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l’héritage, et lorsque la succession de Mme de Vassan s’ouvrit, la totalité en fut réclamée par sa fille, alors en guerre ouverte avec le marquis. Celui-ci travailla, spécula, économisa, entreprit un canal, acheta un duché, exploita une mine de plomb, pour se trouver à la fin de sa vie débiteur de 678,740 livres et menacé d’une séparation de biens qui pouvait lui enlever tous ses revenus disponibles. L’agitation perpétuelle et les tendances chimériques de son esprit le conduisirent presque à sa ruine, sans lui laisser un jour de repos. « J’ai gâté, dit-il, bien des choses par vivacité et précipitation, et ne me suis mêlé d’aucune avec entendement. »
l’héritage, et lorsque la succession de Mme de Vassan s’ouvrit, la totalité en fut réclamée par sa fille, alors en guerre ouverte avec le marquis. Celui-ci travailla, spécula, économisa, entreprit un canal, acheta un duché, exploita une mine de plomb, pour se trouver à la fin de sa vie débiteur de 678,740 livres et menacé d’une séparation de biens qui pouvait lui enlever tous ses revenus disponibles. L’agitation perpétuelle et les tendances chimériques de son esprit le conduisirent presque à sa ruine, sans lui laisser un jour de repos. « J’ai gâté, dit-il, bien des choses par vivacité et précipitation, et ne me suis mêlé d’aucune avec entendement. »


Il a gâté surtout sa vie par la folie de son mariage. « Quiconque a une femme destructrice, écrit le bailli à son frère, travaillera en vain à faire une maison, si habile qu’il soit. Or depuis la création du monde, on ne vit pas une femme de l’espèce de celle que Dieu t’a donnée, ni des enfans de l’espèce des tiens. » Quoique le marquis parût d’abord supporter les défauts de sa femme avec plus de patience qu’on n’aurait pu l’attendre d’un caractère tel que le sien, quoique tout semblât se tourner entre eux en ''conjugalité'', il jugeait sans illusion la mère de ses onze enfans, comme le prouve le portrait qu’il trace d’elle pour une de ses filles, Mme du Saillant. Il ne semble même pas tenir compte, tant il est emporté par le ressentiment, de l’inconvenance qu’il commet en étalant sous les yeux d’une fille les défauts de sa mère. Il reproche à sa femme de n’avoir ni ordre, ni tenue, ni propreté, ni pudeur. « Hommes et femmes, ouvriers, marchands, oisifs, valets, tout entrait dans sa chambre, qu’elle fût au lit ou non. On la voyait échevelée, dépoitraillée, courant après un mantelet ou un mouchoir; tout en désordre dans sa chambre, enseigne distinctive de l’appartement des filles de joie. » Toute contrainte, tout effort lui étaient odieux ; à table même, au lieu de tenir sa place de maîtresse de maison, elle suivait sa fantaisie, sans s’occuper des convives. L’impuissance absolue de se contenir et de se dominer semble avoir été le trait principal de son caractère. Son fils, qui tenait d’elle, écrivait à Mme de Monnier : « Elle sera toujours la dupe de sa violence. » Pendant dix ans néanmoins la vie commune parut supportable. Le marquis se plaint quelque part « de la sorte d’attachement turbulent dont sa femme le fait enrager ; » mais, tout en s’en plaignant, il s’y résigne. Il s’y résignera longtemps encore, jusqu’à ce qu’il découvre des papiers qui ne lui laissent aucun doute sur les dérèglemens de la marquise. Elle avait eu l’effronterie de remettre à un de ses amans, peut-être même à plusieurs, un certificat de leurs relations écrit de sa main et signé de son nom. C’est ce que le marquis appelle « le fumier qu’un honnête homme ne peut couvrir de son manteau. »
Il a gâté surtout sa vie par la folie de son mariage. « Quiconque a une femme destructrice, écrit le bailli à son frère, travaillera en vain à faire une maison, si habile qu’il soit. Or depuis la création du monde, on ne vit pas une femme de l’espèce de celle que Dieu t’a donnée, ni des enfans de l’espèce des tiens. » Quoique le marquis parût d’abord supporter les défauts de sa femme avec plus de patience qu’on n’aurait pu l’attendre d’un caractère tel que le sien, quoique tout semblât se tourner entre eux en ''conjugalité'', il jugeait sans illusion la mère de ses onze enfans, comme le prouve le portrait qu’il trace d’elle pour une de ses filles, Mme du Saillant. Il ne semble même pas tenir compte, tant il est emporté par le ressentiment, de l’inconvenance qu’il commet en étalant sous les yeux d’une fille les défauts de sa mère. Il reproche à sa femme de n’avoir ni ordre, ni tenue, ni propreté, ni pudeur. « Hommes et femmes, ouvriers, marchands, oisifs, valets, tout entrait dans sa chambre, qu’elle fût au lit ou non. On la voyait échevelée, dépoitraillée, courant après un mantelet ou un mouchoir ; tout en désordre dans sa chambre, enseigne distinctive de l’appartement des filles de joie. » Toute contrainte, tout effort lui étaient odieux ; à table même, au lieu de tenir sa place de maîtresse de maison, elle suivait sa fantaisie, sans s’occuper des convives. L’impuissance absolue de se contenir et de se dominer semble avoir été le trait principal de son caractère. Son fils, qui tenait d’elle, écrivait à Mme de Monnier : « Elle sera toujours la dupe de sa violence. » Pendant dix ans néanmoins la vie commune parut supportable. Le marquis se plaint quelque part « de la sorte d’attachement turbulent dont sa femme le fait enrager ; » mais, tout en s’en plaignant, il s’y résigne. Il s’y résignera longtemps encore, jusqu’à ce qu’il découvre des papiers qui ne lui laissent aucun doute sur les dérèglemens de la marquise. Elle avait eu l’effronterie de remettre à un de ses amans, peut-être même à plusieurs, un certificat de leurs relations écrit de sa main et signé de son nom. C’est ce que le marquis appelle « le fumier qu’un honnête homme ne peut couvrir de son manteau. »