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débitent : selliers, cordiers, marchands de fruits, etc., sont groupés ensemble. La rue aboutit au bazar, qui s’étend autour d’une mosquée, sous l’ombre de magnifiques platanes. C’est jour de grand marché ; une foule bigarrée circule dans le demi-jour du bazar; les femmes turques, strictement voilées de blanc, traînent avec lenteur leurs lourdes bottes jaunes, tandis que des Turkomans marchandent les longs yatagans à fourreau de bois cerclé de cordes, qui sont leur arme favorite. Des paysannes campent sur des amas de tapis tissés pendant la saison d’hiver, et qu’elles viennent vendre à la ville au premier grand marché du printemps.
débitent : selliers, cordiers, marchands de fruits, etc., sont groupés ensemble. La rue aboutit au bazar, qui s’étend autour d’une mosquée, sous l’ombre de magnifiques platanes. C’est jour de grand marché ; une foule bigarrée circule dans le demi-jour du bazar ; les femmes turques, strictement voilées de blanc, traînent avec lenteur leurs lourdes bottes jaunes, tandis que des Turkomans marchandent les longs yatagans à fourreau de bois cerclé de cordes, qui sont leur arme favorite. Des paysannes campent sur des amas de tapis tissés pendant la saison d’hiver, et qu’elles viennent vendre à la ville au premier grand marché du printemps.


Le quartier grec est propre et bien entretenu. Les maisons ont bonne mine, avec leurs balcons (''chaknisirs'') relevés de couleurs vives, où le bleu domine ; il y a une trentaine d’années, le rouge ou le gris sombre étaient les seules couleurs permises aux raïas. La population grecque, nous dit-on, se compose de trois cents familles ; il y a trois mille sept cent cinquante familles turques et cent vingt arméniennes. La communauté arménienne est riche ; elle possède une jolie église neuve, élégamment construite. C’est surtout des Grecs que nous recevons des informations. Retrouver des Grecs en pays ottoman est toujours un plaisir pour l’Européen ; c’est alors qu’on apprécie toute la valeur du mot ''christianos''.
Le quartier grec est propre et bien entretenu. Les maisons ont bonne mine, avec leurs balcons (''chaknisirs'') relevés de couleurs vives, où le bleu domine ; il y a une trentaine d’années, le rouge ou le gris sombre étaient les seules couleurs permises aux raïas. La population grecque, nous dit-on, se compose de trois cents familles ; il y a trois mille sept cent cinquante familles turques et cent vingt arméniennes. La communauté arménienne est riche ; elle possède une jolie église neuve, élégamment construite. C’est surtout des Grecs que nous recevons des informations. Retrouver des Grecs en pays ottoman est toujours un plaisir pour l’Européen ; c’est alors qu’on apprécie toute la valeur du mot ''christianos''.


Les Grecs de Bouldour sont actifs et industrieux. L’un d’eux, M. Spanoudis, est instruit et recueille avec soin tout ce qui a trait aux antiquités du pays. Nous passons la matinée chez un de ses amis, à lire les journaux de Smyrne et de Constantinople, et à causer des événemens de Salonique. Les membres de la communauté hellénique sont peu rassurés, et le sentiment qui domine chez eux est la crainte d’une explosion de fanatisme. Les journaux grecs apportent des nouvelles inquiétantes; on enlève les enfans chrétiens pour en faire des musulmans; les mosquées de Smyrne et des grandes villes retentissent de prédications furieuses et d’appels à la guerre sainte. Ici les alarmes sont doublées par le sentiment qu’ont les Grecs de leur impuissance; ils se sentent à la discrétion des Turcs. Aussi toutes les espérances sont-elles tournées vers le royaume hellénique; les Grecs accueillent avec avidité toutes les nouvelles répandues par les journalistes d’Athènes, si prodigues de belles promesses; le gouvernement hellénique fait acheter des fusils en France, l’armée est prête à entrer en campagne; il y a des manifestations populaires à Athènes en faveur de la « grande idée. » Sans doute, les Grecs de Bouldour ont eu de belles espérances pendant le cours de la guerre turco-russe. La marche en avant de l’armée grecque, les revers des Ottomans, le soulèvement de l’Epire, de la Thessalie et de la Crète, tout cela a dû faire naître chez eux de vives illusions, encore exaltées par l’éloignement, et nourries
Les Grecs de Bouldour sont actifs et industrieux. L’un d’eux, M. Spanoudis, est instruit et recueille avec soin tout ce qui a trait aux antiquités du pays. Nous passons la matinée chez un de ses amis, à lire les journaux de Smyrne et de Constantinople, et à causer des événemens de Salonique. Les membres de la communauté hellénique sont peu rassurés, et le sentiment qui domine chez eux est la crainte d’une explosion de fanatisme. Les journaux grecs apportent des nouvelles inquiétantes ; on enlève les enfans chrétiens pour en faire des musulmans ; les mosquées de Smyrne et des grandes villes retentissent de prédications furieuses et d’appels à la guerre sainte. Ici les alarmes sont doublées par le sentiment qu’ont les Grecs de leur impuissance ; ils se sentent à la discrétion des Turcs. Aussi toutes les espérances sont-elles tournées vers le royaume hellénique ; les Grecs accueillent avec avidité toutes les nouvelles répandues par les journalistes d’Athènes, si prodigues de belles promesses ; le gouvernement hellénique fait acheter des fusils en France, l’armée est prête à entrer en campagne ; il y a des manifestations populaires à Athènes en faveur de la « grande idée. » Sans doute, les Grecs de Bouldour ont eu de belles espérances pendant le cours de la guerre turco-russe. La marche en avant de l’armée grecque, les revers des Ottomans, le soulèvement de l’Epire, de la Thessalie et de la Crète, tout cela a dû faire naître chez eux de vives illusions, encore exaltées par l’éloignement, et nourries