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Si le bonheur et la grandeur allaient toujours ensemble, aucun pays ne serait aussi heureux que l’Allemagne, elle jouirait de la félicité parfaite. Que lui manque-t-il? Tout ne lui vient-il pas à souhait? Elle possède la puissance, la gloire, les souvenirs qui enflent le cœur et chatouillent l’orgueil. Non-seulement elle se sait hors d’atteinte et hors d’insulte, mais ses voisins lui prodiguent leurs empressemens, leurs hommages les plus flatteurs. Tout le monde recherche sa bienveillance, se dispute ses bonnes grâces. La moindre parole échappée au grand homme d’état qui préside à ses conseils est commentée d’un bout de l’Europe à l’autre comme un arrêt du destin, et, quand il se tait, l’Europe prête encore l’oreille pour écouter son silence. Cependant, malgré tout, l’Allemagne est loin de se sentir parfaitement heureuse ; elle a ses préoccupations, ses ennuis, ses mélancolies, Ses tracas, ses soucis. Il arrive souvent que tel petit bourgeois, venant à passer devant la demeure d’un des grands de la terre, se prend à contempler d’un œil d’envie ces murailles bien gardées derrière lesquelles il lui semble qu’habite le bonheur. Il se dit en soupirant : — Ici on mène une existence facile et large; ici on est à l’abri de la gêne et on n’est jamais réduit aux expédiens pour vivre; ici on n’a besoin de compter ni avec les nécessités du jour présent, ni avec les sollicitudes de l’avenir. — Pendant que le petit bourgeois se livre à ces jalouses réflexions, le grand de la terre qu’il envie est peut-être occupé à vider un différend de famille qui trouble son repos, à régler quelque grosse affaire qui lui procure des insomnies, à revoir son livre de caisse qui ne le satisfait qu’à moitié, à se demander comment il s’y prendra pour soutenir son état de maison, à discuter ses lendemains qui ne lui paraissent point assurés. D’habitude les grands de la terre ont l’imagination inquiète, sujette aux effaremens, une sensibilité vive et délicate qui s’affecte de tout, des prévoyances chagrines, des prétentions ombrageuses; ils
Si le bonheur et la grandeur allaient toujours ensemble, aucun pays ne serait aussi heureux que l’Allemagne, elle jouirait de la félicité parfaite. Que lui manque-t-il ? Tout ne lui vient-il pas à souhait ? Elle possède la puissance, la gloire, les souvenirs qui enflent le cœur et chatouillent l’orgueil. Non-seulement elle se sait hors d’atteinte et hors d’insulte, mais ses voisins lui prodiguent leurs empressemens, leurs hommages les plus flatteurs. Tout le monde recherche sa bienveillance, se dispute ses bonnes grâces. La moindre parole échappée au grand homme d’état qui préside à ses conseils est commentée d’un bout de l’Europe à l’autre comme un arrêt du destin, et, quand il se tait, l’Europe prête encore l’oreille pour écouter son silence. Cependant, malgré tout, l’Allemagne est loin de se sentir parfaitement heureuse ; elle a ses préoccupations, ses ennuis, ses mélancolies, Ses tracas, ses soucis. Il arrive souvent que tel petit bourgeois, venant à passer devant la demeure d’un des grands de la terre, se prend à contempler d’un œil d’envie ces murailles bien gardées derrière lesquelles il lui semble qu’habite le bonheur. Il se dit en soupirant : — Ici on mène une existence facile et large ; ici on est à l’abri de la gêne et on n’est jamais réduit aux expédiens pour vivre ; ici on n’a besoin de compter ni avec les nécessités du jour présent, ni avec les sollicitudes de l’avenir. — Pendant que le petit bourgeois se livre à ces jalouses réflexions, le grand de la terre qu’il envie est peut-être occupé à vider un différend de famille qui trouble son repos, à régler quelque grosse affaire qui lui procure des insomnies, à revoir son livre de caisse qui ne le satisfait qu’à moitié, à se demander comment il s’y prendra pour soutenir son état de maison, à discuter ses lendemains qui ne lui paraissent point assurés. D’habitude les grands de la terre ont l’imagination inquiète, sujette aux effaremens, une sensibilité vive et délicate qui s’affecte de tout, des prévoyances chagrines, des prétentions ombrageuses ; ils