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lui, il résolut de se dérober et de se rendre à Versailles, où du moins il pourrait vivre en repos loin des fédérés dont il redoutait les mauvais traitemens. Il s’ouvrit de son projet à sa mère et à un marchand de tabac de l’Hay nommé Robinet, qui tous deux l’approuvèrent. Dans la soirée du 10 mai, Thibault revêtit une blouse, un pantalon de toile et se mit en route. Il entendit un bruit de cavalerie qui marchait dans le lointain, il craignit d’être arrêté par les patrouilles volantes que l’armée française lançait en avant, il revint sur ses pas pour se rendre à l’Hay afin d’y passer la nuit, préférant mettre son projet à exécution en plein jour. C’est alors que, vers dix heures du soir, il fut aperçu par des hommes de sa compagnie, qui prenaient position dans la tranchée de la redoute des Hautes-Bruyères. Il fut appréhendé au corps; on lui lia les mains derrière le dos, et le lendemain il fut conduit au fort de Bicêtre, dont Léo Meillet était gouverneur. Thibault y trouva nombreuse compagnie : M. Barré, cultivateur des environs, M. Delanoue, adjoint du maire de l’Hay, Mme Delanoue; un vieillard de soixante-dix ans, M. Robinet, sa femme et sa servante; M. et Mme Robinet moururent des suites des émotions qu’on ne leur avait point ménagées.
lui, il résolut de se dérober et de se rendre à Versailles, où du moins il pourrait vivre en repos loin des fédérés dont il redoutait les mauvais traitemens. Il s’ouvrit de son projet à sa mère et à un marchand de tabac de l’Hay nommé Robinet, qui tous deux l’approuvèrent. Dans la soirée du 10 mai, Thibault revêtit une blouse, un pantalon de toile et se mit en route. Il entendit un bruit de cavalerie qui marchait dans le lointain, il craignit d’être arrêté par les patrouilles volantes que l’armée française lançait en avant, il revint sur ses pas pour se rendre à l’Hay afin d’y passer la nuit, préférant mettre son projet à exécution en plein jour. C’est alors que, vers dix heures du soir, il fut aperçu par des hommes de sa compagnie, qui prenaient position dans la tranchée de la redoute des Hautes-Bruyères. Il fut appréhendé au corps ; on lui lia les mains derrière le dos, et le lendemain il fut conduit au fort de Bicêtre, dont Léo Meillet était gouverneur. Thibault y trouva nombreuse compagnie : M. Barré, cultivateur des environs, M. Delanoue, adjoint du maire de l’Hay, Mme Delanoue ; un vieillard de soixante-dix ans, M. Robinet, sa femme et sa servante ; M. et Mme Robinet moururent des suites des émotions qu’on ne leur avait point ménagées.


Le capitaine du 184e bataillon et la cantinière qui prétendaient avoir arrêté Thibault se sont vantés; ce pauvre diable tomba entre les mains de deux mauvais drôles, Gustave Meissonnier et Paul Bontemps, qui n’en étaient point à leur coup d’essai. Le premier, adjudant de place à la redoute des Hautes-Bruyères, où sa brutalité l’avait fait surnommer le père Latrique, était un corroyeur de la rue du Château-des-Rentiers ; le second, Paul Bontemps, était forgeron, mais il avait précédemment servi dans les équipages de la flotte, où il avait laissé quelques souvenirs, car en 1854 il avait été condamné à un mois de prison pour vol, en 1857 à deux mois de prison pour rébellion, en 1858 à quatre mois pour coups et blessures, en 1859 à deux mois pour désertion à l’intérieur; libéré du service, il fut en 1864 condamné à deux mois de prison pour actes de violence. C’étaient là, comme l’on voit, d’utiles auxiliaires de la commune, qui en eut beaucoup de semblables. Dans la nuit du 11 mai, les fédérés furent, selon leur habitude, battus aux environs de leurs tranchées. Dès lors Thibault était coupable. C’était un espion des Versaillais, dont il avait reçu 10,000 francs. Pour toute fortune, il avait alors trente-trois sous dans sa poche, mais rien ne prévaut contre la sagacité communarde, pour laquelle toute accusation est prouvée, par cela même qu’elle est formulée. La cour martiale fut réunie au fort de Bicêtre, Léo Meillet eut l’honneur de la présider, et Thibault, malgré ses protestations, fut condamné à mort à l’unanimité. On le ramena à la redoute, où il devait périr. Le 12 mai, à cinq heures du matin, Meissonnier et Bontemps rassemblèrent le peloton
Le capitaine du 184e bataillon et la cantinière qui prétendaient avoir arrêté Thibault se sont vantés ; ce pauvre diable tomba entre les mains de deux mauvais drôles, Gustave Meissonnier et Paul Bontemps, qui n’en étaient point à leur coup d’essai. Le premier, adjudant de place à la redoute des Hautes-Bruyères, où sa brutalité l’avait fait surnommer le père Latrique, était un corroyeur de la rue du Château-des-Rentiers ; le second, Paul Bontemps, était forgeron, mais il avait précédemment servi dans les équipages de la flotte, où il avait laissé quelques souvenirs, car en 1854 il avait été condamné à un mois de prison pour vol, en 1857 à deux mois de prison pour rébellion, en 1858 à quatre mois pour coups et blessures, en 1859 à deux mois pour désertion à l’intérieur ; libéré du service, il fut en 1864 condamné à deux mois de prison pour actes de violence. C’étaient là, comme l’on voit, d’utiles auxiliaires de la commune, qui en eut beaucoup de semblables. Dans la nuit du 11 mai, les fédérés furent, selon leur habitude, battus aux environs de leurs tranchées. Dès lors Thibault était coupable. C’était un espion des Versaillais, dont il avait reçu 10,000 francs. Pour toute fortune, il avait alors trente-trois sous dans sa poche, mais rien ne prévaut contre la sagacité communarde, pour laquelle toute accusation est prouvée, par cela même qu’elle est formulée. La cour martiale fut réunie au fort de Bicêtre, Léo Meillet eut l’honneur de la présider, et Thibault, malgré ses protestations, fut condamné à mort à l’unanimité. On le ramena à la redoute, où il devait périr. Le 12 mai, à cinq heures du matin, Meissonnier et Bontemps rassemblèrent le peloton