« Un prêtre marié/II » : différence entre les versions
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Eh bien ! à ce soir-là — disait Jeanne Roussel — où Jean Sombreval arrêta le marché du Quesnay, dans l’étude de maître Tizonnet, notaire, et lui commanda de préparer l’acte de vente sous le plus bref délai possible, car il était pressé, il sortit sans avoir rien pris (chose anti-normande ! maître Tizonnet n’ayant pas osé l’inviter à se rafraîchir), et il tira droit du côté de la terre qu’il venait d’acheter.
La nuit commençait à se répandre, mais il faisait encore une goutte de jour qu’elle n’avait pas noyée dans son envahissante obscurité. Il résultait de cela un crépuscule qui faisait paraître les chemins plus blancs et les haies plus
A cette époque-là, les chemins changeaient peu. A cela près de quelques ornières que le poids des charrettes gravait, comme une ride de plus, sur une vieille surface, ou encore de quelque effondrement de terrain, ici ou là ; de quelque mare survenue entre deux pentes et dans laquelle l’ocre et la glaise se dissolvaient tristement en silence, les chemins restaient de longues années ce qu’autrefois on les avait vus.
A travers les incertaines et fraîches brumes de ce jour baissant, Jean Sombreval reconnaissait jusqu’aux cailloux contre lesquels il avait buté dans sa jeunesse, mais il ne s’arrêtait pas à les contempler, en rêvant. Il marchait vite : le fermier du Quesnay pouvait être couché — car c’était la saison de l’année où, dans les fermes, on se couchait avec le jour. Et puis, il y avait peut-être une raison pour qu’il fût bien aise d’avoir dépassé un certain point de la route qu’il connaissait
Ce point, il allait y toucher tout à l’heure. C’était un petit tertre de gazon, placé au centre de trois chemins qui s’entre-croisaient, et sur lequel s’élevait jadis une croix en carreau — sorte de pierre blanche et tendre, particulière au pays. Quand il était jeune et fervent, il avait prié devant cette croix. Il s’était beaucoup agenouillé au pied, dans ce temps où son âme était blanche comme elle.
Force du souvenir ! il y
C’était une âme perdue, mais ce n’était ni un fanfaron ni un lâche. Il ne croyait plus à Dieu, mais il ne le bravait
« Tu t’en vas donc au Quesnay, l’abbé Sombreval ? »
Ceci l’arrêta court. — Il était arrivé de la ville
D’un autre côté, excepté à Tizonnet — il n’y avait qu’un moment — il n’avait dit à âme qui vive son projet d’acheter la terre du Quesnay. Il devait donc y avoir pour lui quelque chose d’effrayant dans cette voix qui lui jetait insolemment son nom en pleine route, et qui lui disait si bien où, présentement, il s’en allait.
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« Tu n’as pas menti, la Malgaigne — dit Jean Sombreval — car tu ne peux être que la Malgaigne, toi qui viens de parler et qui sais si bien qui je suis et où je vais à cette heure. Oui, c’est moi ! Jean Sombreval, qui passe et qui va au Quesnay, à cette terre dont ne voulait personne et qui m’appartient, de ce soir !
— Vrai ! l’as-tu enfin ? Est-ce fini ?
— Oui, c’est fini ! dit Sombreval. La chose a eu lieu comme tu l’avais vue, la Malgaigne !
— C’est à faire trembler, interrompit la femme. Toute ma vie, j’ai espéré que je m’étais trompée et que le démon s’était joué de nous
— Aussi réellement que tu l’as vu sous le porche de l’église de Taillepied, le jour que le tonnerre tomba sur la tour, dit Sombreval. J’ai passé ma vie à me moquer de cela et à y penser. C’est une chose étrange ! La pensée en a toujours été plus forte en moi que la moquerie. A force d’y penser, sans doute, j’ai fini par faire ce que tu avais prédit, la Malgaigne. J’ai acheté le Quesnay, moi, Jean Gourgue Sombreval, le paysan, la veste rousse, qui ai tant de fois rôdé, pieds nus dans la crotte, au bord de son étang, pendant mon enfance, et qui ait tant rêvé la vie des maîtres, en regardant ses murs !
— Il y a bien de ton ancien orgueil là-
— Oui ! » dit Sombreval avec l’horrible sécheresse d’une résolution qui ne peut plus être ébranlée ni par raison humaine ni par raison divine.
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Le père Sombreval était un veuvier, comme on dit dans le pays. Perpétuellement à la charrue, il avait eu besoin d’une main de femme à la maison pour décrasser le visage de singe du petit Jean avec le bas de son tablier et peigner sa chevelure crépue.
La Malgaigne, qui fut cette main-là, n’avait jamais pu trouver dans les dix-sept paroisses dépendant du bourg de
Quand Jean Sombreval attrapa ses quinze ans et fut mis en camérie au bourg de
Cela devint même si fort, l’horreur dont elle se prit contre les livres et les études de Jean, que lui, qui alors étudiait presque malgré son père, crut longtemps que le vieux Sombreval induisait sournoisement la Malgaigne à le dégoûter de ses travaux.
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Or, un jour de certaine année, pendant les vacances, où elle s’était montrée plus acharnée que jamais contre les livres et les études de Jeannotin, comme elle l’appelait par mignonnerie, par manière de caresse, ils allèrent tous deux rôder du côté du mont de Taillepied, qui n’était pas loin de leurs chaumières ; et toujours elle le harcelant à propos de ses livreries, et lui s’échauffant contre ses reproches, il s’impatienta tout à fait, le bouillant jeune homme ! et, poussé à l’extrême, il finit par la mettre au défi, puisqu’elle en voyait si long et que d’aucuns la croyaient sorcière, de lui dire, une bonne fois pour toutes, ce qui arriverait de ses goûts d’apprendre et de son avenir.
Elle ne put, à ce qu’il paraît, résister à ce
Il y alla donc et, quand il revint, elle l’entraîna sous le porche de l’église de Taillepied, qui couronne la cime verte de ce mont, lequel a, comme on sait, la forme d’un œuf coupé par la moitié, et préoccupés ou plutôt possédés tous deux d’une curiosité qui leur fit oublier qu’ils étaient sous la porte de la maison de Dieu, elle attacha, après bien des simagrées effrayantes, ses deux yeux blancs sur l’eau charmée qui frissonnait comme si un feu avait été dissous, et elle dit à Jean « qu’elle le voyait prêtre — puis marié — et puis possesseur du Quesnay (or, à ce moment-là, les Du Quesnay étaient encore dans l’opulence, et personne ne pensait à leur ruine) — enfin que l’eau lui serait funeste et qu’il y trouverait sa fin ».
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Jean se mit à rire de cette prédiction, mais ce qui lui renfonça le rire dans la gorge — disait Jeanne Roussel — fut la foudre qui tout à coup tomba sur la tour du clocher et le coupa à moitié de sa hauteur aussi net que la serpette du jardinier coupe une asperge.
Un orage s’était formé, rapide, pendant qu’ils étaient sous le porche de l’église fermée à la clef, comme toutes les églises dans les
Ce coup de tonnerre leur sembla comme un avertissement de Dieu. Du moins fut-ce à dater de ce grand péril que la Malgaigne renonça à ses sorcelleries et qu’on la revit aux églises où depuis longtemps on ne la voyait plus. Seulement, toute pieuse qu’elle fût redevenue, elle resta toujours sous l’impression de ce qu’elle disait avoir vu dans son eau charmée, et cela lui fut une raison de plus pour supplier Jean, à mains jointes, de renoncer à ses lectures et à ses ambitions : mais — ajoutait encore Jeanne Roussel — rien n’y fit, pas même, quand il voulut partir pour le séminaire, de se coucher comme une chienne, à travers le seuil, pour l’empêcher de
En effet, si, lui, le beau Saint des forêts de la verte Irlande, passa sur le corps de sa mère, ce fut pour aller à la gloire du ciel parmi les hommes, tandis que Jean
Cependant il atteignit bientôt le Quesnay. On n’y voyait plus : la nuit était complètement venue. L’étang, qui dans toute saison était couvert d’une mousse verte, n’envoyait pas dans les ténèbres de ces reflets d’acier que l’eau jette parfois sous un ciel de nuit.
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