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lorsqu’il fait pénétrer dans les consciences une fausse notion du devoir et qu’il fait briller aux yeux l’idéal trompeur d’une vie conduite en dehors des sentiers étroits où chemine plus ou moins péniblement le gros des gens de bien. Reconnaître à la passion des droits que la morale vulgaire lui refuse, glorifier ses entraînemens comme l’accomplissement d’un devoir et ériger en doctrine la suprématie de ses lois sur celles que la société a élevées pour sa défense, c’est un des usages les plus dangereux qu’un auteur puisse faire des dons qui lui ont été départis, et c’est ce que fait à chaque instant George Sand. Les déclamations les plus vertueuses se mêlent dans la bouche de ses héroïnes aux irrégularités les plus hardies dans la conduite. On dirait qu’il y a pour elles un code de morale à part dont elles tracent à leur gré les lois et dont la facile observance suffit à leur glorification. Que beaucoup d’âmes faibles et exaltées se soient laissé surprendre par ces doctrines, que beaucoup de femmes surtout, persuadées par George Sand de l’iniquité des lois conjugales, se soient crues en droit de chercher leur revanche aux dépens des auteurs de ces lois, cela me paraît hors de doute, et pour le contester, il faudrait faire preuve d’une singulière partialité. Mais ce qu’on peut dire à sa décharge, c’est que, si elle a singulièrement faussé l’idéal, du moins elle ne l’a jamais systématiquement abaissé. A travers ses œuvres les plus critiquables, on sent toujours un certain souffle qui, s’il ne vous emporte vers les hauteurs du bien, vous soulève du moins au-dessus de la terre. Or ce qui a été faussé se redresse; ce qui a été abaissé ne se relève jamais. S’il faut dire là-dessus tout mon sentiment, je ne saurais pardonner aux auteurs de romans, quand au lieu de parler à l’imagination un langage qui peut la séduire, au risque de l’exalter outre mesure, ils s’appliquent au contraire à la décourager par leur ironie et à la salir par leurs peintures. Je sais bien que dans une certaine école on met la grossièreté vertueuse bien au-dessus de la délicatesse immorale. Pourvu qu’au dénoûment le vice soit puni, peu importent la complaisance et la précision des détails avec lesquels on aura représenté ses erreurs. Telle n’est point la méthode de George Sand; c’est dans les théories plus que dans les situations qu’elle déploie sa hardiesse, et elle prend moins de liberté dans ses peintures que dans son langage. Aussi, quand on songe que le même temps où paraissaient ''Leone Leoni'' et ''Lucrezia Floriani'' voyait aussi publier les ''Contes drolatiques'' et ''la Fille aux yeux d’or'', on s’étonnerait de l’indulgence accordée à Balzac et de la sévérité déployée contre George Sand, si on ne réfléchissait aux mobiles qui animent la société dans ces rares et subits déploiemens de sévérité. La société ne se met en morale (pour parler avec Mme de Staël) contre un auteur que tout à fait à bon escient et quand l’affaire en vaut la peine. Elle sait qu’il y a dans
lorsqu’il fait pénétrer dans les consciences une fausse notion du devoir et qu’il fait briller aux yeux l’idéal trompeur d’une vie conduite en dehors des sentiers étroits où chemine plus ou moins péniblement le gros des gens de bien. Reconnaître à la passion des droits que la morale vulgaire lui refuse, glorifier ses entraînemens comme l’accomplissement d’un devoir et ériger en doctrine la suprématie de ses lois sur celles que la société a élevées pour sa défense, c’est un des usages les plus dangereux qu’un auteur puisse faire des dons qui lui ont été départis, et c’est ce que fait à chaque instant George Sand. Les déclamations les plus vertueuses se mêlent dans la bouche de ses héroïnes aux irrégularités les plus hardies dans la conduite. On dirait qu’il y a pour elles un code de morale à part dont elles tracent à leur gré les lois et dont la facile observance suffit à leur glorification. Que beaucoup d’âmes faibles et exaltées se soient laissé surprendre par ces doctrines, que beaucoup de femmes surtout, persuadées par George Sand de l’iniquité des lois conjugales, se soient crues en droit de chercher leur revanche aux dépens des auteurs de ces lois, cela me paraît hors de doute, et pour le contester, il faudrait faire preuve d’une singulière partialité. Mais ce qu’on peut dire à sa décharge, c’est que, si elle a singulièrement faussé l’idéal, du moins elle ne l’a jamais systématiquement abaissé. A travers ses œuvres les plus critiquables, on sent toujours un certain souffle qui, s’il ne vous emporte vers les hauteurs du bien, vous soulève du moins au-dessus de la terre. Or ce qui a été faussé se redresse ; ce qui a été abaissé ne se relève jamais. S’il faut dire là-dessus tout mon sentiment, je ne saurais pardonner aux auteurs de romans, quand au lieu de parler à l’imagination un langage qui peut la séduire, au risque de l’exalter outre mesure, ils s’appliquent au contraire à la décourager par leur ironie et à la salir par leurs peintures. Je sais bien que dans une certaine école on met la grossièreté vertueuse bien au-dessus de la délicatesse immorale. Pourvu qu’au dénoûment le vice soit puni, peu importent la complaisance et la précision des détails avec lesquels on aura représenté ses erreurs. Telle n’est point la méthode de George Sand ; c’est dans les théories plus que dans les situations qu’elle déploie sa hardiesse, et elle prend moins de liberté dans ses peintures que dans son langage. Aussi, quand on songe que le même temps où paraissaient ''Leone Leoni'' et ''Lucrezia Floriani'' voyait aussi publier les ''Contes drolatiques'' et ''la Fille aux yeux d’or'', on s’étonnerait de l’indulgence accordée à Balzac et de la sévérité déployée contre George Sand, si on ne réfléchissait aux mobiles qui animent la société dans ces rares et subits déploiemens de sévérité. La société ne se met en morale (pour parler avec Mme de Staël) contre un auteur que tout à fait à bon escient et quand l’affaire en vaut la peine. Elle sait qu’il y a dans