« Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 25.djvu/520 » : différence entre les versions

Phe-bot (discussion | contributions)
m Phe: split
 
Phe-bot (discussion | contributions)
m Typographie
Contenu (par transclusion) :Contenu (par transclusion) :
Ligne 1 : Ligne 1 :
Saint-Elme, où les jeunes époux vécurent en rapport avec tout ce qu’il y avait aux environs d’artistes, de savans et de poètes distingués : Bernard Tasse, le père de Torquato, Sannazzar, l’historien Paul Jove. L’idylle cependant dura peu. La France et l’Espagne se disputaient alors le royaume de Naples sur tous les champs de bataille de cette Italie dont un grand et puissant pape, qui bien mieux que Léon X, son successeur, méritait de donner son nom au siècle, Jules II, ressentait les misères au fond du cœur; mais c’était la triste loi du temps d’avoir toujours à changer d’alliance et de ne pouvoir combattre les Espagnols qu’avec l’aide des Français, quitte à s’arranger le lendemain des Espagnols pour chasser les Français. Opposer à l’étranger une digue en se servant de l’étranger, tâche impossible où se consuma l’effort d’un Jules II. Sujet du roi d’Espagne, qui depuis 1503 régnait sur Naples, et gentilhomme, Ferrante d’Avalos ne pouvait manquer au rendez-vous ; il y vint avec Fabrizio Colonna, le père de Vittoria, dont, à dater de cette heure, l’existence allait s’assombrir. A Ravenne, où notre Gaston de Foix paya la victoire d’une mort héroïque, Colonna et son gendre;, le marquis de Pescaire, furent blessés et faits prisonniers. Ce désastre, on le suppose, réagit cruellement sur Vittoria, retirée alors dans Ischia. Elle-même a pris soin de nous dire quand la nouvelle lui parvint et de nous mettre au courant des circonstances: « C’était un jour de Pâques, par un ciel triste et couvert, et tandis que l’Averne mugissait et que les Néréides du rivage semblaient pleurer. » Bientôt pourtant, à l’idée que son mari n’était que blessé, la noble affligée reprit courage. Pour la première fois elle accorde sa lyre et rime au cher absent une de ces poésies alambiquées, sentimentales, avec jeux de mots et ''concetti'', fort à la mode en Italie depuis Pétrarque. C’est ainsi que nous l’entendons se plaindre du sort des pauvres femmes vouées au chagrin, à l’angoisse, pendant que ceux qui leur sont chers s’exposent aux périls de la guerre : « Qui s’appelle d’Avalos ou Colonna sait entreprendre avec l’adversité une lutte corps à corps et sans trêve. Quitter Vittoria, c’est quitter la victoire, et jamais il ne sera bien que des êtres unis pour la vie se séparent durant la vie. » Au reste, la captivité du jeune marquis n’eut rien de terrible, il ne tarda pas à se remettre, et ses blessures s’arrangèrent juste à point pour lui valoir ce compliment de la duchesse Isabelle de Milan : «Je voudrais être un homme, monsieur le marquis, ne fût-ce que pour recevoir comme vous une balafre en plein visage et voir ensuite si les cicatrices me siéraient aussi bien. » Ce repos si doux, cette halte dans l’oasis du ménage, n’eut qu’un moment. Le siècle poussait à l’action, et Pescaire n’était point d’humeur à s’y dérober. Un simple fait témoignera du prestige que ses
Saint-Elme, où les jeunes époux vécurent en rapport avec tout ce qu’il y avait aux environs d’artistes, de savans et de poètes distingués : Bernard Tasse, le père de Torquato, Sannazzar, l’historien Paul Jove. L’idylle cependant dura peu. La France et l’Espagne se disputaient alors le royaume de Naples sur tous les champs de bataille de cette Italie dont un grand et puissant pape, qui bien mieux que Léon X, son successeur, méritait de donner son nom au siècle, Jules II, ressentait les misères au fond du cœur ; mais c’était la triste loi du temps d’avoir toujours à changer d’alliance et de ne pouvoir combattre les Espagnols qu’avec l’aide des Français, quitte à s’arranger le lendemain des Espagnols pour chasser les Français. Opposer à l’étranger une digue en se servant de l’étranger, tâche impossible où se consuma l’effort d’un Jules II. Sujet du roi d’Espagne, qui depuis 1503 régnait sur Naples, et gentilhomme, Ferrante d’Avalos ne pouvait manquer au rendez-vous ; il y vint avec Fabrizio Colonna, le père de Vittoria, dont, à dater de cette heure, l’existence allait s’assombrir. A Ravenne, où notre Gaston de Foix paya la victoire d’une mort héroïque, Colonna et son gendre ; , le marquis de Pescaire, furent blessés et faits prisonniers. Ce désastre, on le suppose, réagit cruellement sur Vittoria, retirée alors dans Ischia. Elle-même a pris soin de nous dire quand la nouvelle lui parvint et de nous mettre au courant des circonstances : « C’était un jour de Pâques, par un ciel triste et couvert, et tandis que l’Averne mugissait et que les Néréides du rivage semblaient pleurer. » Bientôt pourtant, à l’idée que son mari n’était que blessé, la noble affligée reprit courage. Pour la première fois elle accorde sa lyre et rime au cher absent une de ces poésies alambiquées, sentimentales, avec jeux de mots et ''concetti'', fort à la mode en Italie depuis Pétrarque. C’est ainsi que nous l’entendons se plaindre du sort des pauvres femmes vouées au chagrin, à l’angoisse, pendant que ceux qui leur sont chers s’exposent aux périls de la guerre : « Qui s’appelle d’Avalos ou Colonna sait entreprendre avec l’adversité une lutte corps à corps et sans trêve. Quitter Vittoria, c’est quitter la victoire, et jamais il ne sera bien que des êtres unis pour la vie se séparent durant la vie. » Au reste, la captivité du jeune marquis n’eut rien de terrible, il ne tarda pas à se remettre, et ses blessures s’arrangèrent juste à point pour lui valoir ce compliment de la duchesse Isabelle de Milan : « Je voudrais être un homme, monsieur le marquis, ne fût-ce que pour recevoir comme vous une balafre en plein visage et voir ensuite si les cicatrices me siéraient aussi bien. » Ce repos si doux, cette halte dans l’oasis du ménage, n’eut qu’un moment. Le siècle poussait à l’action, et Pescaire n’était point d’humeur à s’y dérober. Un simple fait témoignera du prestige que ses