mais le peuple en était choqué et le laissait voir. Quand on veut agir sur la foule, il ne faut pas trop vivre en dehors d’elle. Un homme qui est trop étranger à ses goûts et qui méprise trop ses plaisirs ne la comprend pas. et n’a guère de chance d’en être compris. Julien s’enfermait trop volontiers avec les sept ou huit personnes qui partageaient tous ses sentimens, il ne tenait pas assez de compte de l’opinion du reste. C’est une grande maladresse pour un prince qui attaquait le christianisme de n’avoir pas mis d’abord tous les païens de son côté.
femmes. » Ce sont des crimes que nous pardonnerions aujourd’hui très volontiers, mais on les trouvait alors irrémissibles. Souvenons-nous qu’une des raisons qui avaient irrité le plus la populace païenne contre les premiers chrétiens, c’est qu’on ne les voyait jamais au théâtre, et qu’en évitant d’y paraître ils avaient l’air de le condamner. Julien prenait plaisir à vivre autrement que le peuple, et il s’en faisait gloire. « Nous sommes ici, disait-il aux gens d’Antioche, sept étrangers, sept intrus. Joignez-y l’un de vos concitoyens cher à Mercure et à moi-même, habile artisan de paroles (Libanius). Séparés de tout commerce, nous ne suivons qu’une seule route, celle qui mène au temple des dieux. Jamais de théâtre, le spectacle nous paraissant la plus honteuse des occupations, l’emploi le plus blâmable de la vie. » C’est la conduite d’un sage, mais le peuple en était choqué et le laissait voir. Quand on veut agir sur la foule, il ne faut pas trop vivre en dehors d’elle. Un homme qui est trop étranger à ses goûts et qui méprise trop ses plaisirs ne la comprend pas. et n’a guère de chance d’en être compris. Julien s’enfermait trop volontiers avec les sept ou huit personnes qui partageaient tous ses sentimens, il ne tenait pas assez de compte de l’opinion du reste. C’est une grande maladresse pour un prince qui attaquait le christianisme de n’avoir pas mis d’abord tous les païens de son côté.


Réussit-il au moins à gagner beaucoup de chrétiens ? C’est ce qu’il n’est pas aisé de savoir, les historiens de l’église étant plutôt occupés à nous faire connaître ceux qui résistèrent avec courage que ceux qui eurent la faiblesse de céder. On ne peut guère douter que les indifférens et les ambitieux, qui sont toujours prêts à sacrifier leurs convictions à leurs intérêts, les parfaits fonctionnaires qui font profession de suivre en tout les préférences du maître, ne se soient décidés vite pour la religion de l’empereur. De ceux-là il y en a toujours assez dans un vaste empire, où le prince dispose d’un grand nombre de places, pour que Julien ait pu avoir quelque illusion, au début de son règne, sur le succès de son entreprise. On vit donc alors tout ce peuple de flatteurs qui avait docilement suivi Constantin, quand il quitta le paganisme, se retourner vers les anciens dieux avec la même unanimité. Quelques années plus tard, un évêque, dans un sermon contre l’ambition et l’avarice, rappelle que ces vices ont toujours fait les apostats, qu’ils ont été cause que beaucoup ont changé de religion comme d’habit, et il en donne pour exemple les faits dont on venait d’être témoin. « Quand un empereur, dit-il, déposant le masque dont il s’était couvert, sacrifia ouvertement aux dieux et poussa les autres à le faire par l’appât des récompenses, combien ne quittèrent pas l’église pour aller dans les temples! combien furent séduits par les avantages
Réussit-il au moins à gagner beaucoup de chrétiens ? C’est ce qu’il n’est pas aisé de savoir, les historiens de l’église étant plutôt occupés à nous faire connaître ceux qui résistèrent avec courage que ceux qui eurent la faiblesse de céder. On ne peut guère douter que les indifférens et les ambitieux, qui sont toujours prêts à sacrifier leurs convictions à leurs intérêts, les parfaits fonctionnaires qui font profession de suivre en tout les préférences du maître, ne se soient décidés vite pour la religion de l’empereur. De ceux-là il y en a toujours assez dans un vaste empire, où le prince dispose d’un grand nombre de places, pour que Julien ait pu avoir quelque illusion, au début de son règne, sur le succès de son entreprise. On vit donc alors tout ce peuple de flatteurs qui avait docilement suivi Constantin, quand il quitta le paganisme, se retourner vers les anciens dieux avec la même unanimité. Quelques années plus tard, un évêque, dans un sermon contre l’ambition et l’avarice, rappelle que ces vices ont toujours fait les apostats, qu’ils ont été cause que beaucoup ont changé de religion comme d’habit, et il en donne pour exemple les faits dont on venait d’être témoin. « Quand un empereur, dit-il, déposant le masque dont il s’était couvert, sacrifia ouvertement aux dieux et poussa les autres à le faire par l’appât des récompenses, combien ne quittèrent pas l’église pour aller dans les temples ! combien furent séduits par les avantages