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sur un rocher de forme bizarre, et qui, vu de la plaine, semble un cône allongé posé sur sa pointe. La plaine marécageuse qui s’étend des ruines à la mer est de formation récente; les alluvions du fleuve ont peu à peu fait reculer le rivage, et le port, marqué seulement par une dépression du sol, se trouve aujourd’hui à plus d’une lieue et demie de la mer. Les ruines de la ville n’offrent guère d’intérêt que pour l’antiquaire. Cependant le théâtre mérite attention : le mur d’enceinte percé de couloirs voûtés, les gradins encore intacts sur plusieurs points, ailleurs disjoints par les racines d’énormes figuiers qui les ombragent de leurs larges feuilles, tout cela forme un ensemble imposant, que vient compléter la haute masse des montagnes grises du cap Kapania. Les ruines des thermes, les vestiges du mur fortifié qu’on aperçoit à travers une végétation courte et drue de lentisques et d’astidis, donnent l’idée de ce que pouvait être une grande ville d’Asie-Mineure ; on peut suivre encore pendant plusieurs kilomètres les traces ides murailles qui défendaient la ville. Kaunos était célèbre pour son climat insalubre; en voyant les bords marécageux du Kalbis, la plaine de Dalian, dont le sol stérile est crevassé par l’ardeur du soleil, on se rappelle les épigrammes qu’un poète satirique lançait aux Kauniens, en les plaisantant sur leur teint verdâtre et leurs visages fiévreux : « Comment pourrais-je dire que cette ville est malsaine, puisqu’on voit les morts eux-mêmes s’y promener? »
sur un rocher de forme bizarre, et qui, vu de la plaine, semble un cône allongé posé sur sa pointe. La plaine marécageuse qui s’étend des ruines à la mer est de formation récente ; les alluvions du fleuve ont peu à peu fait reculer le rivage, et le port, marqué seulement par une dépression du sol, se trouve aujourd’hui à plus d’une lieue et demie de la mer. Les ruines de la ville n’offrent guère d’intérêt que pour l’antiquaire. Cependant le théâtre mérite attention : le mur d’enceinte percé de couloirs voûtés, les gradins encore intacts sur plusieurs points, ailleurs disjoints par les racines d’énormes figuiers qui les ombragent de leurs larges feuilles, tout cela forme un ensemble imposant, que vient compléter la haute masse des montagnes grises du cap Kapania. Les ruines des thermes, les vestiges du mur fortifié qu’on aperçoit à travers une végétation courte et drue de lentisques et d’astidis, donnent l’idée de ce que pouvait être une grande ville d’Asie-Mineure ; on peut suivre encore pendant plusieurs kilomètres les traces ides murailles qui défendaient la ville. Kaunos était célèbre pour son climat insalubre ; en voyant les bords marécageux du Kalbis, la plaine de Dalian, dont le sol stérile est crevassé par l’ardeur du soleil, on se rappelle les épigrammes qu’un poète satirique lançait aux Kauniens, en les plaisantant sur leur teint verdâtre et leurs visages fiévreux : « Comment pourrais-je dire que cette ville est malsaine, puisqu’on voit les morts eux-mêmes s’y promener ? »


Nous quittons Dalian, non sans faire une recrue des plus intéressantes. C’est un jeune Grec, qui sera chargé de prendre soin des chevaux. Il arrive à l’heure du départ, monté sur un grand cheval borgne et efflanqué, emportant avec lut tout ce qu’il possède : un vieux pistolet rouillé et une culotte neuve. Il quitte Dalian pour nous suivre, sans trop savoir ou le mènera ce voyage; mais le Grec change de pays avec une rare facilité, et l’inconnu exerce toujours sur lui une séduction irrésistible. Antonios est prêt à tout : il a été ''cafedji'' à Dalian, puis domestique d’un Turc, qui le traitait mal. L’idée de voyager avec des Francs lui sourit ; il n’en faut pas plus pour le décider à quitter sa ville natale; à la fin du voyage, il cherchera fortune à Smyrne, où il a des ''patriotes''. Sa bonne chance l’a conduit à Paris, et il a dû passer par tous les étonnemens en s’embarquant à Mersina pour se rendre en France. Mais les surprises durent peu chez un Grec : il les dissimule d’abord par amour-propre; puis une rare aptitude à s’accommoder de tout lui a bientôt rendu toute son aisance.
Nous quittons Dalian, non sans faire une recrue des plus intéressantes. C’est un jeune Grec, qui sera chargé de prendre soin des chevaux. Il arrive à l’heure du départ, monté sur un grand cheval borgne et efflanqué, emportant avec lut tout ce qu’il possède : un vieux pistolet rouillé et une culotte neuve. Il quitte Dalian pour nous suivre, sans trop savoir ou le mènera ce voyage ; mais le Grec change de pays avec une rare facilité, et l’inconnu exerce toujours sur lui une séduction irrésistible. Antonios est prêt à tout : il a été ''cafedji'' à Dalian, puis domestique d’un Turc, qui le traitait mal. L’idée de voyager avec des Francs lui sourit ; il n’en faut pas plus pour le décider à quitter sa ville natale ; à la fin du voyage, il cherchera fortune à Smyrne, où il a des ''patriotes''. Sa bonne chance l’a conduit à Paris, et il a dû passer par tous les étonnemens en s’embarquant à Mersina pour se rendre en France. Mais les surprises durent peu chez un Grec : il les dissimule d’abord par amour-propre ; puis une rare aptitude à s’accommoder de tout lui a bientôt rendu toute son aisance.


Métrésadis, 15 mai.
Métrésadis, 15 mai.