« Lettres sur l’éducation esthétique de l’homme » : différence entre les versions

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{{Titre|[[Auteur:Friedrich Schiller|Friedrich Schiller]]|[[Lettres sur l'éducation esthétique de l'homme]]|1795<br/><br />trad. A. Régnier|}}<br />
<center><i>"Si c'est la raison qui fait l'homme, c'est le sentiment qui le conduit" ROUSSEAU.</i></center><br />
 
[[Titre de la page|Lettre II]]
 
{{Refancre|Lettre I}}
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{{indentation}}De l’autre côté, les classes civilisées nous offrent le spectacle plus repoussant encore de la langueur énervée et d’une dépravation de caractère d’autant plus révoltante qu’elle a sa source dans la culture elle-même. Je ne me rappelle quel philosophe ancien ou moderne a fait la remarque, que plus un être est noble, plus il est affreux dans sa corruption. Cette remarque conserve sa vérité dans le domaine moral. Dans ses égarements, le fils de la nature est un furieux, l’élève de la civilisation un misérable. Ces lumières de l’intelligence, dont les classes raffinées se vantent non sans quelque raison, sont en général si loin d’ennoblir les sentiments par leur influence, qu’elles fournissent plutôt des maximes pour étayer la corruption. Nous renions la nature dans sa sphère légitime, pour essuyer sa tyrannie dans le champ de la morale, et, en même temps que nous résistons à ses impressions, nous lui empruntons nos principes. La décence affectée de nos mœurs refuse de l’entendre d’abord, étouffe ses premiers mouvements, au moins pardonnables, pour la laisser, dans notre morale matérialiste, prononcer en dernier ressort. Au sein de la sociabilité la plus raffinée, l’égoïsme a fondé son système, et nous subissons toutes les contagions et toutes les contraintes de la société, sans en recueillir pour fruit un cœur sociable. Nous soumettons notre libre jugement à son opinion despotique, nos sentiments à ses usages bizarres, notre volonté à ses séductions ; il n’y a que notre volonté arbitraire que nous maintenions contre ses droits sacrés. Une orgueilleuse suffisance resserre le cœur chez l’homme du monde, tandis que, fréquemment encore, la sympathie le fait battre chez l’enfant grossier de la nature, et, comme dans une ville en flammes, chacun ne s’efforce que d’arracher au désastre son misérable patrimoine. Ce n’est que par abjuration complète de la sensibilité que l’on croit pouvoir échapper à ses égarements, et la raillerie, qui est souvent pour le délire du rêveur une correction salutaire, blasphème avec aussi peu de ménagement le sentiment le plus noble. Bien loin de nous mettre en liberté, la civilisation, avec chaque faculté qu’elle développe en nous, ne fait qu’éveiller un nouveau besoin ; les liens de la vie physique se resserrent tous les jours d’une manière plus inquiétante, de sorte que la crainte de perdre étouffe en nous jusqu’à l’ardente aspiration au mieux, et que la maxime de l’obéissance passive est regardée comme la plus haute sagesse pratique. C’est ainsi qu’on voit l’esprit du temps osciller entre la perversité et la rudesse, entre la nature brute et ce qui est contre nature, entre la superstition et l’incrédulité morale, et ce n’est que l’équilibre du mal qui parfois encore met des bornes au mal.
 
[[Catégorie:PhilosophieEssais]][[Catégorie:Esthétique]]